Charade
2 juillet 2022

Circuit de Charade (Clermont-Ferrand), le 2 juillet 1972


https://bit.ly/3R2tQTd

Revenant de Royat où nous avons dîné hier soir pour rejoindre la tente plantée en sauvage quelque part du côté des Grioles, une féerie lumineuse nous saisit. 

Elle illumine le massif montagneux où un audacieux nommé Jean Auchatraire a imaginé un circuit de F1 – et l’a construit : lumignons en procession comme autant de phares d’autos qui tournent sur la piste constituée de routes ouvertes. 

Patrice Vatan

Folie d’un samedi soir de Grand Prix des années 70 où tout est démesuré, tout est possible.

Guy Royer aventure sa Fiat 128 Rallye dans ce trafic insensé. Ça roule à fond la caisse dans les deux sens, ça se double n’importe comment, les flics absents.

La fantasmagorie avait déjà frappé ce qui deviendrait les monts d’Auvergne une première fois il y a 25 millions d’années lorsque le magma avait eu l’idée saugrenue de crever la croûte terrestre, y creusant des volcans, retombant en myriades de scories de toute nature, dont de petits silex coupant comme des scalpels. 

L’un d’eux sortirait du lot, acquerrait même une certaine notoriété une fois sorti d’un ennui pétrifié de 25 millions d’années, appelons-le THX1138, ça fait nomenclature scientifique.

La malchance légendaire de Chris Amon. Les effets de cette malchance – que certains imputent à son comportement peu rigoureux – se lisent sur son visage au soir du Grand Prix de France disputé pour la quatrième et dernière fois à Charade. 

La photo prise par Rainer Schlegelmilch est plus signifiante que tous les papiers noircis à propos de cette victoire qui n’aurait pas dû lui échapper. Pourtant il avait arraché une pole démoniaque, battu le record du tour, remonté cinq places, après son arrêt inopiné, comme un boulet de canon sur ses devanciers pour terminer troisième, sautant Peterson et Cevert en un seul élan au bout de la ligne droite. 

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« La Matra est un avion et Amon un ange », écrirait Jean Thieffry dans Virage.

Entre Rainer Schlegelmilch et nous, y a pas photo. Ou alors s’il y a, ce sont trois malheureux clichés académiques encadrés d’une bande blanche trahissant l’amateurisme.

Disposant d’un Rolleicord 6 X 6, imposé par l’école de photo, votre serviteur rechignait à le coller sous le nez des sujets. 

Charade
Ken Tyrrell , Circuit de Charade 1972 © Patrice Vatan

Sur le premier on voit Ken Tyrrell apporter un café à Bert Baldwin, de Goodyear. Le soignait-il particulièrement à la lumière de ce qu’on apprit plus tard, à savoir que la firme d’Akron avait monté sur la 003 de Stewart, le vainqueur avisé, des pneus spécialement renforcés, anti-gravillons ?

Charade
Emerson Fittipaldi, Circuit de Charade 1972 © Patrice Vatan

En conversation avec Peter Warr, Emerson Fittipaldi est dubitatif. « Rookie » à Charade, il ne placera sa vieillissante Lotus 72 qu’à la huitième place sur la grille mais transformée en une deuxième marche du podium.

Charade
Jacky Ickx, Circuit de Charade 1972 © Patrice Vatan

Masquant Peter Schetty et conversant avec un homme à identifier, qui lui même cache malheureusement Catherine, Jacky Ickx, toujours très en pointe à Charade, était dans les roues de Stewart au 25e tour lorsqu’il creva.

Ce matin, au moment où, montant du paddock, les moteurs cognent dans les défilés volcaniques, pour les essais libres, Guy Royer décide que nous assisterons à la course depuis une falaise rocheuse entre Champeaux et le gauche du Petit Pont. 

Charade n’a rien de Nivelles ou du Ricard. C’est une piste creusée parmi les volcans, d’un côté la falaise, de l’autre le vide, souvent. 

En plus d’un pied marin naturel, L’ami Guy présente des caractéristiques propres à la chèvre des montagnes, moins en raison du physique que par sa sûreté de pas en terrains escarpés. 

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Aussi entraîne-t-il dans un crapahutage surhumain votre serviteur, plus à l’aise à la terrasse du Voltaire ou dans les fauteuils clubs du Gaumont-Les Halles ; un serviteur regimbant, maugréant mais ébloui par le panorama qui s’étire au loin entre le Puy de Dôme et l’agglomération clermontoise : grandiose circuit de Charade.

À quelques mètres sous nos pieds ballants dans le vide passent à intervalle régulier de moins de trois minutes, à travers le feuillage, les trois hommes de tête : Chris Amon dont la Matra MS120D a retrouvé une deuxième jeunesse, Denny Hulme sur sa McLaren M19C et Jackie Stewart, Tyrrell 003. 

Un écart de dix secondes avec les suivants emmenés par Jacky Ickx. 

Mi-course, cette fois la Matra va gagner, Amon va conjurer le mauvais sort qui le prive depuis toujours d’une victoire en Grand Prix. Nous exultons sur notre rocher, projetant inconsciemment de minuscules cailloux en bas.

C’est alors que notre vieille connaissance THX1138 choisit cet instant pour casser sa routine minérale. Positionné en bord de piste, il darde sa pointe sur un des Goodyear trop tendres de Chris Amon, le perce, condamne le Kiwi à l’arrêt au stand, engendre une réaction en chaîne qui, causée par la déception immense de cette défaite impossible, aboutira à l’abandon du programme F1 de Matra à la fin de l’année.

La tête basse, nous descendons vers la voiture, Guy Royer trimballant sa vache à eau sous le bras, remplie de l’eau des monts d’Auvergne. Le détail a son importance, souvenez-vous-en lors du prochain GP.  

Image © Rainer Schlegelmilch

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