25 janvier 2014

Claude Furiet – Les débuts de la saga « Alpine » (*)

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Un immeuble des années 60  à deux pas  du Parc Monceau, un de ces ascenseurs charmants avec cendrier en alu forgé, couloir feutré, porte en acajou déjà ouverte sur un accueil courtois et souriant.

Canapés en cuir blanc, le désordre d’un appartement vivant, une grande baie vitrée donnant  sur une belle terrasse, une bibliothèque heureuse de présenter aux visiteurs une collection presque complète de l’Année Automobile et une belle série d’ouvrages ciblés auto. A un pan de mur sont accrochées des lithos semblant venir tout droit de la Galerie Vitesse. Sur des étagères, posés comme ça, sans en avoir l’air, des trophées signés par un sculpteur, ex DPPI.

Manifestement, l’homme qui nous reçoit ne donne pas dans l’autophobie.  Pilier de l’épopée Alpine, il a beaucoup à nous raconter, nous sommes chez Claude Furiet dit «Fufu ».

 

Par Jean-Paul ORJEBIN

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CC Votre vie professionnelle semble se confondre avec le monde de l’automobile.

 

Claude Furiet – Presque,  c’est vrai que mon premier job c’était chez Alpine.

Au service militaire, en Algérie je fais la connaissance de Claude Rédélé, on sympathise et nous devenons même les meilleurs copains. Démobilisé en 1960 et rentrant à Paris, il me présente son frère Jean.

Je lui demande s’il a besoin de quelqu’un  et il me dit oui tout de suite. Je déboule, rue Forest, où je débute sans rôle précis. Je m’occupais de tout, j’étais le factotum, j’étais heureux que mon travail soit en rapport avec la passion que j’avais pour la course automobile.

 

CC – D’où vous venait cette passion ?

 

C .F – Certainement pas de mes parents, mon père était ingénieur dans le Génie Civil et travaillait pour SPIE Batignolles. Je passe une grande partie de mon enfance à l’étranger, là où mon père avait des chantiers, l’ex Yougoslavie, l’Egypte et le Brésil. J’ai découvert le sport automobile tout seul, lorsque nous sommes rentrés en France, je lisais l’Equipe tous les matins en particulier la rubrique automobile. Je me souviens qu’a la fin de l’été je suivais le Tour de France Auto avec  fébrilité. J’étais devenu passionné des coureurs, des courses, pourtant je n’allais pas souvent en voir, la seule dont je me rappelle c’est une course  dramatique : les 24 h du Mans 55, j’étais venu avec un ami, nous sommes repartis dans la nuit, j’avais 20 ans. A part l’Equipe il n’y avait pas grand-chose d’autre à lire pour un amateur de courses automobiles.

CC – Vos débuts chez Alpine.

C.F – La société s’appelait R.D.L, c’était une toute petite structure, Jean Rédélé, moi et deux mécanos, Claude Cornu et Henri Delys.

Nous fabriquions une cinquantaine de voitures par an, une par semaine. La voiture arrivait à l’atelier rue Forest en provenance de chez Chappe sans moteur et sans boite. Claude et Henri  installaient la motorisation, effectuaient les réglages et partaient l’essayer dans les rue du 18eme arrondissement, autour du garage. Des méthodes bien empiriques.

 Je recevais les clients, je m’occupais de l’après vente au début comme stagiaire puis avec un contrat. Avec Jean on travaillait surtout le soir, parce que dans la journée il devait s’occuper des affaires de Monsieur Escoffier son beau-père, c’est-à-dire de plusieurs  concessions Renault et des Grands garages Souterrains.

Rue Forest, on recevait aussi les clients accidentés, ils venaient  apporter leur voiture à Paris car le plastique se réparait facilement mais pas n’ importe où à l’époque. Nous nous chargions  de les convoyer, soit à Dieppe soit chez Chappe à Brie-Comte-Robert.

C’est l’époque des premiers rallyes  avec les Coaches, les pilotes étaient  Féret, Monraisse, Greder.

J’assiste à la naissance de la berlinette, j’ai même roulé avec la première construite, je l’ai rodée au mois d’Aout, je rejoignais les Rédélé qui étaient en vacances dans leur propriété de famille en Normandie. J’ai un souvenir particulier, à Deauville, je m’arrête à une station service pour faire le plein, aussitôt un attroupement, j’entendais des gens s’exclamer : «  Regarde la voiture, c’est une Porsche Abarth ».

En arrivant je dis à Rédélé, c’est marrant on nous prend pour une Porsche Abarth. Ca nous allait bien, il faut dire que j’étais certainement tombé sur des Deauvillais connaisseurs. C’est Rédélé qui l’a dessinée en améliorant le dessin du cabriolet et coupé A108. A contrario du coach qui était conçu sur un châssis de 4 cv, la berlinette avait un châssis poutre.

Cette nouvelle auto était prévue pour faire le Tour Auto, c’est pour ça que nous l’avions appelée Tour de France.

 

CC – Les moteurs provenaient directement de chez Renault ?

 

C.F – Oui mais leur préparation était faite par Marc Mignotet à Gennevilliers.

Avec Jean,  tous les soirs, nous quittions  le bureau et nous allions chez Mignotet pour discuter autour des moteurs. Marc était un personnage très attachant, les moteurs étaient alignés dans son atelier, n’allez pas imaginer une chaine de fabrication, il y en avait 5 ou 6, ils étaient tous protégés par  des torchons blancs, impeccables  que Madame Mignotet lavaient et repassaient à cette intention. Il avait une connaissance incroyable de ses moteurs, il pouvait dire : «  celui-là,  il a beaucoup de chevaux en bas, celui-ci, les chevaux sont plutôt en haut, cet autre partout ». Les pilotes venaient, Vinatier , Feret, Monraisse, Mignotet leur expliquait, celui -là, tu auras les chevaux entre 4000 et 5000. Tout ça sans être passé au banc, au début il n’y avait pas de banc moteur.

CC – L’essentiel de l’activité était concentré rue Forest ?

C. F – Oui, jusqu’au jour où Rédélé a repris en plus de ses occupations parisiennes la concession Renault de son père à Dieppe, il a agrandi le garage et a commencé à y installer des ateliers pour Alpine, cela lui permettait  de se démarquer de son beau-père, et surtout de bien scinder les affaires Escoffier et Alpine. Pour être tout à fait honnête, je me dois de dire que Monsieur Escoffier au début était un peu réticent, il craignait que son gendre s’occupant d’Alpine délaisse les affaires familiales. Cela ne l’empêchât pas de financer la période pionnière. Les débuts d’Alpine, c’est le père Escoffier qui a tout payé, mais il avait ses idées c’était un peu le genre Floirat, le bon sens paysan avec un brin d’accent du terroir, il ne fallait pas lui en raconter. Il a fait sa fortune en étant le fournisseur exclusif des Vivaquatre  Renault rouge et noir qui composaient le parc des taxis G7.

Transférer les ateliers de Paris à Dieppe impliquait que nous fassions  très souvent la route Paris Dieppe et retour. En général, je partais de Paris dans la matinée  avec une voiture accidentée, quand je dis accidentée, c’est une aile ou une partie de l’auto  déchirée puisque les réparations  du plastique s’effectuaient là-bas.  Sur place nous  en profitions pour nous réunir et discuter de tas de sujets, commerciaux, organisation des courses, rapports avec nos fournisseurs, planning, futurs produits, on travaillait sur les dessins des voitures.

Le soir, nous rentrions à Paris, soit je ramenais une voiture réparée soit je rentrais avec Jean Rédélé après avoir diné à Dieppe. Il fallait compter à l’époque en Dauphine, même Gordini ou  1093 deux bonnes heures pour faire Dieppe Paris.

Durant ces deux heures, nous parlions, c’est là où j’ai pu avoir les plus longues conversations avec Jean, dans l’habitacle intime d’une petite voiture, j’ai pu approcher beaucoup sa  personnalité, j’étais très intégré dans la famille, Madame Rédélé bien sûr, les enfants, on avait tendance à travailler souvent chez lui boulevard Malherbes après avoir diné, en fait j’étais disponible et heureux de l’être presque 24h sur 24.

A fur et à mesure que les années passent, l’affaire Alpine prend de plus en plus d’importance, on fait les salons, Genève, Paris, souvent sur les stands dans les salons nos meilleurs vendeurs étaient les clients possédant une berlinette, ils faisaient l’article aux futurs clients, je me souviens d’un en particulier qui venait tous les jours que durait le Salon de Paris pour nous aider à la vente et appuyer notre argumentation. En vérité c’était assez facile, c’était une voiture de sport avec toute la mécanique Renault  donc économique à entretenir, on venait plus nous acheter nos autos que nous les vendions.

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Il y avait la compétition, dès le début lorsqu’on courrait avec le coach j’allais très souvent sur les Rallyes faire l‘assistance et l’organisation, mais ça restait assez amateur, c’était le b.a.-ba de la compétition, il n’y avait pas de liaisons radio, pas de téléphone, on attendait les voitures parfois plus d’une heure, sans savoir ce qui se passait.

La berlinette effectue sa première sortie course pour le Tour de France 1960, on en avait engagé deux, pour  les équipages Feret- Monraisse et Michy-Estager, elles étaient blanches toute les deux.

Avec cette auto qui devient de plus en plus performante, on a un succès fou, on en vend beaucoup, nos clients courent avec, font des tas de rallyes et le palmarès d’Alpine commence, d’abord des victoires de classes, par encore de Scratch, il faudra attendre que Mignotet nous fasse des plus gros moteurs.

Pour accompagner le développement d’Alpine, il fallut  créer un staff  et fut nommé  Etienne Desjardins, qui était auparavant comptable chez Renault, un peu raide, un peu…comptable pour moi mais très compétent et d’une grande rigueur, il s’occupait de la gestion. Pour la partie commerciale c’est  Jacques Cheinisse qui a été recruté, nous nous entendions à merveille. Cheinisse à l’origine était un client d’Alpine, Normand de surcroit, il vendait  des fromages  mais il était toujours fourré à l’usine, il a vite senti que sa voie était plus dans l’auto que dans le fromage.

 

 CC – Pourquoi Alpine ne cherche pas à se spécialiser Rallye et entame la compétition en circuit.

 

C.F – Jean Rédélé pense qu’on ne peut être une marque sportive si on ne fait pas de circuit. Après analyse de la situation, pour ce qui est de la monoplace, il a compris qu’il ne fallait pas se lancer tout seul mais qu’il valait mieux faire appel aux meilleurs dans cette catégorie et les meilleurs c’étaient les anglais. Chez Alpine j’étais le seul à parler l’anglais, c’est donc moi avec l’appui de Crombac qui ai fait le tour des constructeurs pour obtenir un bon châssis pas top cher. Nous faisions la tournée des meilleurs  avec Rédélé ou avec Boyer. J‘ai donc visité notamment Chapman et Tauranac  l’ingénieur de Brabham qui nous a conçu notre premier châssis F3.

CC  De quelle façon Alpine finançait tout cela ?

C.F – Au tout début, à l’époque des coaches, Alpine  s’autofinançait  mais à partir des protos et monos, c’est le pétrolier Shell avec qui Rédélé avait âprement négocié un accord qui finançait le département compétition ainsi que le poste salaire des pilotes. Alpine facturait et Shell envoyait la monnaie. Rédélé était un négociateur redoutable, grâce à son charme et sa ténacité il obtenait des budgets conséquents, c’est en grande partie pour cela qu’il a réussi.   Tous les pétroliers agissaient de la sorte, Shell, BP, Esso,  cela faisait partie de leur budget communication. Plus tard ELF a pris le relais.

CC  – La communication chez Alpine, c’est vous ?

C .F – Alpine prend de plus en plus d’importance, il y a beaucoup plus de travail dans tous les secteurs, on vend de plus en plus de voitures, il y a les circuits avec  les monoplaces  et les protos , les rallyes, jusqu’à ce moment là, c’est Rédélé qui chapeautait absolument tout y compris les engagements de pilotes , c’était trop, donc il a confié la partie compétition à Cheinisse et à moi la partie communication . Nous avions les meilleurs rapports avec la presse.

Sport-Auto par exemple correspondait parfaitement avec notre esprit, nous passions régulièrement de la pub chez eux et nous nous entendions parfaitement avec Crombac et ne parlons pas de Rosinski qui était un ancien de la maison. On avait de la sympathie également pour Virage qui était moins technique, plus « branché », même si avec Thieffry, il arrivait parfois d’avoir un coup de fil de sa part nous disant de venir chercher l’auto que nous lui avions confiée,  quelque part dans la campagne, en vrac contre un platane.

Il y avait également cette très bonne publication, Moteurs d’Alain Bertaut.

J’avais en mains toute la partie relations publiques, les opérations promotionnelles, la berlinette était très à la mode, on nous demandait sans arrêt une auto pour faire des photos dans les magazines, on a fait beaucoup de séances avec les yé-yés pour Salut les Copains, c’est une voiture qui correspondait bien à l’esprit des jeunes.

Je venais avec la voiture pour des séances photos avec Sylvie Vartan, Richard Anthony, Johnny Halliday.

En plus le côté sympa, c’est que nombre de ces vedettes nous  achetaient des voitures, un bon client par exemple qui passait souvent au garage parce qu’il habitait Montmartre, c’était Jean-Pierre Marielle, il était fou amoureux de son cabriolet Alpine.

Plus tard  est arrivé chez Alpine un personnage que je n’ai apprécié qu’à moitié, Olivier Lamirault, curieux personnage, il venait de Renault et avait bien compris ce que Billancourt pouvait tirer en terme d’image du succès des Alpine. Il tenait absolument à prendre la parole devant les journalistes pour mettre en valeur la partie Renault d’Alpine. Une histoire amusante qui révèle bien le caractère du bonhomme, cela se passe Au Monte-Carlo je ne sais plus quelle année. Il réunit la presse et il insiste auprès d’eux pour qu’ils notent bien qu’il s’agît de Renault Alpine ; alors les journalistes présents le font préciser :

Vous dites bien Renault Alpine, il ne faut plus dire Alpine Renault

– Oui c’est cela, Renault Alpine.

Dans la nuit, Berezina, toutes les boites cassent.

Le matin le même Lamirault réunit toute la presse et leur dit :

-Vous dites bien que ce sont des Alpine Renault.

Les journalistes goguenards lui rappellent que la veille il avait insisté sur l’inverse et Lamirault de répondre :

Oui mais c’était hier, ce sont  des connards, ils ne savent pas faire marcher les boites alors vous écrivez bien que ce n’est pas Renault qui a perdu mais que c’est Alpine.

Les rallyes prenaient tellement d’importance et l’organisation devenait si lourde que l’on devait installer des Pc pour chacune des épreuves. Pour le Monte Carlo on s’installait à l’Hermitage. Les moyens étaient quand même très limites, il fallait que les gars s’arrêtent dans un tabac, dans une cabine téléphonique, dans une ferme, pour nous donner les temps, malgré cela , il nous arrivait parfois d’en savoir  plus que l’Automobile Club de Monaco, il m’appelait souvent à  l’hôtel, on échangeait nos informations.

C’était très prenant, on faisait du circuit, du rallye, je n’avais pas de vie personnelle, je n’aurais pas pu être marié, il fallait que je sois tout le temps disponible, on rentrait d’une course ou d’un rallye pour s’occuper de la communication de la pub, des essais presse et surtout vendre des voitures. A ce propos, nos expéditions sportives nous donnaient beaucoup d’arguments et d’aplomb pour vendre les Alpine, cela nous donnait une crédibilité extraordinaire auprès des clients qui par définition étaient des sportifs. Pendant très longtemps on a connu tous nos clients personnellement, ensuite la vente s’est faite aussi par le réseau des concessionnaires

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CC –  Votre vie à cette époque est entièrement tournée vers le milieu du sport auto.

 

C.F – D’abord, il faut préciser  qu’au début de ma carrière le monde des pilotes était relativement petit et presque exclusivement composé de gentlemen drivers. Nous vivions un peu en circuit fermé. Il y avait un endroit où tout ce petit monde se retrouvait chaque  soir, c’était le Bar de l’Action, au 65 avenue d’Iéna. C’est Monique, la femme d’Harry Shell qui tenait cet établissement. Jo Schlesser, Greder, Rosinski, Crombac, Consten, mais aussi  les pilotes étrangers de passage à Paris connaissaient l’endroit, c’était le point de ralliement .Ce qu’on appellerait aujourd’hui le microcosme du sport automobile se retrouvait à cet endroit. C’était un bar où l’on prenait un verre et ensuite nous allions diner.

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Jean Lucas et Gerard Crombac ont crée Sport-auto au bar de l’Action.

 C’est à cette période que j’ai beaucoup fréquenté Clark ,il vivait à Paris et passait une bonne partie de son temps libre à Sport- auto rue Brunel, il s’enfermait dans une sorte de placard où étaient rangées les archives et il compulsait les revues anglaises comme Autosport , c’est comme ça que j’ai fait sa connaissance , quelqu’un a ouvert la porte de ce réduis et j’ai vu Clark assis, le nez dans un magazine , on est devenu copain toujours grâce à mon anglais, rares était ceux qui maitrisaient cette langue et nous dinions souvent ensemble, un soir , un lundi, dans un bistrot où j’avais mes habitudes au Claude Saint-Louis, rue du Dragon,  le patron m’interpelle avec l’Equipe à la main pour me vanter les talents d’un jeune écossais qui avait particulièrement brillé la veille lors d’une course.

Il ne le connaissait pas bien sûr, il n’y avait pas autant de photos qu’aujourd’hui. Vous imaginez son étonnement lorsque je lui ai présenté Jim Clark, le garçon avec qui je partageais la table. Mais vous devez connaitre cette histoire, je l’ai souvent racontée.

 

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C’est une époque où pas mal de pilotes habitaient Paris pour des raisons fiscales, comme aujourd’hui la Suisse. Jochen Rindt s’était installé à Paris, nous passions de bons moments ensemble, je vois toujours son épouse Nina qui vit maintenant en Suisse, dans la maison qu’ils avaient achetée à côté de celle de Jo Bonnier.

J’ai toujours gardé des contacts sympathiques  avec les anglais, on les côtoyait sans arrêt en particulier en F2 ; je me remémore des diners à Albi, à Pau, à Reims, on était tous ensemble à table, Brabham, Clark, Hill, la table, c’était la grille de départ de la course du weekend end , tout ça en rigolant , en déconnant. Ils se détendaient après la nervosité des courses, il y avait une ambiance tout à fait particulière, légère et insouciante, il faut se remettre dans les conditions de l’époque, ces garçons risquaient leur vie chaque weekend end, on allait pratiquement à un enterrement toutes les semaines, quand c’était pas deux  comme cette course à Rouen où se sont tués  Dayan et Salomon . Chez Alpine on a perdu un jeune pilote de grand talent je pense à Robby Weber. nJe crois qu’après la  fermeture du Bar de l’Action, nous nous sommes transportés au Club Sport-Auto, rue Brunel qui faisait bar et restaurant le midi, c’est là qu’un jour, surprise ! On a vu le chef sortir de sa cuisine avec deux flics qui l’entouraient, le chef c’était Georges Houel, il avait du faire un trafic avec des voitures notre Jojo.Encore après, il ya eu France Auto Club rue de Longchamp. C’était des endroits où nous pouvions nous retrouver. Hélas cela n’existe plus 0 Paris, le monde a tellement changé que cela serait impossible maintenant, tout le monde est dispersé et personne n’a vraiment ni le temps ni le goût de vivre ensemble.

CC  – On parle beaucoup sur MdS et ailleurs de François Cevert, vous l’avez sans doute bien connu ?

C.F – François,  je l’ai connu quand il a gagné le volant Shell, il y a gagné une Alpine. Ce n’était pas une bonne Alpine. J‘étais très lié avec lui et sa sœur Jacqueline, je le sentais grand pilote, à mon avis il aurait dû être plusieurs fois champion du monde. Alpine est passé curieusement à côté de ce  champion. C’est un peu un mystère pour moi, il avait tout pour plaire à Rédélé, je me pose encore la question, pourquoi ne lui a-t-on pas donné une bonne voiture tout de suite. Peut être cet épisode révèle t-il, de façon dramatique,  la rivalité qui existait chez Alpine entre Dieppe et Paris. François était parisien, il n’a pas voulu s’installer à Dieppe, il n’a pas voulu s’intégrer, du coup l’usine l’a délaissé. Depailler, lui, a joué le jeu, il a été malin, il s’est mis bien avec Mauro Bianchi , il a vécu à coté de l’usine , alors il a été adopté. C’est peut être la raison. Avec François, nous étions vraiment très bon copain, j’allais faire du ski avec lui, je me souviens de la dernière fois où nous avons skié ensemble c’est à l’intersaison 69-70,  il est tombé et s’est cassé la clavicule, on est rentré  au chalet, nous étions chez Killy. François était très gêné,  il n’osait pas appeler Tyrrell pour le prévenir, c’est Jean-Claude qui a téléphoné à Ken en lui racontant que François avait glissé sur une plaque de verglas. Je pense qu’au bout du fil Tyrrell n’était pas dupe mais François était soulagé. Nous nous sommes moins vus sur la fin quand il est entré chez Tyrrell, il était naturellement moins disponible.

J’ai bien connu son beau-frère Jean-Pierre Beltoise. Je pense pouvoir dire que j’étais le seul Alpine à être très ami avec Jean-Pierre, car il y avait une rivalité féroce entre les hommes de chez René Bonnet  puis Matra dont il faisait partie et les Alpine dont j’étais. Mais j’ai toujours fait la jonction  et suis resté ami alors qu’il y avait une animosité certaine entre les deux maisons, il faut dire que le père Bonnet était un personnage pas facile.

J’ai même vécu chez Jean-Pierre, à La Vallée, dans le sud de Paris,  lorsqu’il a vécu le drame de perdre sa femme. Il n’avait et on le comprend pas le moral du tout, alors il a demandé à des copains comme Manou Zurini, Johnny Servoz et  moi de venir habiter avec lui, durant cette période difficile. C’est pour vous dire que les liens d’amitiés que j’avais avec lui, n’étaient pas gâchés par les rivalités de marques concurrentes, cela ne nous empêchait pas d’être de féroces rivaux sur les circuits.

 

CC – En 1974, vous quittez Alpine, cela a dû être un déchirement.

C.F – Non cela c’est fait naturellement, je pars au moment où Jean Rédélé  vend Alpine à Renault. Je dois avouer que cette vente m’avait surpris, cela m’avait paru  incroyable. Mais, Renault avait la farouche volonté de mettre la main sur Alpine pour avoir les coudées franches. Je pense que dans le même temps cela arrangeait Rédélé, cela le soulageait de pas mal de choses et de plus c’était  une sorte de consécration pour lui de céder son affaire à Renault.

A ce moment tout change. Tout devient Renault, Bernard Hanon engage Gerard Larousse que j’avais fait entrer chez Alpine et avec qui j’avais des relations amicales pour lui confier les commandes de la compétition. Pour ce qui me concerne, en tant que responsable de la communication, je me retrouve sous les ordres de Michel Rolland, un directeur de Renault avec lequel je savais que je ne m’entendrais pas, donc je démissionne.

J’avais une certaine réputation dans le métier et je suis tout de suite  engagé chez BMW France chargé des relations publiques. Cette période m’a marqué profondément par la façon dont on travaille dans une firme allemande. Chez eux, j’ai vu ce que c’était de travailler avec une boite au top de la qualité, au top de la fabrication, au top de la technologie. Quand on voit aujourd’hui le succès des constructeurs premium allemands, il ne faut pas s’étonner, il y a aucune comparaison entre l’organisation et la gestion d’une boite teutonne et une boite française ; Tout est calibré, minuté, organisé, rigoureux, des vrais pros. J’ai lancé en France une voiture assez brillante, la 2002 Turbo, qui a eu un assez grand succès, c’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance d’un pilote qui était devenu Dr de la compétition BMW qui s’appelait Jochen Neerpasch. Pour la présentation presse, sur circuit, nous avions confié les autos à des pilotes professionnels, ils étaient enthousiastes et surpris par ses qualités et sa puissance, ils tiraient tellement dessus qu’un train de pneus faisait à peine 15 tours.

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Je fais deux ans dans cette bonne maison, un nouveau choc pétrolier arrive, qui choque encore plus durement le secteur automobile que le premier de 73, à tel point que nous nous demandions si la firme allait survivre, ce n’était plus drôle du tout, je suis parti en pensant  quitter l’automobile.

J’en parle à mon ami Jean-Claude Killy qui avait pour projet de commercialiser une ligne de vêtements à son nom et nous démarrons l’aventure ensemble.

Je suis resté 4 ans avec Killy à faire un métier totalement différent. Je m’y suis bien amusé, c’était un nouveau métier, il fallait sélectionner des étoffes, rencontrer des stylistes, faire le tour de la France pour convaincre des revendeurs, un job encore très prenant.  Un nouvel associé est rentré au capital, avec un état d’esprit qui ne me convenait pas et je suis parti.

 

CC  – Retour dans l’automobile ?

 

C.F – En quelques sortes, j’ai rejoint Jean-François Rageys, dont la société Promocourse  gérait la présence des cigarettiers comme Marlboro ou la SEITA sur les circuits et  les manifestations de sport-mécaniques en général.  

Je sortais de chez Killy  et ses lignes de vêtements , je propose à  Jean-François d’élargir son champ d’activité et de travailler sur les lignes de vêtements des écuries comme Ligier Gitanes ou Mac Laren Marlboro avec l’idée d’abord d’habiller les membres de ces écuries puis d’adapter et de commercialiser ces lignes de vêtements  par correspondance et sur place au public qui vient voir les courses. Sur chaque circuit, on débarquait avec notre camion rempli de blousons, de pulls, de tee-shirt, de polos, casquettes etc. 

Une année à Spa durant les 3 jours du Grand Prix, on a eu un jour de pluie, un jour de froid, et un jour de grande chaleur, le dimanche en fin de matinée on avait vendu tout ce qu’il avait dans le camion. D’habitude c’était tout un binz il fallait au retour faire un inventaire pour expliquer à la douane ce que l’on n’avait pas vendu, cette fois là,  on est rentré à vide ce qui a facilité grandement le passage en douane. 

Petit à petit, on a beaucoup amélioré la qualité de nos produits, on a senti qu’aussi bien, les écuries, les cigarettiers que les clients souhaitaient que les vetements soient de bonne facture, bien coupés. 

On s’est aperçu que les clients qui achetaient un pull marqué Marlboro ou un polo le porteraient tous les jours, comme  ils auraient porté une chemise Lacoste, donc il fallait que cela tienne . Jean-Pierre Aujoulet au Seita, avait bien compris l’intérêt qu’il pouvait tirer de cela et il nous finançait tout, et Promocourse prenait une commission. 

Pendant ma période Promocourse, je fais la connaissance de Paul Belmondo, je sympathise avec lui. A la surprise générale il gagne le volant Elf et il me demande de m’occuper de sa carrière. J’accepte volontiers et donc je m’occupe de lui. J’arrête Promocourse, parce que je me rends tout de suite compte que si gérer la carrière d’un jeune pilote de Formule Renault n’est pas un job à temps plein, gérer celle de Paul l’était. Il faut se remémorer le ramdam qu’il y avait autour de lui, souvenez qu’il n’était pas moins que le fiancé de la Princesse Stéphanie de Monaco en plus d’être le fils de Jean-Paul.  

Durant cette période amusante, je vis quasiment 24h sur 24  avec eux, on dine ensemble tous les soirs et je découvre le monde impitoyable des paparazzis. C’était Newman et le parfum Jules de Dior qui étaient sponsor, Paul était habillé Newman et Stéphanie portait presque tout le temps un blouson Jules avec les paparazzis qui les mitraillaient en permanence, l’investissement des sponsors était hyper amorti. 

Sur les circuits, c’était incroyable il y avait autant de photographes autour de la Formule Renault de Paul que s’il avait été en F1, il y avait toujours Stéphanie pas loin, c’était de la folie. C’était le petit couple à la mode. Cela a duré deux ans, très sympa, ils étaient charmants tous les deux et moi cela m’a permis de retrouver l’ambiance des circuits, de la F3 et des copains comme Hugues de Chaunac qui s’occupait de l’Ecurie de Paul et que j’avais fréquenté comme pilote lorsqu’il faisait la coupe Gordini. Ensuite, Paul et Stéphanie  se sont séparés lui est passé en F3000 puis en F1, il n’a plus eu besoin de moi mais nous avons gardé de très bonnes relations. 

Le fait de fréquenter des vedettes m’a conduit à rencontrer Christophe Collaro, le frère de Stéphane, qui voulait, poussé à cela par Nissan, remettre au gout du jour ce que Moustache avait inventé dans les années 70 le Star Racing Team, c’est-à-dire des courses de véhicules monotype pilotés par des célébrités passionnées de sport automobile en lever de rideau des courses officielles nationales. 

Cela avait beaucoup de succès en particulier au niveau des organisateurs qui voyaient venir lors de leurs manifestations une nouvelle clientèle, les maris pour les courses FR, F3, et leurs femmes et enfants pour les stars. Donc on était reçu comme des pachas par les organisateurs, tapis rouge et tout ce qui s’en suit. On leur disait on voudrait la course à 11h, mais bien sur vous aurez la course à 11h et ensuite vous aurez la tente pour le déjeuner. 

Le rôle de Christophe était de s’occuper de l’organisation et moi de recruter et animer les stars. Je garde en mémoire de savoureux moments et des franches rigolades. 

Comme toujours, ce type d’événement ne fonctionne que le temps où la marque qui sponsorise l’opération y trouve son compte, d’abord Nissan puis Fiat, lorsqu’ils se sont lassés nous avons cessé.

 

CC – Vous donnez l’impression d’un homme qui a traversé sa vie professionnelle dans la joie et la bonne humeur.

 

C .F – Dans ma carrière je me suis toujours bien amusé, j’ai fait à peu près ce que je voulais, on m’a toujours donné les clés, j’ai la chance d’avoir un très bon contact. Je vois toujours ceux que j’ai fréquentés et avec qui j’ai travaillé.

Celui finalement que je vois le moins, c’est celui qui est à l’ origine de tout ça, c’est Claude Rédélé. Il habite en Normandie, il a une autre vie, c’est un intellectuel, artiste qui vit comme un ascète.

Mon objectif aujourd’hui , mon grand rêve , ce serait réussir a fédérer la multitude de clubs Alpine disséminés un peu partout, je crois qu’il y en a 150 pour faire un Club Alpine, mais c’est difficile , il faudrait que Jean-Charles Rédélé s’investisse dans cette histoire mais il en a pas trop envie.

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C’est un vrai bonheur que de rencontrer un homme comme Claude Furiet, il rassure sur le genre humain, il fait regretter aussi de ne pas avoir eu l’âge de fréquenter assidument, le Bar de l’Action

 

Jean-Paul ORJEBIN

 

Photo 1 : Claude Furiet Monaco @ DR

Photo 2 : Avec Patrick Depailler et François Guiter @ DR

Photo 3 : Avec Jo Schlesser et Henri Grandsire@ DR

Photo 4 : Avec Nina Rindt, Helen Stewart et x @ DR

Photo 5 : Claude Furiet chez lui @ JP Orjebin

 

* : Publié précédemment sur Mémoire des Stands

 

 

 

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