Fait du hasard ? la F1 2015 déçoit. Les courses d’endurance nous apportent la diversité et le suspens désormais absents de la discipline reine. Et l’on nous promet l’une des plus grandes éditions des 24 heures du Mans. Le week end opportun, en somme, pour se souvenir de deux grands moments du championnat du monde des marques. Aujourd ‘hui Spa 73.
Classic COURSES
Henri Pescarolo détient le record absolu en course de l’ancien circuit de Spa Francorchamps (1) (14,120 km) en 3’13’’4, moyenne 262,461 km/h. Voici comment il en parle (2) : « Compte tenu de la longueur du circuit, nous ne pouvions faire que quelques tours durant les essais. Cela ne nous donnait que peu de temps pour comprendre le comportement de la voiture et faire les changements appropriés. J’ai toujours aimé les virages rapides et la Matra 670 aussi. Après Les Combes, nous arrivions sur les enchaînements de Burnenville, Malmédy, Masta, Stavelot. Dans la courbe de Burnenville, nous passions à 300 kilomètres/heure sur une surface instable. Nous étions les rois … Le châssis était incroyable. Vous pourriez penser que dans les longues lignes droites, nous pouvions nous reposer un peu entre deux virages : erreur, en fait nous n’avions pas le temps de reprendre notre souffle. À 300 kilomètres/heure, nous savions que la moindre erreur pouvait tourner à la catastrophe « .
L’équipe Matra Simca a renoncé à la Formule 1 fin 1972 et s’attaque après sa victoire du Mans au Championnat du Monde des Marques en 1973.
Au chapitre des forces en présence, les Matra 670 affrontent les Ferrari 312 PB championnes en titre, ce seront les duellistes de pointe. Alfa Romeo ne fait courir sa récente 33TT12 que sur 4 courses, insuffisamment au point, ce proto n’obtient pas de résultat probant. Disposant de budgets plus serrés, les Mirage Cosworth et Lola T 282 également à moteur Cosworth concourent de même que quelques anciennes Porsche 908 venant grossir la liste des engagés. Côté 2 Litres figurent les Lola T280 et Chevron B21-B23 tandis qu’en GT le plateau est garni essentiellement de Porsche Carrera RSR, Ferrari Daytona et Chevrolet Corvette.
Ce Championnat compte 10 courses, la onzième prévue à Buenos Aires étant annulée. A leur issue seront attribués des points dont l’addition permettra un classement final. Le décompte étant le suivant : 20 points pour le vainqueur puis 15,12,10,8,6,4,3,2,1 jusqu’à la dixième place. Ce sont les points de la voiture la mieux placée de chaque écurie qui sont comptabilisés, les équipes engageant 2 à 3 voitures. Les sept meilleurs résultats de chaque écurie sont retenus.
La saison débute aux 24 heures de Daytona où Matra n’engage qu’une auto et Ferrari compte sur ses 365 GTB4 engagées par le N.A.R.T. La course est remportée par une Porsche Carrera tandis que la seule Matra et les deux Mirage abandonnent. Ferrari marque 15 points avec la seconde place d’une GT. Matra domine les deux courses suivantes à Vallelunga et Dijon. L’équipe française marque ensuite le pas à Monza où les Ferrari dominent. La course suivante se déroule à Spa.
Sur le circuit belge, Mirage présente deux voitures à moteur Ford Cosworth aux mains de Derek Bell, Howden Ganley, Mike Hailwood et Vern Schuppan. Deux Ferrari 312PB sont engagées pour Jacky Ickx- Brian Redman et Arturo Merzario- Carlos Pace.
L’effectif habituel chez Matra est bouleversé à Spa. Jean Pierre Beltoise et François Cevert ont prévenu depuis longtemps qu’ils n’y courraient pas jugeant la sécurité précaire. Les remplaçants ne se bousculent pas d’autant qu’une épreuve F2 se déroule le même week-end. Matra fait alors appel à deux de ses ex-pilotes : Chris Amon et Graham Hill. Les deux briscards sont cependant en manque d’entraînement pour courir sur cet exigeant tracé. Henri Pescarolo et Gérard Larrousse se présentent donc comme l’équipage de pointe de l’écurie. Les autres concurrents hormis la Porsche Carrera de Gijs V.Lennep- Herbert Müller engagée en sport 3 litres appartiennent aux catégories Sport 2 litres et Grand Tourisme. Ils ne peuvent prétendre à la victoire sauf hécatombe. Cette épreuve atypique peut cependant réserver une surprise tant le circuit est difficile. Parmi le peloton des protos 2 litres on note trois Chevron Ford B23 et une B21. Seule représentante féminine sur cette course, Christine Beckers pilote l’une d’elles. Associée à Roger Dubos elle finit neuvième, prouvant que le gros cœur n’est pas seulement l’apanage de la gente masculine. Deux Lola Ford T 292 complètent ce plateau. Côté Grand tourisme on compte quatre Porsche Carrera, une 3L et trois 2.8L, elles côtoient la Ferrari 365 GTB4 de l’écurie Francorchamps. Enfin concourent deux BMW 3.0 CSL Alpina que se partagent Niki Lauda, Hans Stuck et Brian Muir. Elles sont inscrites en catégorie Tourisme Groupe 2.
A l’issue des essais, Jacky Ickx s’empare de la pole sur la piste ardennaise qu’il connaît comme sa poche : 3’12’’7, le pilote belge a battu le record de Pedro Rodriguez sur la Porsche 917. Il faut dire que les soucis de Matra ont aidé Ickx car Larrousse a brusquement explosé son moteur, celui-ci a répandu de l’huile sur les échappements mais le feu a été vite circonscrit. Plus de peur que de mal, la voiture sera prête pour la course mais les essais des deux pilotes ont été écourtés, ils obtiennent cependant le second temps. Amon-Hill signent un sixième temps décevant derrière les deux équipages des Mirage : dans l’ordre Hailwood-Schuppan puis Bell-Ganley. Merzario-Pace obtiennent le 3ème temps au volant de la seconde Ferrari. Deux voitures ne passeront pas le cap des essais : l’Alfa-Roméo 33TT12 de Rolf Stommelen-Andréa De Adamich est fortement endommagée lors d’une sortie contre les rails sans conséquence pour son pilote. De même la Lola T280 pilotée par Jean Louis Lafosse-Hughes De Fierland victime d’un bris de suspension percute aussi les rails. Elle est détruite, Lafosse s’en sort avec une belle frayeur. Le secteur Burnenville-Malmédy-Masta-Stavelot est décidemment fort périlleux. Les vitesses de passage y sont démentes même si la chicane de Malmédy contribue à ralentir la portion.
La course de dimanche se prépare, vingt voitures sont amenées sur la grille. Malheureusement l’organisation va défaillir. Les concurrents n’ont pas droit à un tour de mise en grille, étonnant ! Le départ va être donné dans la précipitation. Lorsque le drapeau s’abaisse, des mécanos sont encore autour des voitures, celles de Hailwood et Amon qui ont du mal à démarrer leur moteur…Ils vont gicler in extremis dans une débandade qui aurait pu mal tourner.
Les deux Matra déboulent en tête dans l’Eau Rouge sous la direction de Pescarolo. Ickx va vite prendre le dessus sur Amon, il part à la poursuite de Pesca mais Henri est très à l’aise au volant d’une Matra à l’équilibre sans rival dans les courbes rapides. Après 11 tours le Français a engrangé 11 secondes d’avance sur le belge. Les deux hommes sont les patrons. Pace va bientôt stopper sa Ferrari pour un problème d’allumage tandis que les Mirage roulent un ton en dessous leurs adversaires. Pescarolo déchape soudainement au 12ème tour mais rentre sans dommage au stand pour changer sa roue. Cet incident va se reproduire rien moins que deux fois, hypothéquant sa course ainsi que celle de son équipier. Le même souci va toucher Amon. Dès lors Ickx a le champ libre, les Matra ne peuvent défendre leur chance à la régulière d’autant qu’Amon va casser son moteur (48è tour).
Le parcours de Jacky ne sera cependant pas une longue course tranquille, en cause les radiateurs d’huile de boîte des belles italiennes. Les vibrations provoquent des fuites, le montage des radiateurs est défaillant. Ickx va renoncer en panne de boîte tandis que Merzario-Pace vont se traîner en fin de course avec seulement trois rapports inférieurs disponibles.
Les Mirage M6 profitent bien sûr de l’aubaine, et enregistrent un beau doublé sous le drapeau à damier. Elles remportent leur première victoire, une récompense pour la courageuse équipe britannique dont le budget est inférieur à celui de ses concurrentes. Bell-Ganley-Hailwood l’emportent devant leurs équipiers Schuppan-Hailwood-Ganley (Hailwood et Ganley ont permuté leur poste en cours d’épreuve). Pescarolo qui avait repris la voiture d’Amon-Hill moins retardée lors des déchapages finit troisième devant la Ferrari malade de Merzario. V.Lennep-Müller mène la Porsche Carrera 3L à la cinquième place.
Une âpre bataille va se jouer entre Matra et Ferrari par la suite, les deux marques vont se tenir à la semelle jusqu’à la dernière course. Ferrari manquera le coche lors de la Targa Florio où Matra était absent, la Porsche Carrera y signe une seconde victoire. Ferrari s’adjuge les 1000 km du Nüburgring et les français remportent les 24H du Mans après une longue bataille avec les voitures de Maranello ainsi que les 1000 km d’Autriche. A la veille de la course de Watkins Glen qui marquera la fin de la saison en raison de l’annulation des 1000km de Buenos-Aires, on en est à 2 victoires à 4 en faveur de Matra, Ferrari possède 8 points d’avance au Championnat, tout est encore possible.
François Coeuret
1 – C’est à ce jour le record tous circuits routiers confondus. 2 – Extrait presse Illustrations @ DR