DNF 2016. Une nouvelle année commence et une fois encore je vous propose un petit coup d’œil dans le rétro pour tirer un dernier coup de chapeau aux grands acteurs du sport auto qui ont disparu en 2016.
Olivier Favre
Une fois n’est pas coutume, commençons d’abord par les ingénieurs, team-managers, journalistes et autres personnages marquants des bords de pistes, avant de parler des pilotes.
L’année 2016 a vu la disparition de deux motoristes :
- le premier, Paul Rosche, était étroitement lié à BMW pour laquelle il conçut plusieurs moteurs à succès, à commencer par l’extraordinaire M12 qui eut une longue et légendaire carrière en F2 (6 titres européens en 10 ans), avant de servir de base au 4 cylindres turbo qui, monté dans la Brabham de Nelson Piquet, fut le premier moteur suralimenté champion du monde en 1983.
- le second, Guy Nègre, était moins connu, mais il défraya la chronique à la fin des années 80 avec son projet de moteur W12 sans soupape, à distribution rotative. Une aventure sans lendemain mais qui ne l’empêchera pas de développer nombre de technologies innovantes (moteurs à chambres séparées, moteur à air comprimé) dans les 25 années suivantes.
Pour aller vite, il y a le moteur mais aussi l’aérodynamique. Disparu en mars, Marcel Hubert était un « maître du vent ». C’est grâce à lui (en tout cas plus qu’à leur moteur …) que les protos Alpine allaient si vite dans les années 60. Et c’est encore lui qui fut à la manœuvre 10 ans plus tard pour la glorieuse lignée des A441/442/443, puis pour les Cougar/Courage Groupe C.
Toujours en France, un petit constructeur s’en est allé : Jean-Claude Hrubon, dont une des créations a tenté par deux fois (1967-68), mais en vain, de participer aux 24 Heures du Mans. La première année, un certain Johnny Rives faisait équipe avec Jean-Pierre Jabouille à son volant. En Italie, disparition d’un autre constructeur : le plus souvent motorisés par des groupes Alfa ou BMW, les petits prototypes de Giorgio Lucchini firent merveille en courses de côte et dans le championnat italien des sports-protos. Mais aussi au niveau international avec deux titres mondiaux dans la catégorie SR2 en 2002 et 2003.
Passons aux chefs d’écurie. L’Américain Carl Haas était l’un des plus fameux d’entre eux. Après plusieurs titres en Can-Am dans les années 70 (avec Jones, Ickx et Tambay), il fonda en 1983 avec Paul Newman le team Newman/Haas Racing qui collectionna les titres en Formule Indy sur trois décennies, de Mario Andretti en 1984 à Sébastien Bourdais de 2004 à 2007.
Américain lui aussi, Fred Opert vendait des voitures de course et dirigeait une école de pilotage. Mais il était aussi le boss d’une écurie très active dans les années 70, principalement en F2 et en Formule Atlantic, et qui alignait le plus souvent des Chevron dont Opert était l’importateur aux Etats-Unis. Il fit courir nombre de futurs grands pilotes, à commencer par Keke Rosberg qui lui doit une bonne part de sa carrière.
En Europe aussi, deux patrons d’écurie et anciens pilotes ont tiré leur révérence :
– le garagiste lausannois André Wicky participa à plusieurs Grands Prix F1 hors championnat entre 1961 et 1966. Mais il était surtout connu pour son écurie, le Wicky Racing Team, qui aligna durant plusieurs années des Porsche dans les plus grandes épreuves europénnes d’endurance. En particulier au Mans, où son meilleur résultat fut la 7e place de la 907 de Mattli-Brun en 1971, assortie d’une victoire en catégorie protoyypes.
– promoteur immobilier à Cologne et pilote amateur de 1968 à 1975, Georg Loos s’est rendu célèbre par les multiples victoires des Porsche rouges à parements jaunes et noirs qu’il engageait sous la bannière du Gelo Racing Team. De 1973 au début des années 80, sa rivalité avec les frères Kremer défraya la chronique des championnats (d’Allemagne, d’Europe et du monde) où les deux écuries s’affrontaient pour le titre de meilleure écurie Porsche privée … et donc de meilleure écurie tout court puisqu’en ce temps-là la marque de Zuffenhausen était bien seule dans la catégorie Silhouettes. Mais contrairement au Kremer Racing, Georg Loos n’eut jamais le bonheur de gagner les 24 Heures du Mans.
Du côté des médias, on déplore la disparition de trois journalistes : Günther Molter écrivit plusieurs livres (notamment sur Fangio, Caracciola, Ferry Porsche) et fut aussi directeur des relations publiques chez Daimler-Benz. Alan Henry fut un pilier de la F1 pendant plusieurs décennies pour le compte du Guardian et de The Autocar. Il était aussi le promoteur de l’annuel F1 Autocourse et l’auteur de nombreux livres consacrés à des marques (Ferrari, Brabham) comme à des pilotes (Button, Bell, Peterson, Rindt). Profil similaire de l’autre côté de l’Atlantique pour Brock Yates, longtemps directeur du magazine Car and Driver, également auteur de plusieurs livres, mais aussi commentateur TV et organisateur dans les années 70 des fameuses courses « sauvages » Cannonball qui reliaient les côtes Est et Ouest des Etats-Unis.
Restons aux USA pour rappeler la mort en début d’année de Tyler Alexander. Après Eoin Young en 2014, Phil Kerr en 2015, c’est ainsi le dernier des compagnons de Bruce et fondateurs de l’écurie McLaren qui disparaissait. Et cette année 2016 semble avoir voulu tirer le rideau sur cette épopée des années 60 puisque Tyler a été suivi quelques semaines plus tard par Patty McLaren, la veuve de Bruce, et par Chris Amon.
Traitée sur Classic Courses par René Fiévet (https://www.classiccourses.fr/2016/09/chris-amon-lui-meme/), la disparition de Chris Amon nous amène aux autres pilotes de F1 qui ont quitté la scène en 2016. Leurs apparitions furent plus ponctuelles, mais ils ont eux aussi contribué à l’histoire de la catégorie reine, à commencer par la première :
- décédée en tout début d’année, la comtesse italienne Maria Teresa de Filippis fut une figure marquante des années 50. Conduisant des voitures de plus en plus puissantes au fil des années, elle accède à la F1 en 1958 avec une Maserati 250 F de la Scuderia Centro Sud. Echouant à se qualifier à Monaco, elle y parvient à Spa, devenant ainsi la première femme au départ d’un Grand Prix de championnat du monde. Elle participe encore à deux Grands Prix cette année-là, à Porto et Monza. Puis, ébranlée par les disparitions de Musso et Behra, deux proches amis, elle abandonne la course un an plus tard. Mais elle y reviendra ensuite en animant durant de longues années le club des anciens pilotes de Grand Prix fondé en 1962 par Louis Chiron et Juan Manuel Fangio.
- instructeur à l’école de pilotage de Fred Opert, le Suédois Bertil Roos loua une Shadow pour son GP national en 1974, mais l’expérience fut très brève : abandon après un seul tour ! Il se concentra ensuite sur l’aspect pédagogique en ouvrant plusieurs écoles de pilotage aux Etats-Unis.
- le Sud-Africain Eddie Keizan participa trois fois de suite (1973-75) à son GP national, au volant de Tyrrell et Lotus.
Passons à l’endurance, avec trois pilotes qui étaient étroitement associés à une marque et à l’épopée mancelle :
- le Belge Freddy Rousselle se fit d’abord connaître dans le rallye Liège-Rome-Liège (6e en 1955 sur Triumph TR2), mais ce sont ses deux 4e places successives au Mans en 1956 et 57, les deux fois au volant d’une Jaguar D de l’Ecurie Nationale Belge, qui ont imprimé son nom dans la mémoire des passionnés ;
- comme Rousselle, Yoshimi Katayama a débuté sa carrière à moto, remportant 4 courses en championnat du monde dans les années 60, dans les catégories 50 et 125 cc. Sa carrière de pilote auto, déjà entamée durant son époque de motard, se confond avec l’histoire de Mazda, pour qui il fut de tous les combats durant 25 ans sur tous les continents. Au Mans, ses 7 participations se soldèrent par 5 arrivées, avec pour meilleur résultat une 10e place en 1984 au volant d’une Lola … à moteur Mazda ;
- quant à Mike Salmon, ses 13 participations au Mans s’étalent sur trois décennies et c’est à Aston Martin qu’on le relie en priorité, depuis la DB4 GT de 1962 jusqu’aux Nimrod Groupe C de 1982-84. Mais c’est au volant d’une Ferrari qu’il obtint son meilleur résultat manceau : c’était en 1963, lorsqu’il termina 5e avec une 330 LMB de l’écurie Maranello Concessionaires. Il la partageait avec Jack Sears, également disparu cette année. Deux fois champion d’Angleterre en Saloon cars, Sears fut en 1968, après sa retraite de pilote, l’un des principaux organisateurs du rallye marathon Londres-Sydney.
On ne quitte pas vraiment l’endurance avec la disparition de l’Américain d’origine polonaise Tony « A to Z » Adamowicz, que l’on vit dans la plupart des catégories du sport automobile américain mais qui obtint ses plus beaux résultats sur les longues distances, notamment au volant des Ferrari du North American Racing Team (2e des 24 Heures de Daytona 1971, 3e des 24 Heures du Mans 1971).
Moins connus des Européens car leur carrière fut limitée aux Etats-Unis, citons aussi les disparitions de Bob Harkey (6 participations à Indy entre 1964 et 1976), Bill Alsup (1 participation à Indy en 1981) et Bob Nagel, l’un des nombreux pilotes privés qui animèrent le challenge Canam et les courses de Formule 5000. Quant à « Scooter » Patrick, il fut le vainqueur de la dernière course de la « vraie » Canam en 1974, mais fut aussi pilote officiel Porsche en 1967-68, terminant 3e à Sebring en 1967.
Avant de rejoindre l’Europe, un détour par l’Amérique du Sud pour rappeler le décès de l’Argentin Andrea Vianini, espoir local que l’on vit lors de la Temporada F2 de 1968 mais dont la carrière prometteuse fut stoppée net en 1970 par un terrible accident qui le condamna à la chaise roulante.
En Europe donc, passons dans trois pays qui ont perdu des figures des circuits :
- la Suède avec Picko Troberg, vainqueur en F3 du GP de la Loterie de Monza en 1965 et qui favorisa ensuite la carrière de plusieurs de ses compatriotes, notamment Rickard Rydell ;
- l’Italie avec Ada Pace, autre femme pilote des années 50, qui courait souvent sous le pseudonyme de « Sayonara » et qui décrocha 11 titres de championne nationale dans les catégories tourisme et sport ;
- la France qui a perdu deux personnages ayant eu plusieurs vies : André Guelfi, alias « Dédé la Sardine », pilote Gordini dans les années 50 mais dont le nom fit plus de bruit 40 ans plus tard dans la chronique judiciaire de l’affaire Elf ; et Alain Bertaut, journaliste-essayeur, pilote pour Charles Deutsch (5 participations au Mans de 1962 à 67), créateur de la coupe R8 Gordini, commissaire sportif, dirigeant de l’ACO et comme tel inlassable promoteur des 24 Heures du Mans.
Terminons, ou presque, par les rallyemen :
- le Hongrois Attila Ferjancz fut un pilier du championnat d’Europe des rallyes dans les années 70 et 80 (21 victoires au volant de Renault et d’Audi) ;
- le Luxembourgeois Nicolas Koob participa 16 fois au Monte-Carlo (deux fois 9e en 1976 et 77) mais aussi, en bon polyvalent de son époque, aux 24 Heures de Spa et aux 24 Heures du Mans (7e et seule 911 classée lors de la diluvienne édition 70). Il fut désigné il y a une quinzaine d’années « Pilote luxembourgeois du siècle » ;
- quant à Jacques Henry, c’était tout simplement l’un des meilleurs rallyemen français des années 70, capable de titiller les usines avec les voitures qu’il préparait dans son garage de Haute-Saône. Double champion de France en 1974 et 1975 au volant d’une berlinette Alpine, il passe ensuite sur Porsche avec pour point d’orgue sa victoire au Tour Auto 76. Et ce sans dédaigner les circuits où il se signale notamment par une 6e place au Mans en 1977, le meilleur résultat jamais obtenu dans la Sarthe par une barquette 2 litres, en l’occurrence une Chevron B36.
Pour finir, saluons la disparition de Nani Nerguti, grand animateur du championnat de France de course de côte dans les années 80 et 90.
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