C’est désormais une tradition bien établie. Cette année encore, je vous propose de saluer ceux qui ont quitté la course durant l’année écoulée : les DNF 2020.
Olivier Favre
Pénible et particulier à bien des égards, le millésime 2020 n’a pas dérogé à la règle. Cette année encore a vu la disparition d’un grand nom de la Formule 1. Très grand nom même, sans doute l’un des plus grands pilotes du XXe siècle : Sir Stirling Moss. Classic Courses a bien entendu marqué cette disparition : The Racer : hommage à Sir Stirling Moss – Classic Courses
Quatre pilotes contemporains de Sir Stirling ont eux aussi disparu à un âge avancé :
- Paolo Marzotto, le dernier membre d’une légendaire fratrie de pilotes italiens : Le dernier des « conti volanti » – Classic Courses,
- Georges Hacquin, pilote belge vu au Mans en 1957 sur une Porsche de l’Equipe Nationale Belge,
- Bob Hicks, un Anglais qui disputa les 24 Heures un an plus tard sur une Lotus XI privée,
- Jonathan Sieff, riche héritier anglais qui s’aligna au Mans en 1959 sur une Lotus officielle. Sa courte carrière de pilote s’arrêta net un an plus tard suite à un gros crash dans les Hunaudières lors des essais. Il dirigea ensuite le Chipstead Motor Group qui racheta le team Cooper après la mort de son fondateur Charles Cooper.
Les DNF 2020 pilotes de sport-protos
D’époques un peu moins lointaines, d’autres pilotes de sport-protos ont été aussi des DNF 2020, soit par ordre d’ancienneté :
- Grand nom de l’endurance belge, Jean Blaton dit « Beurlys » a débuté en course au temps de Moss, mais sa carrière de gentleman-driver s’étend jusqu’à la fin des années 70. Elle est surtout liée aux Ferrari de l’Ecurie Francorchamps et aux années 60 : cinq podiums au Mans entre 1959 et 1967, le dernier avec Willy Mairesse au volant de la P4 n°24 lors de la « course du siècle » ;
- L’Anglais Chris Kerrison, dont le nom est attaché à la berlinette Ferrari 2735 GT, l’ancienne voiture de Moss aux couleurs Rob Walker. Il la racheta et, suite à un accident en course, la confia aux bons soins de Piero Drogo et Giotto Bizzarrini : allègement et nouvelle carrosserie plus basse et plus agressive que celle de la GTO, mais moins élégante ;
- Mike Garton, un Anglais que l’on vit beaucoup sur Austin-Healey, Lotus puis Chevron dans les sixties et au début des seventies ;
- John Hine, un autre Anglais qui se spécialisa dans les protos 2 litres (des Chevron surtout) au début des années 70. Il pilota aussi au Mans 1972 avec Peter Westbury la dernière Ferrari engagée par le Colonel Hoare et Maranello Concessionaires ;
Et d’autres encore
- L’Espagnol Juan Fernandez, sociétaire de l’Escuderia Montjuich et fidèle des 24 Heures du Mans (5e en 1973 sur Porsche). Mais aussi « montagnard » à succès : deux titres européens et neuf titres nationaux de 1973 à 1983 ;
- Brian Joscelyne, encore un Anglais habitué des Lola 2 litres aux couleurs du Dorset Racing dans les années 70 (3 participations au Mans) ;
- L’Australien Neil Crang qui pilota la toute première Tiga engagée dans une manche du championnat du monde des marques (Brands Hatch 1980). Ensuite il encouragea son fondateur Howden Ganley à construire une C2 qui lui apporta plusieurs succès de catégorie. Mais au Mans il ne vit jamais l’arrivée en 5 participations ;
- L’Américain John Paul Junior, qui participa quatre fois au Mans avec une 2e place pour meilleur résultat en 1984. Mais on se souvient aussi que lui et son père, un sulfureux personnage, eurent maille à partir avec la justice. C’était à l’époque où l’IMSA était perfidement surnommée « International Marijuana Smugglers Association » !
- L’Autrichien Walter Lechner, plusieurs fois champion Intersérie dans les années 80 et 90 et vu deux fois au Mans en 1988 et 89 sur Porsche 962C. Il fut aussi le dernier champion de Formule Super Vee en 1982 et un patron d’écurie à succès ;
- Et son compatriote Horst Felbermayr Sr qui débuta au Mans à l’âge de 60 ans en 2005 et fut l’un des animateurs de l’équipe Proton Racing, acteur majeur de l’endurance depuis près de 15 ans.
Un Suisse et des Français
Gardons les 24 Heures du Mans comme fil rouge de la disparition de quatre DNF 2020, qui se distinguèrent davantage dans d’autres disciplines :
- Fernand Masoero, c’est une participation en 1964 (Alfa Romeo), mais d’abord un parcours de rallyman et de montagnard. Le plus souvent au volant d’Alfa, dont il était concessionnaire à Orange ;
- Alain Couderc, cinq participations entre 1973 (Ligier) et 1984 (WM), mais surtout une belle carrière en monoplace, de la Formule Bleue à la F2, qui a été rappelée en détails sur Classic Courses en mai dernier : Alain Couderc ou l’âge d’or de la Formule Renault – Classic Courses ;
- Le Suisse Jean-Claude Bering, une participation en 1975 : 19e avec la Porsche Carrera qui lui permettra de décrocher deux titres (1975-76) de champion d’Europe de la Montagne, catégorie voitures de série ;
- Gérard Bleynie, une seule participation aussi en 1980 (Ferrari BB Pozzi), mais une carrière riche en Tourisme et Production. Et surtout comme patron de l’écurie BMW Mirabeau, du nom d’une grande concession parisienne du constructeur bavarois.
Français de toutes obédiences
Restons en France pour rappeler plusieurs DNF 2020 notables, que ce soit sur la route, la piste ou dans les ateliers :
- Louis Meznarie, le « sorcier » dont le nom est associé à deux marques, NSU et Porsche, et à d’innombrables victoires de classe ou de catégorie sur piste et sur route ;
- Bernard Bouhier, autre sorcier basé à Montargis, où il prépara nombre de voitures de rallye pour des grands pilotes français (Loubet, Delecour, ..). Mais il dirigea aussi une équipe de F3000, Galaxy, qui fit courir Philippe Gache ;
- Robert Sobeau, pionnier de la carrosserie en fibre de verre dans les années 50 et président d’honneur de l’Amicale DB ;
- Maurice Foulgoc, une longue et riche carrière de pilote, co-pilote, mécanicien, chez Renault, Ford-France et Matra ;
- Roger Raous, pilote de rallye dont le nom est associé aux Citroën Visa Mille Pistes au début des années 80 ;
- Jean-Paul Hoepfner, vice-champion de France des rallyes catégorie Aspirants en 1965 (derrière Jean-Claude Andruet) ;
- Roland Hanser, double champion d’Alsace des rallyes en 1966-67 ;
- André Malcher, grande figure du karting français ;
- Jean-Paul Couillot, Pierre Dutoya et Patrick Quiniou, figures marquantes des compétitions VEC.
Les DNF 2020 d’Outre-Atlantique
En traversant l’Atlantique, outre John Paul Jr mentionné plus haut, on déplore les disparitions de :
- Bob Lazier qui ne s’aligna qu’une fois à Indy (1981), mais dont le fils Buddy gagna l’édition 1996,
- Jim Pace qui remporta les 24 Heures de Daytona et les 12 Heures de Sebring en 1996 avec une Riley & Scott,
- Gene Felton, pilier du championnat IMSA entre 1972 et 1992, notamment avec des Chevrolet Camaro,
- Oscar Koveleski, truculent animateur du challenge Can-Am entre 1969 et 1971, avec sa McLaren aux couleurs d’Auto World, sa société de vente de modèles réduits,
- Bill Fowler, le chef mécano de Dan Gurney chez All American Racers,
- Maurice Petty, le préparateur des moteurs qui permirent à son frère Richard de remporter 200 victoires en NASCAR,
- Gale Halderman, qui dessina la toute première Mustang,
- et de Kirk F. White, ce concessionnaire Ferrari de Philadelphie qui eut la bonne idée de s’associer à Roger Penske en 1971 pour faire courir l’une des plus belles voitures jamais vues en piste : la Ferrari 512 M Sunoco.
Sans oublier bien sûr la famille Andretti qui a perdu deux membres éminents. D’abord en janvier, à seulement 56 ans, John, le neveu de Mario, qui disputa 12 fois les 500 Miles d’Indianapolis (5e en 1991) et gagna les 24 Heures de Daytona en 1989. Puis il y a quelques jours, son père Aldo, le frère jumeau de Mario et co-fondateur de cette dynastie de pilotes.
Petits et grands constructeurs
Chez les constructeurs, plusieurs disparitions, du petit artisan au grand patron d’un géant de l’automobile :
- Décédé à 99 ans, Mike Oliver était l’un des fondateurs de la firme Connaught à la fin des années 40,
- Tom Clapham, l’animateur de la petite marque Taydec qui fit quelques protos 2 litres au début des années 70,
- Romolo Tavoni, premier secrétaire d’Enzo Ferrari. Puis surtout directeur sportif de la Scuderia lors de l’une de ses périodes fastes (1957-1961). Ensuite, après l’échec de l’aventure ATS, il sera longtemps directeur du circuit de Monza,
- Jörg Obermoser, le patron des Toj (Team Obermoser Jörg), autres protos 2 litres qui firent souvent bonne impression durant les seventies, notamment avec leur robe dorée aux couleurs de la bière Warsteiner,
- Francesco Stanguellini, le petit-fils du créateur de la marque (également prénommé Francesco) qui décrocha tant de succès dans les années 50-60, notamment en Formule Junior,
- Jacques Calvet, l’homme qui dirigea Peugeot pendant 13 ans (1984-97). Durant cette période la marque sochalienne multiplia les succès sportifs (rallyes, Paris-Dakar, Le Mans).
Ingénieurs et techniciens
Du côté des techniciens DNF 2020, on note la disparition de Peter Jackson, le patron de Specialised Mouldings, le spécialiste des carrosseries en fibre de verre. On lui doit notamment quantité de voitures durant trente ans, entre autres les Chevron B8 et B16 et la Lola T70. Mais les quatre noms suivants étaient nettement plus connus :
- En Allemagne, Porsche a perdu Hans Mezger, le concepteur du moteur de la première 911, mais aussi de deux moteurs de course de légende : le flat 12 de la 917 et le V6 TAG qui mena les McLaren de Prost et Lauda à trois titres mondiaux de 1984 à 86 ;
- John Horsman, l’ingénieur cheville ouvrière du Team JW Automotive. C’était le dernier survivant du trio magique qu’il formait avec John Wyer et David Yorke pour porter le bleu et l’orange de Gulf au pinacle pendant près de 10 ans (1967-75) ;
- Ron Tauranac, l’alter ego de Jack Brabham au sein de Motor Racing Developments. Il fut le concepteur de dizaines de monoplaces à la fois rapides et sûres. Aussi bien pour la marque de Jack que pour la sienne, RALT, qui rafla nombre de titres en F3, F2 et F3000 ;
- Ricardo Divila, ingénieur brésilien qui dessina en 1974-75 la première F1 sud-américaine, la Copersucar des frères Fittipaldi. Ce fut le début d’une longue carrière qui le vit dans d’autres structures en F1 (Ligier, Fondmetal, Minardi). Puis, comme ingénieur en chef chez Nissan, il fut de tous les programmes sportifs du constructeur japonais.
Les DNF 2020 pilotes de F1
Puisque nous venons d’évoquer la F1, mentionnons la disparition de cinq pilotes qui y firent un passage beaucoup plus bref et anonyme que Stirling Moss, mais qui participèrent néanmoins à l’histoire de la discipline reine du sport automobile. Soit, par ordre chronologique :
- Le Brésilien Fritz d’Orey, trois Grands Prix en 1959 (10e à Reims sur Maserati 250 F) ;
- Le Portugais Mario de Araujo Cabral, quatre Grands Prix de 1959 à 1964 (10e à Lisbonne-Monsanto en 1959 sur Cooper-Maserati) ;
- L’Anglais John Campbell-Jones, deux Grands Prix en 1962-63 (11e à Spa en 1962 sur Lotus-Climax) ;
- Le Canadien Eppie Wietzes, qui participa deux fois à son Grand Prix national en 1967 (Lotus) et 1974 (Brabham). Donc il se distingua davantage en Formule 5000 et en Transam (champion 1981) ;
- Le Danois Tom Belso qui loua deux fois en 1974 (Kyalami et Anderstorp) une Iso-Williams. A cette époque Frank avait désespérément besoin de pilotes payants pour récolter un peu d’argent frais.
On pourrait leur adjoindre Ernesto Brambilla, le frère aîné de Vittorio. Après une belle carrière à moto, il essaya vainement de se qualifier à Monza en 1963 avec une Cooper-Maserati. Mentionnons qu’il fut plus convaincant en tant que pilote Ferrari dans le championnat d’Europe F2 1968, qu’il termina à la 3e place (deux victoires à Hockenheim et Vallelunga).
Restons en Italie et passons aux rallyes pour déplorer la disparition de Raffaele Pinto. Il fut champion d’Europe 1972 et décrocha une victoire en championnat du monde (Portugal 1974-Fiat 124 Abarth). Pourtant on l’associe sans doute d’abord à la Stratos. Il en fut l’un des pilotes officiels de 1975 à 1977 (2e du Tour de Corse 1977).
Auteurs, journalistes, passionnés, …
- Patrick Camus, “Monsieur Formule 1” à Auto-Hebdo pendant quatre décennies,
- Paul Sheldon, historien anglais auteur des fameux « black books », qui retracent en 17 tomes l’histoire des « Grand Prix and Voiturette Racing » depuis 1906,
- L’Américain Bill Oursler, historien et photographe auteur de nombreux livres, en particulier sur Porsche,
- L’éditeur italien Giorgio Nada,
- Le speaker et journaliste moto Philippe Debarle,
- Le journaliste belge (et ancien pilote) Philippe De Barsy,
- Le journaliste italien Nestore Morosini.
Et pour finir cette liste funèbre des DNF 2020, citons six personnalités qui ne firent pas forcément carrière dans le sport automobile, mais qui se passionnèrent pour lui :
- L’acteur Claude Brasseur, qui devint un navigateur de rallye-raid reconnu auprès de Jacky Ickx, avec qui il gagna le Paris-Dakar 1983,
- Le chanteur Christophe,
- Le dessinateur Albert Uderzo (Hommage à Albert Uderzo – Classic Courses),
- Le photographe Hugues Mallet,
- Deux artisans pionniers du kit 1/43 et des modèles spéciaux dans les années 70 : Jacques Simonet, promoteur de la marque de kits 1/43 Manou Le Mans. Et l’Anglais Brian Harvey, fondateur de Grand Prix Models et du magazine Four small wheels.
Et un sourire …
Enfin, terminons sur un sourire féminin en mentionnant Pauline Hailwood. Elle est allée rejoindre (du moins peut-on l’espérer) Mike et leur fille Michelle, 39 ans après qu’un p… de camion ait écourté leur vie.
Voilà pour ces DNF 2020. Evidemment, en sus de n’être certainement pas exhaustive, cette énumération peut apparaître réductrice et froide. C’est la loi du genre, faute de place pour s’étendre sur le parcours de ces personnages. A n’en pas douter, certains mériteraient à eux seuls une note dédiée. Aussi, vous êtes bien sûr libres d’enrichir ces lignes par vos commentaires, souvenirs et sentiments particuliers sur l’un ou l’autre. Ils le méritent tous. Car, à leur niveau, ils ont tous participé à la grande histoire du sport automobile.