Il y a deux ans le consortium Liberty Media, nouveau propriétaire de la Formule 1, a décidé qu’il n’y aurait plus de « grid girls ». Vous savez, ces charmantes jeunes femmes qui indiquaient avec un panneau l’emplacement des voitures sur la grille (même si, ce faisant, le panneau n’était sans doute pas ce qu’on regardait en priorité). En effet, d’après le groupe, cette pratique était, je cite, « clairement en contradiction avec les normes sociétales actuelles ».
Olivier Favre
Cette décision fut-elle prise dans un réel souci de défense de la dignité des femmes ? Ou bien s’il s’agissait d’une manifestation parmi d’autres d’un nouveau puritanisme qui ne dit pas son nom ? Personnellement, je trouvais les grid girls bien moins scandaleuses que l’habitude trop fréquente de rémunérer les femmes moins que les hommes, à travail et qualification similaires. Mais, on le sait, certaines décisions permettent de se donner bonne conscience à bon compte tout en se donnant une image « progressiste » bienvenue.
Dans les années 70, on n’avait pas ce type de préoccupation bien-pensante. Et on ne jouait pas les vierges effarouchées, que ce soit à l’égard des avantages plastiques de la gent féminine ou de ce que ces dames pouvaient en faire dans l’intimité. Mai 68 et la libération sexuelle étaient passés par là. Les « pit babes » étaient nombreuses à afficher leurs atouts dans les paddocks et les stands, et les pilotes ne se gênaient pas pour en profiter. On pouvait même voir des pubs pour des sex-shops au bord des circuits, comme à Zeltweg en 1972.
1976, année chaude
Cela dit, quand en 1976 John Surtees décrocha les préservatifs Durex comme sponsor cela en fit quand même tousser quelques-uns au pays de sa gracieuse majesté. A tel point que la BBC refusa durant toute la saison de retransmettre ne serait-ce un seul Grand Prix en direct, de peur que la TS19 d’Alan Jones n’apparût à l’image et ne troublât la digestion des téléspectateurs (1).
D’autant plus qu’il n’y avait pas que la Surtees ! Guy Edwards, grand chasseur de sponsors devant l’Eternel (https://www.classiccourses.fr/magazine/guy-edwards) avait quant à lui fait affaire avec le magazine de charme Penthouse, principal concurrent de Playboy depuis sa création aux Etats-Unis en 1965. C’est ainsi que son Hesketh s’ornait du dessin d’une accorte soubrette court vêtue, portant devant sa poitrine un paquet de tabac à rouler Rizla. Ce qu’on appelle une publicité couplée !
En cette année 1976, Durex, Penthouse et Rizla venaient renforcer un assortiment de sponsors extra-sportifs qui n’avait jamais été aussi « couillu ». Exit le thé (Brooke Bond Oxo), exit l’eau de toilette (Yardley), tout ça c’est pour les fiottes, place aux hommes, les vrais, les durs, les tatoués ! Ceux qui fument des cigarettes (Marlboro, JPS, Gitanes) ou des cigares (nouveaux venus de Suisse : Villiger – https://www.classiccourses.fr/?s=villiger). Ceux qui boivent de l’alcool (la liqueur Ovoro, mais aussi et surtout l’apéritif Martini, celui que James Bond met dans sa vodka) et du café (Lavazza). Ceux qui manient les outils (Beta). Et on se préoccupait même des enfants, les vrais (les miniatures Norev) et ceux qui ne voulaient pas cesser de l’être (les kits John Day) ! Il n’y avait guère que Roger Penske, le pragmatique, pour chercher l’argent là où il était : à la banque (First National City) !
Des sponsors plus grand public
Comme par hasard, la grande vedette et futur champion du monde de cette année-là, James Hunt, était un séducteur compulsif assumé. Par moments, il semble y avoir une logique en ce bas monde ; même si une Durex-McLaren aurait été encore plus cohérente !
On reverra Durex chez Surtees l’année suivante, ainsi que Penthouse (que Rupert Keegan récupérera sur son Hesketh à lui). Le magazine de charme américain soutiendra encore Arrows au tournant des années 80. Mais à ce moment-là, aux côtés des cigarettiers qui restent les marques emblématiques de la F1, le mouvement vers des sponsors plus grand public et moins « dérangeants » est bien amorcé : il y a bien le Moulin Rouge qui s’affiche sur la Théodore de Patrick Tambay, mais les gros sponsors viennent de l’électroménager (Candy), de l’agro-alimentaire (Parmalat), de l’électronique et informatique (Olivetti, Canon), du prêt-à-porter (Benetton), …
A cette époque c’est plutôt au Mans que la température monte chaque année en juin, avec les pin-ups Hawaiian Tropic, qui promènent leurs bikinis minimalistes sur la grille et dans l’allée des stands.
Un sponsor avec un style de vie
Mais il ne s’agit que d’une crème solaire et d’un érotisme américain, plutôt aseptisé. Si l’on veut trouver un sponsor un peu olé olé au début des années 80, il faut se tourner vers l’Allemagne, avec Lui, « le magazine de l’homme moderne ». Ou plutôt « Für Männer mit Lebensart » (littéralement, « pour les hommes avec un style de vie »), puisqu’il s’agit de l’édition allemande, créée en 1977. C’est Reinhold Joest qui a décroché ce contrat de parrainage pour la vraie-fausse Porsche 936 qu’il aligne en championnat du monde et en Interserie en 1981. Ce partenariat ne durera pas, mais l’on verra encore le nom du magazine pendant de longues années sur les circuits. En effet, Lui Deutschland sera le sponsor personnel du pilote allemand Peter Oberndorfer, qui l’affichera sur la plupart de ses voitures (Alpine GTA Europa Cup, Alfetta GTV6, Mercedes 190 E, …) au cours des années 80.
Le sponsor au lapin
Bon, Penthouse, Lui, … quid de Playboy, le précurseur du genre dès les années 50 ? Eh bien, il mit du temps à s’intéresser à la course auto. Un effet de sa position dominante qui rendait la publicité superflue ? Oh, cela n’empêchait pas des liens de se créer, les pilotes n’étant pas insensibles aux charmes des playmates et réciproquement. Un exemple célèbre étant fourni par la Suissesse Jolanda Egger, la playmate du mois de juin 1983, qui épouse Marc Surer en 1986 et devient ensuite pilote en F3 et voitures de tourisme.
Toujours est-il qu’on ne vit arriver la marque au lapin comme sponsor qu’à la fin des années 80. Une présence encore assez discrète sur la March 88C de Kevin Cogan à Indy en 1988. Il y aura ensuite le championnat Tourisme japonais au début des années 90. Mais c’est avec les années 2000 que s’affirmera l’identité visuelle des voitures soutenues par Playboy : le plus souvent une carrosserie toute noire décorée de la fameuse tête de lapin stylisée. Et en général escortée, en bord de piste et comme il se doit, de « bunnies » déshabillées juste comme il faut. En Europe, c’est dans le championnat DTM allemand qu’on verra le plus souvent les voitures au lapin.
Aider la nature
Avec ces magazines on reste dans la stimulation … disons « naturelle », sans artifice d’aucune sorte. Et si l’on veut « aider » un peu la nature ? Eh bien, on peut se tourner vers des méthodes plus « scientifiques ». En s’adressant au corps médical. Par exemple à la Ueno Clinic. Si vous êtes insatisfait des mensurations de votre organe, cet établissement japonais situé à Tokyo se fait fort de vous débarrasser de vos complexes. Et de pas mal de yens aussi, cela va sans dire. Mais il est délicat de faire de la publicité sur un tel sujet. Aussi seul le nom de la clinique apparaissait-il sur la carrosserie noire de la McLaren gagnante au Mans en 1995. Cette spécialité de la clinique tokyoïte a donc certainement échappé à la plupart des spectateurs manceaux cette année-là.
A priori moins risquée est la stimulation chimique apparue quelques années plus tard, à la toute fin du XXe siècle. Le Viagra fut un immense succès et n’eut sans doute pas besoin de la publicité que lui fit Mark Martin en NASCAR au tout début des années 2000.
Aujourd’hui, pour afficher sa marque sur une voiture de course, il vaut mieux vendre des médicaments que des magazines. Hugh Hefner est mort et, après Penthouse qui l’a fait dès 2016, Playboy arrête sa version papier, décision accélérée par la crise du coronavirus. Le numéro du printemps 2020 sera le dernier en kiosques. Les magazines de charme ne peuvent lutter face à la gratuité des contenus Internet réservés (théoriquement) aux personnes majeures. De toute façon, sans même parler du « ticket d’entrée » financier, sans doute hors de portée d’un groupe de presse spécialisée, si un sponsor un tant soit peu licencieux avait des velléités de parrainer une écurie de F1, on peut douter qu’il serait vu d’un bon œil par les Tartuffes de Liberty Media.
NOTE :
(1) Ce qui, on s’en doute, fut particulièrement mal ressenti par les « fanatiques » britanniques, en cette saison où un pilote anglais jouait le titre mondial. La BBC sera d’ailleurs obligée d’assouplir sa position pour le dernier Grand Prix à Fuji et pour l’année suivante. D’autant qu’elle était sous la menace de son concurrent privé, ITV, qui n’allait pas hésiter à la supplanter sur les circuits de F1.