La filière Elf est aussi liée au parcours de Jean-Marc Chaillet auprès de son client, représenté par François Guiter. Le démiurge de la F1 française l’avait à la bonne et ce n’était pas donné à tout le monde. Avec le temps et la confiance qu’ils s’accordaient mutuellement, l’un a pu suggérer à l’autre certaines choses. Elles furent entendues, étudiées et mises en place.
Olivier Rogar.
.
Vous pourriez aussi aimer la saga Elf 1966-1970 :
François Guiter, un homme d’exception
1 – Elf : Et les ronds rouges arrivèrent
2 – Elf : Gérard Crombac , l’homme qui tombe à pic
3 – Elf : Vers l’apothéose de 1969
4 – Elf : Collection Elf Compétition 1970
5 – Elf : Naissance d’un filière
6 – Elf : Les Matra 650 au Tour Auto
Jean-Marc Chaillet
« Quand la Formule France est sortie j’ai pu souffler à François Guiter que, puisqu’on avait la Coupe R8 Gordini qui était comme le premier barreau de l’échelle et que la Formule France était lancée, pourquoi ne pas considérer qu’on avait avec Renault, les formules de promotion et avec Matra les F3, F2, F1 et Le Mans. Ne restait qu’à créer une école pour permettre à de jeunes passionnés de se lancer».
«Guiter me répondit «Mais pourquoi pas ! Vous courrez je crois ? En Mini Cooper ? Eh bien, on va changer d’échelle, voilà ce que je vous propose : Je vous offre une Formule France. – Moi qui depuis l’Algérie n’avait eu le moral sauvé que par la lecture de « Moteurs » vous imaginez ma tête et ma joie. J’étais sidéré – tous frais payés. J’écris au Président de Synergie de vous libérer de tous les budgets autres que Elf. Je vous demande d’aller sur les circuits, surtout sans dire que vous êtres mon chef de pub et au bout de cinq ou six courses, je voudrais un rapport sur l’intérêt pour Elf de soutenir la Formule France et de mettre en place le plan que vous avez suggéré. Évidemment, je vous paye tous les frais : La voiture, les frais de course, les engagements, le mécanicien. Les déplacements. Pour la voiture, je vous laisse choisir mais je crois que vous êtes copain avec Jean-Pierre Beltoise qui vient de lancer sa marque ?»
«Effectivement, j’étais très copain avec Jean-Pierre Beltoise qui était associé avec Pierre Landreau qui avait le stand 14 à Montlhéry, chez lequel j’achetais toutes mes voitures personnelles. J’ai donc pris une Elina, la marque de Formule France qui venait d’être lancée par Jean-Pierre».
«François Guiter m’a payé un cours au Bugatti et un stage à Magny-Cours. J’ai fait la connaissance de Tico Martini. Ça s’enchainait à toute vitesse, la voiture était déjà en rodage. J’ai fait 500 km sur l’anneau de vitesse à Montlhéry. Je ne sais pas si vous voyez ce que ça représente, l’anneau doit faire 1 km 2. Et j’ai dû faire 450 tours. On m’arrêtait juste pour le plein d’essence et d’huile».
«Et puis je suis parti pour ma première course avec mon mécanicien vers Nogaro. Le championnat avait déjà débuté. J’étais très copain avec Denis Dayan qui était un grand espoir. Il est venu me voir, c’était ma première course. Il m’a proposé que je le suive pour apprendre les trajectoires. Il était le premier pilote chez Beltoise avec l’Elina. Je ne saurai jamais si c’était volontaire ou pas. Mais ce renard avait complètement oublié de me dire qu’il fallait roder les pneus. Lui, l’avait fait aux essais. Pas moi. Au 2e tour de course je me suis planté, l’auto était en miettes. Je me souviens avoir pleuré devant la voiture. Moi, je n’avais rien mais la voiture était très abîmée. J’ai téléphoné à Guiter :
Lui : « Alors Jean-Marc, comment ça se passe ?»
entre 2 sanglots, je lui exposai la situation.
«Bon Jean-Marc, la prochaine course, c’est où ?»
«Pau dans 15 jours».
«Ecoutez Jean-Marc si la voiture est réparable vous restez à Nogaro, vous réparez la voiture. Et je veux vous voir à Pau dans 15 jours. En attendant, je téléphone à votre Président pour lui dire que vous effectuez une mission pour moi qui durera 2 semaines. Surtout, dans 15 jours je serai sur la ligne de départ à Pau et je veux vous y voir. Je viens avec Lagardère et Chassigny».
«Vous imaginez ce que ça pouvait représenter pour moi ? J’avais 28 ans. Cette situation était effarante. Je suis resté à Nogaro. J’ai été sacré « Mousquetaire de l’Armagnac ». Le jury c’était l’équipe Matra avec Pescarolo, Beltoise et Servoz-Gavin. Ils ont empilé deux tables l’une sur l’autre, m’ont donné à boire un « pousse-rapière », une liqueur d’Armagnac. Et je devais répéter exactement les « gestes magiques » que faisait Jean-Pierre.
«Toute erreur étant sanctionnée par l’obligation de boire la liqueur d’Armagnac cul-sec et de recommencer ! Autrement dit au 4e ou 5e cul-sec j’étais ivre mort, moi qui ne buvais jamais d’alcool. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans ma chambre, mais le seul souvenir que j’ai est celui de la couette à l’ancienne, énorme. Inutile de vous décrire mon état le lendemain matin. Je devais appeler François Guiter pour évoquer le fameux rapport que je devais faire. Évidemment, c’était impossible et je me suis excusé».
«De manière assez inattendue, j’étais qualifié. En fond de grille, mais qualifié. Guiter avait organisé pour Lagardère et Prada un tour de circuit en Matra 530 juste avant le départ de la course de Formule France. Je me souviendrai toujours de Prada descendant de la voiture et me disant : « Jean-Marc. Je viens de faire un tour de circuit, c’est très dangereux. Je vous interdis d’aller vite. Je veux garder un bon chef de publicité plutôt que de perdre un mauvais pilote !»
«Voilà pour le départ de la course. J’étais barbouillé, j’avais la gueule de bois, mais j’ai quand même fini».
«Bref, j’ai rendu mon rapport à Guiter. Il confirmait ce que j’avais envisagé. Il fallait être présent dans les formules de promotion et avoir au moins une école de pilotage. Et c’est ce que nous avons fait. Le Concours du pilote Elf puis le Volant Elf ont été créés au Paul Ricard en 1971 puis le Volant Shell à Magny Cours est devenu Elf en 1974, de même que celui de l’ACO en 1994. La filière Elf a duré plusieurs décennies. A un moment une trentaine de pilotes étaient sous contrat. Une aventure extraordinaire».