Dadford Road, Towcester, Northamptonshire, UK
Non, tous ne naissent pas libres et égaux en droit. Alors que certains, faits du même métal que lui mais dûment élargis, frappent le roc de la montagne ou explorent des exoplanètes, lui lime en un va et vient perpétuel un fourreau d’acier ajusté au micron, lubrifié par une sécrétion synthétique à très haute viscosité.
Confinement qui ressemble à un ravissement sauf quand…
… Sauf quand, à l’autre bout du bloc qu’il contribue à chauffer avec ses sept collègues pistonnés comme lui, Patrick Depailler cravache brutalement les 465 CV de sa Tyrrell 007 pour arracher le record du tour du Grand Prix de Monaco en 1975. Là il faut assurer.
Notre confiné du jour exerce un métier de l’ombre, moins voluptueux que notre intro le laisse supposer.
Piston attaché au cylindre numéro 4 d’un bloc moteur Cosworth DFV 3.0 V8 utilisé par le Elf Team Tyrrell en 1975 et 1976.
« You see, man made the cars to take us over the road », chante James Brown qui glorifie un monde d’hommes. Keith Duckworth n’a pas fait autre chose avec son bloc en alliage de synthèse à la confluence de l’art moderne, de la recherche fondamentale et de l’industrie extrême. 155 victoires en GP et vingt ans de service.
L’air est encore saturé des volutes bleu et rose laissées par les Red Arrows en vol basse altitude au-dessus des tribunes de Silverstone. Senteurs de hot dogs mêlées aux fish and chips. Marée de bobs Marlboro, de tee-shirts à la gloire de James Hunt, de types au bras coudé à 90° terminé par une canette de Double Diamond.
Je me hâte de quitter l’enfer de la zone public, où on s’encanaille à moindre prix, pour gagner mon poste d’observation à trente minutes du départ du Grand Prix de 1977, l’extérieur de Copse.
Tout à coup une modeste table, dont la nappe résiste au vent descendu droit d’Ecosse grâce à une bielle à chaque coin, me retient. « Elf Team Tyrrell exclusive parts » peut-on lire sur une banderole. Je reconnais la tenancière qui n’est autre que Norah, l’épouse de Ken Tyrrell.
Un lot de pistons est à vendre, des bielles, des arbres à cames et même un bloc DFV dans lequel on peut mettre huit bouteilles de Moët. Le team expérimente la vente de ses rebuts, explique Norah, « we’ll see if it’s work. »
Je me laisse aller à acheter un piston au hasard. Il est bagué : » THIS PISTON WAS USED BY ELF TEAM TYRRELL IN A 1975/76 FORMULA 1 GRAND PRIX ». Il grossit soudain mon sac Elf qui n’a jamais été si utile en dix ans de courses.
J’exhumai le piston oublié au hasard d’un récent déménagement. Un temps long avait passé sur lui, déposé sur sa structure complexe une sédimentation poussiéreuse dont un nettoyage sérieux vint à bout. L’impression que c’était une copie m’avait saisi au moment de l’achat et subsistait.
Je réalisai mon erreur lorsque le lavage fit remonter des inscriptions jamais vues. Des données sont gravés, à demi culottées encore par des résidus de combustion vieux d’un demi-siècle qui témoignent de ce qui s’est joué là en terme de violence : IN COSWORTH puis un numéro de série : DA0031 R1R
DA0031 R1R est à la retraite à Cosne. Adresse moins prestigieuse que St James Mill Road à Northampton où il vit le jour pour être aussitôt confiné.
La chatte le renifle parfois, interrogative. Que peut-il bien trouver à ce bout de métal ?