Le petit cabriolet de chez Triumph qui fit les délices des jeunes gens épris de liberté dans les années soixante et soixante-dix était dans le massif des Monédières en Corrèze le week-end du 1er et 2 juin pour y tenir l’Assemblée Générale de l’Amicale Spitfire 2019. L’occasion annuelle pour les propriétaires de cette sympathique auto de se retrouver et de savourer lors de cette édition toutes les bonnes choses que propose cette riche région. L’occasion aussi de retrouver les copains, car là est le moteur de la manifestation.
Pierre Ménard – Texte & photos
« Les voitures d’accord, mais les copains d’abord », comme le proclame le slogan de l’association. Appartenir à l’Amicale Spitfire obéit à une philosophie claire et simple, ainsi que le rappelle Michel Malartre, l’organisateur de l’Assemblée : « Ce sont des petites voitures et ce sont toutes les mêmes. Donc les gens qui se retrouvent ici, c’est pas tellement pour les voitures, c’est surtout pour les copains qui sont dedans. C’est pas un club, c’est une amicale et on le revendique ». Au moins, c’est dit !
A la base de cette Assemblée Générale 2019 délocalisée en Corrèze, notre bon ami Jean-Paul Brunerie qui tomberait les armes à la main pour défendre le tourisme en anciennes dans son département adoré : « Michel Malartre et ses copains étaient venus il y a quelques années chez Volants et Fourchettes (1). On les a ensuite retrouvés sur le stand Corrèze Tourisme au salon Epoqu’Auto et, quand ils ont vu ce qu’on faisait, ils se sont dit ‘Pourquoi pas organiser la prochaine Assemblée Générale Spitfire en Corrèze’ ? La décision a été prise assez rapidement et on a eu ensuite un an et demi pour affiner le projet. Ils ont énormément travaillé pour ça, avec une organisation de quatorze personnes parfaite. Leur road-book est le plus complet que j’aie jamais vu. Par rapport à ce qu’on fait d’habitude, on a été plus en retrait, ce sont eux qui ont pris les choses en main. On a surtout eu un rôle de conseil ».
Durant deux jours, les Spits ont sillonné les belles routes corréziennes, d’Uzerche à Collonges-la-Rouge en passant par Pompadour, Aubazine, Lubersac et autres sites magnifiques du département. Bénéficiaire évident de cette réunion annuelle, le petit village de Meyrignac l’Eglise, où était organisé le dimanche matin un marché spécialement pour les propriétaires de Spitfire, comme nous le confirme Dominique Dorme qui s’occupe du développement touristique à la municipalité : « Meyrignac l’Eglise est une des plus petites communes de Corrèze, et peut-être même de France, puisque nous ne sommes que 65 habitants. Aujourd’hui, il y a plus de Spitfires que d’habitants ! Il faudra d’ailleurs qu’on songe à faire voter les Spits (rires) ! Notre passion est de restaurer et faire revivre ce village. On trouve que perpétuer un patrimoine mécanique est finalement assez proche de ce qu’on fait. Comme on a le Domaine des Monédières tout proche (2) qui partage nos passions, on essaie d’apporter notre pierre à ces projets. On a commencé en accueillant le club des Trois A (Amateurs d’Automobiles Anciennes) qui organisent Epoqu’Auto, et ça s’est très bien passé. Comme vous le voyez, ça fait travailler le commerce et l’artisanat local ».
Lorsqu’on circule au milieu de tous ces gens venus des six coins de l’Hexagone, apparemment heureux d’être là sous le chaud soleil corrézien, et qu’on tend le micro à l’un ou l’autre, la réponse est invariablement la même quant à leur présence : simplicité et amitié. Le président de l’Amicale, Guy Ollinger, nous précise la ligne directrice de l’association : « C’est une grande amicale de 515 membres sur toute la France, y compris les pays francophones. On en a même à Doha ! L’esprit, c’est d’être libre, avec un coût financier relativement faible parce que la voiture ne coûte pas très cher, et surtout pas cher du tout à l’entretien. C’est une voiture de collection, puisqu’elle a plus de trente ans, mais elle reste très accessible, tout le contraire d’une auto élitiste. C’est un esprit d’amitié, de copains. La TR est déjà plus haut-de-gamme, plus puissante et beaucoup plus chère à l’achat et à l’entretien ».
Cette différence par rapport aux modèles TR de la marque, ou aux MG, Healey et autres modèles sportifs britanniques en vogue à l’époque, fut le leitmotiv des créateurs de la « Spit » (3) à la fin des années cinquante : produire un petit cabriolet sympathique à moindre frais en utilisant au maximum les pièces disponibles dans le catalogue et en abaissant les coûts de fabrication. Ainsi, il fut décidé que les compteurs seraient fixés au centre du tableau de bord pour faciliter l’adaptabilité aux volants à gauche à destination du « Continent ». On ne lésina en revanche pas sur la sécurité, dotant de freins à disques à l’avant une voiture censée aller vite. Enfin, un peu plus vite que la Herald qui servit de base au projet.
Motorisée à l’origine par un quatre cylindres maison 1150 cm3 sur les séries 4 et Mk2, la Spitfire acquit par la suite une version 1300 cm3 pour la Mk3 de 1967 et la Mk IV de 1970, puis 1500 cm3 pour la dernière de la lignée, la 1500 de 1974. Sans oublier un six-en-ligne pour la GT6, exception dans la fratrie puisque coupé et non cabriolet. La production des Spitfire s’arrêta en 1980 avec près de 315 000 modèles écoulés ! Un beau succès, devant plus à la bouille attirante de l’auto qu’à ses qualités routières ou sa puissance somme toute modeste (de 63 à 75 chevaux selon les versions). L’idée était de faire profiter des bienfaits d’un roadster à ceux qui ne pouvaient pas se payer une TR ou qui voulaient rouler en toute simplicité en humant pleinement l’air des deux côtés des falaises de Douvres. Impression toujours valable chez les propriétaires actuels.
« J’ai une 1500 de 1978, une des dernières, donc, nous confie l’un d’eux. Pour moi rouler en Spit, c’est rouler cheveux au vent, dans des voitures qui font plein de bruit, qui ne vont pas très vite mais qui sont très joueuses. Surtout sur les petites routes de par ici, c’est vraiment génial » ! Un autre de renchérir : « Moi, j’ai une Mk3 blanche de 1968. C’est une voiture fiable, si on s’en occupe. Qui peut avoir plein d’options. La mienne est d’origine. Elle n’a pas de roues à rayons. Je suis contre, je trouve que ça fait grandiloquent par rapport à la voiture. Vu l’âge que j’ai (rires), je les ai connues à l’époque. C’était pas « sport », c’était considéré comme des voitures de minets, ‘faut bien le dire, hein ? Le sport à ce moment-là, c’était la TR4. On montait là-dedans à cinq, avec trois à l’arrière les jambes qui pendent à la place de la capote ! De la frime, quoi ! C’était essentiellement ça. C’était plus Saint-Trop’ les cheveux dans le vent que Montlhéry ».
L’idée qui prévaut également dans ce milieu de passionné(e)s est de faire l’entretien soi-même, du moins au maximum de ses compétences. La mécanique est simple et relativement abordable. Mais comme le rappelle un propriétaire : « Mieux vaut savoir bricoler : c’est une anglaise ». Avis confirmé par un de ses coreligionnaires : « L’aspect mécanique est toujours très important : je sors d’un mois et demi de réparation. Je l’ai faite moi-même, mais comme j’ai débouché sur une impasse, j’ai fait appel à un mécanicien. Pour moi, l’idée de la voiture ancienne est associée à la faculté de pouvoir l’entretenir soi-même. Mais parfois, on entre dans des domaines qui dépassent notre limite de compétence ». Mais tout ça est dit avec un tel sourire qu’on ne peut douter que ces passionnés soient fous de leur voiture et de tout ce qu’elle représente. A chacun la tâche de trouver son style de vie. Celui des propriétaires de Triumph Spitfire est en tout cas éloquent dans le simple bonheur d’être réunis au sein d’une communauté où l’apparat et les belles manières sont bannis d’office.
Notes
(1) La célèbre chambres d’hôtes que Jean-Paul tint pendant une bonne dizaine d’années dans son village de Viallevaleix près de Vigeois. Le nom est maintenant associé aux activités touristiques développées par lui dans la région.
(2) Résidence hôtelière en plein nature où ont logé les 120 Spitfires et leurs propriétaires durant le week-end (www.domaine-des-monedieres.com).
(3) L’ingénieur en chef de Triumph, Harry Webster, partit du modèle Herald pour élaborer son petit cabriolet, soutenu à partir de 1961 par Stanley Markand, le patron de British Leyland qui venait alors de racheter la marque. La première Spitfire fut présentée au Salon de Londres, en octobre 1962.