Gérard Bacle, volant Motul 1974, a fait de la compétition de 1969 à 1999 et parallèlement il a été instructeur, notamment à l’Ecole Winfield du Circuit Paul Ricard, de 1976 à 2010. De sa première compétition ; le Rallye du Mistral en 1969 à sa dernière saison avec le titre de champion de Formule France 1999, il a constamment mêlé les genres – circuit, rallye, monoplaces, berlines, GT, sports – la théorie et la pratique. Il ne le mettra jamais en avant, mais nombreux sont les futurs pilotes de F1 auxquels il a prodigué ses conseils. Homme de l’ombre et rouage essentiel de la compétition en France, il fait partie de ceux que les média mettent, malheureusement, rarement en avant.
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Gérard, pilote, instructeur, chef instructeur, vous avez contribué à former des centaines de pilotes. Pouvez-vous nous parler de ces hommes ?
Trente années consacrées à la compétition et à la formation des pilotes m’ont donné une certaine expérience, peut être une certaine légitimité à pouvoir en parler, en toute humilité. En effet, loin de moi, l’idée de « juger » ; les paramètres à prendre en compte sont nombreux et souvent personnels.
Selon moi, un pilote doit être doué en toutes circonstances : circuits rapides, circuits lents, sous la pluie, sur le sec… Ayrton Senna, Ronnie Peterson étaient de ceux là. Ils allaient vite quelles qu’aient été les conditions, de même que ces valeurs plus ou moins gâchées que sont pour les français, Alain Ferté, Alain Cudini, Richard Dallest, Jean-Pierre Malcher, Dany Snobeck, Yvan Muller.
Quels pilotes de notoriété avez-vous eu l’occasion de former ?
Pour ceux qui ont fait de la Formule 1 : Jean Alesi, Eric Bernard, Eric Comas, Olivier Grouillard, Bertrand Gachot, Paul Belmondo, Olivier Panis, Ukyo Katayama, Narain Karthikeyan, Philippe Streiff et j’en oublie sûrement.
Vous est-il arrivé de vous tromper sur leur potentiel ?
J’attendais plus de Bernard et Comas. Le premier nommé était un artiste de valeur, façon Clark et le second avait un mental exceptionnel. Mais encore une fois, ce sont les circonstances qui ne leur ont pas permis de s’exprimer correctement.
De tous ceux qui sont passés dans « vos pattes », lequel vous a le plus impressionné ?
Impossible de citer un nom en particulier, il y en a eu beaucoup et pas seulement ceux qui ont accédé à la Formule 1.
Mais quelles particularités faut-il réunir pour être rapide ?
Avant, lorsqu’il n’y avait pas d’adhérence, pour aller vite, il fallait avoir un super feeling, une grande sensibilité, de la finesse pour doser son attaque, gérer son freinage, son accélération. Maintenant il faut toujours être intelligent et avoir du cœur. Mais c’est tout. Au risque de vous choquer. Le reste est développé par les ingénieurs avec les data. … Une exception quand même : le mouillé où le talent reprend sa part.
Vous êtes donc en train de nous dire que la technique prend le pas sur le pilotage ?
Les voitures ont énormément évolué. Maintenant si on dépasse la limite, on perd d’abord du temps, ensuite on sort ! Avant, dépasser la limite, c’était d’abord un exploit, puis éventuellement une sortie de route. Il y a une nuance. Importante. Cela est du principalement à l’adhérence phénoménale générée par l’aérodynamique et les pneus. Au plus on passe vite, au plus la voiture tient… et avec les freins carbone, tout le monde sait freiner tard !
Quels points communs entre les meilleurs pilotes que vous ayez croisés ?
Tous ont envie de prouver quelque chose au monde entier ! Après, chacun a son caractère et sa façon d’être.
Comment expliquez vous que certains excellents pilotes en GP2 ou Champcar n’aient pas pu s’imposer comme de sérieux compétiteurs en F1 ?
Souvent les résultats, en monoplace en tout cas, sont liés à l’efficacité de la voiture. Y compris en formule de promotion. Les ingénieurs interviennent au niveau de la conception et du set up. Certains espoirs n’ont pas la bonne auto et ne réussissent pas à faire leurs preuves et à fortiori à percer.
Les qualités nécessaires en F1, endurance, rallyes sont elles très différentes ?
Je serais tenté de dire que le circuit me semble plus facile. Sauf qu’il y a aussi les autres et que la compétition est très intense. Le rallye demande beaucoup plus de qualités, en dehors du cœur et de la vitesse, il faut aussi avoir un sens aigu de l’improvisation, notamment à cause des changements d’adhérence, en outre la prise de risque est permanente compte tenu de l’environnement.
Pourquoi dans les années 60 les pilotes étaient ils capables de courir dans toutes les disciplines et plus aujourd’hui ?
C’est davantage lié au nombre de courses et à la spécialisation des disciplines, souvenez vous qu’avant il y avait moitié moins de courses en F1.
Toutes disciplines confondues, quel est pour vous le meilleur pilote depuis les années 2000 ?
Sébastien Loeb. Pour les raisons évoquées plus haut.
Romain Grosjean a été porté aux nues puis voué aux gémonies, il semble mieux maîtriser son talent désormais. Qu’est ce qui a changé en lui ?
Il a une pointe de vitesse exceptionnelle mais a traversé une période où il a eu du mal à maitriser son énergie, faisant des débuts de courses brouillons, avec les accrochages que l’on sait. Maintenant il a acquis de la maturité, maîtrise mieux les périodes de stress intense que sont les départs et a su conserver sa pointe de vitesse.
Sera – t il celui qui nous permettra d’entendre à nouveau la Marseillaise en Grand Prix ?
La future première victoire en F1 de Romain Grosjean dépend trop de sa voiture et de son équipe pour la prévoir aujourd’hui. Cela dit, je la lui souhaite pour très bientôt.
Après lui et Bianchi, nos espoirs reposent sur Pierre Gasly, Norman Nato et Tom Dillmann. Bien sûr, je ne détiens pas la vérité absolue, mes propos ne sont que le reflet mon avis personnel.
Olivier ROGAR
Propos recueillis le 7 novembre 2013 à Marseille.
Photos Gérard Bacle @DR