Fait pour s’inscrire dans l’histoire
Tant de bonnes et belles raisons nous ramènent fidèlement à Monaco, les années paires, un peu avant la mi-mai : l’ambiance, la beauté du site et des environs, les courses bien sûr, souvent très disputées. Mais surtout peut-être, la présence de voitures rares et/ou mystérieuses, toujours fascinantes, dans chacune des huit catégories disputées.
Jacques Vassal
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Leurs propriétaires, amateurs fortunés certes mais toujours passionnés, les pilotent eux-mêmes ou les confient à des habitués des courses historiques. Le week-end des 10, 11 et 12 mai n’a pas failli à la tradition : beau temps, assez chaud mais pas trop, et sans pluie cette fois, et rencontres de toutes sortes. Voici notre sélection, forcément arbitraire mais assumée, pour cette 14e édition.
Bugatti 35 B – Julia De Baldanza
GP de Monaco Historique 2024 – Course A1 « LOUIS CHIRON » – Voitures de course d’avant-guerre et Voiturettes
Identique à celle qui, aux mains du Britannique William Grover « Williams », remporta en 1929 le tout premier Grand Prix de Monaco, celle-ci date de 1928 (châssis 4965) et son moteur 8 cylindres à compresseur (n° 174) de 1927.
Honneur aux dames et à notre première « invitée », Julia De Baldanza : « J’ai acheté cette Bugatti il y a 24 ans, au Japon. Et depuis lors, elle est devenue comme une partie de moi. Elle avait été une voiture d’usine jusqu’à 1934. C’est une joie de courir à Monaco, même si le circuit est difficile. Si j’ai eu chaud à bord ? Oui, mais pas autant que dans l’autre course, avec la Maserati A 6 GCM. Vous vous demandez pourquoi il n’y a pas plus de femmes pilotes à Monaco historique (quatre au total, dont Claudia Huertgen, qui elle est une vraie professionnelle). Peut-être que ça ne les intéresse pas. Mais il y a bien des hommes qui font la cuisine, alors pourquoi pas ? Si les hommes n’acceptent pas les femmes en course, c’est leur problème, pas le nôtre ! »
A noter que Julia De Baldanza est une femme collectionneuse, elle possède d’autres voitures liées à des femmes propriétaires, comme la Type 40 de Lydia Bugatti. Quant à l’Allemande Claudia Huertgen, elle a remporté haut la main la course des Formule 1 jusqu’à 1960 au volant d’une Ferrari-Dino 246 (comme déjà en 2022). Et s’est bien bagarrée, en Sport, sur Maserati 300 S, se classant 2e cette fois, d’une course très disputée et remportée par une Lotus X.
Veritas RS 2000 1948 – Lutz Rathenow
GP de Monaco Historique 2024 – Course C « Vittorio Marzotto » – Sport à moteur avant de 1952 à 1957
On l’oublie souvent, mais en 1952, pour la seule fois de son histoire, le Grand Prix de Monaco fut disputé en Formule Sport. C’est ainsi que Vittorio Marzotto, sur Ferrari, fut vainqueur en Principauté. Une course qui anticipait la création, en 1953, d’un Championnat du Monde des Constructeurs pour voitures Sport.
Depuis plusieurs années déjà, le Grand Prix Historique accueille cette catégorie magnifique, où s’affrontent les Jaguar C et D, les Cooper-Jaguar, Aston-Martin DB 3 S, Maserati 200, 250 et 300 S, Ferrari 250 MM et 750 Monza.
L’occasion, aussi, de (re-)découvrir des curiosités comme cette barquette Veritas 2 litres, 6 cylindres, pilotée par son propriétaire, Lutz Rathenow : « Je l’ai achetée en 2021 aux Etats-Unis. Elle faisait partie… d’un divorce ! L’épouse qui divorçait, pour embêter son futur ex-mari, a mis en vente cette voiture. J’ai eu de la chance ! Cette Veritas avait couru, à l’origine, en Allemagne et en Angleterre. Elle était équipée d’un moteur 6-cylindres Bristol mais avant cela, elle avait eu un moteur Heinkel. »
Rappelons que les monoplaces Veritas-Meteor de Formule 2 avaient un moteur à 6 cylindres en ligne de 2 litres dérivé du BMW 328 et modifiés et construits chez l’avionneur Heinkel. Et que la marque Veritas, fondée par l’ingénieur Ernst Loof, ne fonctionna que deux ans (1948-49) avant de tomber, en proie à des difficultés financières, mais non sans avoir aidé à remettre la construction allemande sur la carte du sport automobile international. Lutz nous confie encore : « C’est une voiture très facile à entretenir et à conduire. Elle est souple, solide, et immatriculée et homologuée pour rouler légalement sur les routes publiques.
» Gute fahrt, herr Rathenow !
Scarab F 1 03 1960 – Mark Shaw
GP de Monaco Historique 2024 – Course A 2 « Juan Manuel Fangio » – Voitures de Grands Prix à moteur avant jusqu’à 1960
Le fils de milliardaire américain Lance Reventlow s’était…lancé, en 1957 et 58, dans la construction de barquettes Scarab à moteur Chevrolet pour le championnat du Sports Car Club of America. Mais son rêve ultime était de créer une monoplace de Formule 1 pour courir le Championnat du Monde. Pour cette monoplace, il allait utiliser une version 2,5 litres du moteur Offenhauser 4 cylindres, bien connu en Formule Indy (4,2 litres dans ce cas). Mais de la coupe aux lèvres… lui et son camarade Chuck Daigh débuteront au Grand Prix de Belgique mais n’iront pas loin.
A l’ACF (Reims), les deux Scarab casseront aux essais. Et Daigh sera seul au départ du GP des Etats-Unis à Riverside, ultime épreuve de la Formule 1 de 2,5 litres. C’est le Britannique Mark Shaw (vu aussi au volant d’une Lotus 21 ex-Jim Clark) qui pilote à Monaco la 03, troisième et dernière Scarab F 1 : « Elle se trouvait au musée de Donington. Julian Bronson l’a rachetée et moi, je suis le troisième propriétaire. Elle n’avait plus son moteur Offy mais, par chance, il y a tout juste deux semaines, on en a retrouvé un en Amérique.
Ici à Monaco, elle marchait bien mais dans la course j’ai dû abandonner, boîte de vitesses cassée. Je pense qu’elle pouvait devenir une des plus rapides F 1 à moteur avant, mais il aurait fallu plus de temps et de développement. C’était la dernière année des 2,5 litres et la Scarab était très lourde, très dure à piloter en course et pas très fiable. Jusqu’ici, je n’ai pas eu de contacts avec la famille Reventlow. Mais je devrais… »
Ferrari 1512 F 1 1965 – Joseph Colasacco
GP de Monaco Historique 2024 – Course B « Graham Hill » – Formule 1 à moteur arrière, 1961 à 1965
Un sommet de la Formule 1 de 1500 cm3, bien qu’elle n’ait pas remporté de Grand Prix. Si elle était apparue un peu plus tôt, la 1512 F1 aurait pu… Avec l’une ou l’autre des trois construites, John Surtees se classa 3e au GP de Grande-Bretagne, Lorenzo Bandini 2e à Monaco et 4e en Italie et Pedro Rodriguez 5e aux Etats-Unis. Joseph dit « Jo » Colasacco est très à l’aise aux commandes de cette merveille dont les 12 cylindres en « boxer » – 220 ch à 12.000 tr/mn SVP – résonnent fièrement en Principauté. Il a donné du fil à retordre à Andy Middlehurst (Lotus 25 ex-Jim Clark), vainqueur de cette série avec seulement 7/10e de seconde d’avance.
« C’est probablement le circuit le plus difficile sur lequel nous avons utilisé cette voiture. Des circuits plus rapides comme Spa, Monza ou même Goodwood lui conviennent bien mieux. L’habitacle est super-étroit; on n’a pas beaucoup de place pour les jambes… Mais pour rien au monde je ne voudrais céder ma place ! Le propriétaire l’a rachetée à un autre collectionneur, Monty Chalet. Avant cela, elle avait été la propriété du NART de Luigi Chinetti. J’ai discuté un jour avec John Surtees à Goodwood. Il me disait que la 1512 F1 avait un plus grand potentiel que la 158 F 1 (avec laquelle il avait été Champion du Monde en 1964) mais que, malheureusement, elle était arrivée trop tard. Et déjà en 1965, chez Ferrari on travaillait sur la future F 1 de 3 litres pour la saison 66. »
Ferrari 312 B 3″Spazza neve » 1972 – Franco Meiners
GP de Monaco Historique 2024 – Course D « Jackie Stewart » – Formule 1 de 1966 à 1972
De ces premières années de la Formule 1 de 3 litres, on a retenu tour à tour les Brabham-Repco V 8 (Jack Brabham puis Dennis Hulme Champions du Monde), les Lotus 49 (avec Jim Clark et Graham Hill), la Lotus 72, la Matra MS 80 et la Tyrrell chères à Jackie Stewart. Et les McLaren M 19 A, March et Surtees, qui utilisaient le V8 Ford-Cosworth DFV. Mais tout de même, un V 12 de 3 litres, ça sonne plus sérieux, strident et grondant à la fois. Alors (faute de Honda ou d’Eagle-Weslake), merci les Matra MS 120 B ex-Jean-Pierre Beltoise et C ex-Chris Amon (ici Nicolas Matile et « Mister John of B »), la BRMP 153 ex-Pedro Rodriguez (le Mexicain Adrian Fernandez) et Ferrari of course !
La V 12 de 1969 annoncée absente hélas, l’honneur de Maranello était sauf grâce à la 312 B 3 dite « Spazza Neve » (« pelle à neige ») menée ici de main de maître par Franco Meiners. Elle marchait fort et faisait honneur à la phrase de son concepteur Mauro Forghieri, signée de sa main sur le flanc gauche du cockpit : « Avec celle-là on a pu comprendre beaucoup de choses ». Contresignée par Giulio Borsari et, sur le flanc droit, par le pilote Arturo Merzario. La « Spazza Neve », finalement, ne courut jamais en son temps mais elle aida Forghieri à écrire la suite, avec à partir de 1974 les 312 T successives et l’aide déterminante de Niki Lauda et de Clay Regazzoni.
Franco Meiners, son propriétaire et pilote actuel : « Je l’ai achetée à un ami et collectionneur suisse, en 2010 ou 2011. Elle était en état de marche. L’ami qui me l’a vendue avait participé à des parades mais, pour la faire courir, il fallait tout remonter. Aujourdhui, elle marchait bien, j’étais troisième en course mais à un moment j’ai perdu les freins avant, elle s’est mise en travers à la Rascasse, heureusement sans rien toucher mais ça m’a fait perdre beaucoup de places. Tant pis, c’est toujours une joie de la conduire »… et de la faire entendre, faut-il ajouter ?
Voilà pour ce premier choix. Mais le plus fantastique, c’est que sur les quelques centaines de voitures engagées à Monaco, des dizaines sont rarissimes, voire uniques (Pegaso Z 102, Maserati 350 S, Ferguson P 99, De Tomaso ou Lec F 1) et présentées par de vrais connaisseurs.
Et pour cette raison aussi, malgré le « glamour », avec ou sans les « people » (Patrick Dempsey), les pilotes de F 1 actuels qui adorent l’histoire de leur sport et viennent dire bonjour (Fernando Alonso, Lando Norris et bien sûr Charles Leclerc) ou les anciens pilotes connus qui y reviennent avec émotion (Jacky Ickx, Eddie Irvine, Thierry Boutsen), les ingénieurs qui pilotent pour l’occasion (Adrian Newey sur une Lotus 49), voire les directeurs d’écurie (en série F dite « Gilles Villeneuve », Zak Brown, patron de McLaren Racing, sur une…Williams FW 07 B de 1980), Monaco est et reste un rendez-vous incontournable de la course historique. Et ça aussi, c’est fait pour s’inscrire dans l’histoire.