30 juillet 2024

ELF : Les Matra 650 au Tour Auto – 6

Le Tour Auto. L’idée d’y lancer les Matra du Mans était pour le moins osée. Et si le pari fut technique il était l’initiative des communicants. Les uns se plièrent aux idées des autres en mettant tout en oeuvre pour que l’opération soit un succès.
Rien n’était évident. Pourtant les Matra l’emportèrent. Une fois sous les couleurs Elf en 1970. Une fois sous celles de Shell en 1971. Mais qui remarqua ce changement ?

Olivier Rogar

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6 – Elf : Les Matra 650 au Tour Auto

Fin de contrat

Comme on l’a évoqué, l’accord Elf – Matra (1967-1970) a pris fin au terme des quatre années prévues car Matra s’était rapproché de Simca – Chrysler pour motoriser ses voitures de route, les 530 et les futures Bagheera. Il y avait donc pour Elf un conflit d’intérêt entre Matra-Simca préconisant Shell d’un côté et Renault, préconisant Elf, de l’autre. L’accord ne fut donc pas prolongé.

Une saison 1970 en demie teinte

La saison 1970 n’avait d’ailleurs pas été extraordinaire, surtout si on la comparait à 1969.

Beltoise Matra MS 120 – 1970 Elf © DR

Devant la ferme décision de Matra de développer sa Formule 1 autour du V12 maison, exclusivement, Tyrrell avait opté pour les châssis du nouveau constructeur anglais March. Avec son V8 Cosworth, la March 701 fut acquise par nombre d’écuries. Un vrai succès commercial. Mais il fallut la maestria et le talent de Stewart pour lui offrir sa seule victoire de la saison, à Jarama, lors du GP d’Espagne. Devant les difficultés à faire évoluer ce châssis , Tyrrell se mua à son tour en constructeur et en cours de saison la Tyrrell 001 était en piste.

Stewart March 701- 1970 Elf © DR

Elf était le sponsor titre de l’écurie Tyrrell Racing Organisation et comme cela allait souvent être le cas par la suite, avait fait le nécessaire pour que l’un des pilotes soit un des membres de la «Maison». Johnny Servoz-Gavin accompagnait donc Jackie Stewart dans cette nouvelle aventure avant son spectaculaire renoncement au sport automobile dans les heures qui suivirent le GP de Monaco. Un autre Français lui succéda, François Cevert. On en entendrait parler.

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Comme constructeur March fut classé 3e au championnat tandis que Stewart était à la 5e place. Chez Matra, les MS120 aux couleurs Elf furent pilotées par Jean-Pierre Beltoise et Henri Pescarolo. L’écurie fut classée 7e au championnat.  

Une idée marketing

Pour l’Adieu à Matra, les gens de Elf convainquirent Lagardère de lancer les protos du Mans sur les routes de France. C’est de cette manière que les Matra 650 firent sensation au Tour de France Auto 1970. Sur les circuits, il n’y avait rien à faire pour les Matra face aux Porsche 917 et aux Ferrari 512. En revanche l’idée de les engager au Tour de France Auto, face à des GT, fut une idée de génie marketing !

Jean-Pierre Jabouille
Jean-Pierre Jabouille et Johnny Rives – Matra 650 – Tour Auto 1970 (c) Archives Johnny Rives

A ce sujet, on se doit de citer l’ingénieur Gérard Ducarouge, interviewé il y a quelques années par Jean-Paul Orjebin : ( Dont vous pouvez lire la passionnante interview ici : Gérard Ducarouge par Jean-Paul Orjebin)

Jean-Paul Orjebin : Quel a été le moment le plus exaltant chez Matra ?

Gérard Ducarouge : Il y en a eu beaucoup, les grandes victoires au Mans, dans le championnat du monde sport proto. Mais je vais sans doute vous étonner, ce qui m’a marqué vraiment très fort, c’est lorsqu’on m’a dit : « On fait le Tour de France Auto avec deux 650, à toi d’organiser tout ça ». J’ai cru à une farce ! Là je me suis pris la tête ! Ça n’avait pas grand-chose à voir avec la course telle que je la connaissais. En plus de suivre les modifications des M650 pour loger le copilote, les éclairages supplémentaires, le refroidissement moteur et toutes les protections nouvelles pour ce genre d’aventure, il fallait organiser toute l’assistance avec les camions et les différentes voitures break. Chaque équipe avait sa propre feuille de route étape par étape qui détaillait ce qu’elle avait à faire, quand et où, presque à la minute près. 

Pour la fiabilité, on avait fait baisser les régimes moteur, mais quand même, c’était très risqué, heureusement, on avait des grands bonhommes au volant et de très bons en copilotes. Il fallait tout contrôler à chaque étape parce que l’on avait peur des chocs sous la voiture, c’était des conditions beaucoup plus complexes que du celles du circuit classique et même après voir bien remonté les suspensions, la garde au sol n’était malgré tout pas très élevée.  

Il fallait que l’assistance se déplace à des vitesses de fou, c’était dangereux, d’autant plus que l’on dormait très peu, il y avait des véhicules « volants » avec le minimum d’outillage pour dépanner en urgence entre deux points d’assistance. À l’arrivée à Nice, on était tellement fatigués que l’on avait de la peine à exprimer notre énorme plaisir. C’était une aventure incroyable, on a gagné avec des autos absolument pas conçues pour rouler sur les routes et on a gagné deux années de suite grâce à nos supers pilotes et copilotes  et à une équipe d’assistance de rêve. Quelle aventure !!  

Le Tour Auto
Matra 650 Tour Auto 1970 © DR

Jean-Marc Chaillet

« Un formidable Paris est engagé par les équipes Matra Elf en septembre 1970  : mettre sur la route les protos du Mans et leur faire gagner le Tour de France ! Qu’on en juge, 4500 km de route de toutes sortes, 1250 km d’épreuves spéciales, 9 circuits, 9 courses de côtes sont au menu en 8 jours.

Une homologation temporaire permet d’obtenir l’immatriculation obligatoire. Les Matra 650 sont pilotées au départ par Depailler et Jabouille. A Pau, Beltoise et Pescarolo prennent le relais. Un certain Jean Todt navigue Depailler puis Beltoise. Johnny Rives est aux côtés de Jabouille puis de Pescarolo. Une logistique impressionnante est mise en place pour l’assistance dirigée par Gérard Ducarouge. À l’arrivée, l’équipe Matra Elf fait 1 et 2. Francis Chopy titre dans Sport-Auto ; « Un tour en bleu ». La foule qui se pressait tout au long des 4500 km du parcours fit un accueil délirant aux deux Matra 650. La grande victoire revient surtout à toute l’équipe Matra Elf. Pourtant, ce ne fut pas une partie de plaisir !

François Guibert décide d’exploiter cette performance. Des annonces grand format paraissent dans la presse quotidienne. Nous savons que Shell va prendre le relais dès l’année prochaine auprès de Matra. Il s’agit d’enfoncer le clou une dernière fois et d’ «empoisonner» cette succession !« 

Un impact durable

Jean-Marc Chaillet

« Si fin 1970, 57% des 20-24 ans cite spontanément Matra Elf (72% des cadres supérieurs et professions libérales), preuve que la notoriété est à son maximum, les études faites tous les ans nous montreront par la suite combien l’impact de l’équipe Matra Elf ne se démentit pas.

En 1973 un automobiliste sur trois cite Elf spontanément, quand on demande d’évoquer les traits marquants du sport automobile français. Un automobiliste sur trois croit que l’équipe Matra Elf existe toujours.

Et Elf est classé comme le pétrolier le plus dynamique, celui qui fait le plus profiter l’automobiliste des retombées techniques de la compétition. Trois ans après la fin de notre partenariat !« 

Le Tour Auto
Les Matra au Tour Auto © Archives Jean-Marc Chaillet

.

Fin

Pour aller plus loin :
Elf Acquitaine
Jean-Marc Chaillet : « Les ronds rouges arrivent ! » aux éditions du Palmier
Johnny Rives : Une terrible passion : la vitesse
Johnny Rives : Hommage à Jean-Pierre Jabouille
Gérard Ducarouge par Jean-Paul Orjebin

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