Des bêtes de course sur des petites routes de campagne habituellement « meublées » par des monospaces ou citadines atrocement banals, c’est le principe du Tour Auto. Une formidable machine à remonter le temps, mais que je n’ai guère l’occasion d’utiliser : car si le Tour va chaque année vers le sud, il évite en général l’Alsace, assez excentrée. Mais pas cette année, donc ne laissons pas passer l’occase. Surtout que le spectacle est gratuit, ce qui de nos jours est à souligner. Aussi le 9 avril était-il noté de longue date dans l’agenda. En attendant le Tour…
Olivier Favre
Ce jour-là, d’après le programme officiel, les équipages doivent déjeuner au château du Hohlandsbourg et passer ensuite par le village de Husseren-les-Châteaux. En voiture, il n’y a qu’une façon de relier ces deux points, c’est par la petite route forestière qui relie le village aux châteaux. Des ruines plutôt aujourd’hui, mais avec vue imprenable sur la plaine d’Alsace, il faudra que j’y revienne pour cette raison, d’ailleurs. Mais pour l’heure, foin du panorama, il s’agit de se trouver un coin tranquille. Il y a des plaisirs qui s’apprécient davantage en solitaire. Comme d’habitude, j’ai beaucoup d’avance : je suis à pied d’œuvre un peu avant midi alors que la première voiture ne doit pas passer avant 14 h. Allez, baskets et sac au dos, on va se faire une petite reconnaissance apéritive pour dégoter un endroit permettant de voir les voitures un peu plus de trois secondes. Bon, voilà un coin de forêt qui paraît pas mal, en surplomb au-dessus d’un virage. Je sors le sandwich mais dois bouger un peu pour me réchauffer : on est en altitude et les conifères ne laissent passer le soleil que parcimonieusement. Pour me distraire, j’ai droit à de multiples passages des BMW badgées de l’organisation et de quelques touristes belges ou allemands. De temps en temps une voiture qui sort de l’ordinaire : un coupé Bertone gris métal qui me fait penser à un ami, une réplique de Lotus Seven, un sympathique convoi de copains alsaciens composé de deux 911 et deux Type E.
Bientôt 14 h, les passages des BMW sombres s’intensifient, le premier concurrent ne devrait pas tarder. Puis, enfin, un son inhabituel, c’est une anglaise. Pendant le premier quart d’heure, il n’y aura d’ailleurs que des anglaises, MG, Mini Cooper, Jaguar, … Puis arrivent trois gros requins gris à la recherche de quelque proie insouciante. Je me fais tout petit et les trois Mercedes 300 SL défilent devant moi, me laissant une formidable impression de puissance contenue. Je ne peux m’empêcher de lâcher un « Wouah » de plaisir à leur passage, qui restera pour moi l’image forte de cette édition du Tour. Elles sont suivies, au compte-gouttes, par d’autres anglaises et deux ou trois Porsche 356. Puis, plus rien. Un quart d’heure passe, le silence est retombé sur la forêt et n’est plus troublé que par les BMW du Tour et les touristes qui passent et repassent. J’en ai marre d’avoir froid sans compensation visuelle et je repense à ma mésaventure du Tour 1997, quelque part dans le Sud-Ouest : des heures à attendre les concurrents qui, hormis une 250 GT châssis long, ne sont jamais passés pour cause de retard et d’itinéraire modifié en conséquence. Serait-ce un remake ? j’en suis là de mes interrogations quand repasse devant moi le quatuor Type E-911 qui redescend dans la plaine. Ce qui achève de me convaincre de décamper et de me replier sur le plan B : je vais me diriger vers l’Anneau du Rhin. Je n’y serai plus tout seul, mais au moins j’y réchaufferai mes abattis et y verrai certainement les autres concurrents auxquels on aura épargné la route forestière.
Une fois arrivé dans la plaine, je me dirige au jugé vers l’est et sur qui je tombe à l’approche d’un rond-point ? la bande des quatre, encore les 2 911 et les 2 Type E ! OK, je vais les suivre, m’est avis qu’ils vont aussi sur le circuit. Effectivement, plus la peine de regarder les panneaux : après quelques minutes de convoi, nous arrivons bel et bien sur un champ de luzerne transformé en parking improvisé. Je grimpe sur la butte artificielle qui donne une vue parfaite sur la grille de départ et constate que la piste est vide de voitures. Les seules autos présentes sont les vingt que j’ai vu passer dans la montagne qui attendent, sagement alignées à la queue-leu-leu, que les autres les rejoignent. Ce qui va prendre une heure !
Pour meubler l’attente des quelque 2 ou 300 spectateurs présents qui n’ont pas l’exutoire de crier « remboursez ! », le speaker fait son possible, aidé par une fort désagréable « dance music » de boîte de nuit, qui donne envie de saboter les haut-parleurs. Que cette soupe sonore décérébrante soit diffusée dans un centre commercial, passe encore, il y a au moins une logique, il faut bien abêtir les gens pour impulser l’acte d’achat. Mais qu’on la passe en ce lieu, dans une manifestation qui se veut élitiste et où la moyenne d’âge – des spectateurs comme des pilotes – dépasse allègrement la cinquantaine, c’est totalement hors contexte. N’aurait-il pas été plus logique et de bon goût de diffuser des standards des années 50 et 60, contemporains des voitures sur la piste ? Enfin, passons, je m’arrête là sur ce sujet, sinon je vais friser l’ulcère rétrospectif …
Au bout d’une heure d’attente, le plateau 3 est complet et se met enfin en branle pour les essais puis la course. Les plateaux 4 et 5 lui succéderont sans temps mort et les trois heures qui vont suivre seront un régal pour les yeux, les oreilles et le nez. Que ce soit les nombreuses « usual suspects » (Jaguar E, Cobra, Alfa GTA/GTAm, …) dont on ne se lasse pas, ou bien des voitures très rares (Aston DB2, Ford GT40), voire unique (250 GT Breadvan), les concurrents ne ménageront pas leurs efforts sous le chaud soleil de cette fin d’après-midi. Et, idéalement postés pour apprécier le spectacle, grâce à la topographie idéale de cette partie « stadium » du circuit, les spectateurs seront récompensés de leur patience initiale. Quant à moi, je repars heureux, ma faim de Tour assouvie. Rendez-vous en Alsace dans 5 ou 6 ans ?
Photos @ Olivier Favre