Le sport automobile est ainsi fait : celui qui avait juré ne plus boire se dit prêt un beau matin à lever le coude à nouveau. Après l’avoir quittée pour « raisons économiques », Honda annonce pour 2015 son retour en F1. A croire qu’ils ne peuvent s’en passer !…
Décembre 2008. Une crise sans précédent (ou presque) enserre la planète dans son étreinte asphyxiante. Le sport automobile n’échappe pas à la tempête et les voilures sont ramenées de toutes parts pour tenter de passer la tourmente au moins mal. Honda profite de ce moment de panique pour larguer définitivement son écurie de F1. Motif invoqué : en tant de crise aigue, il faut couper avec ce qui coûte trop cher, et la Formule 1 coûte trop cher. Les observateurs les moins aveugles remarquent surtout que le constructeur nippon essaye de se la jouer belle pour faire oublier le fiasco de sa reprise de l’écurie BAR trois ans plus tôt (comme par hasard, au même moment Subaru – en panne de résultats probants – annonce son renoncement au WRC pour les mêmes raisons économiques vertueuses). Mai 2013. La crise est toujours on ne peut plus là, l’industrie automobile essaie toujours de réduire ses coûts tant et plus, et voilà-t-y pas que l’honorable Takanobu Ito, président-directeur général de Honda, annonce que le vénérable marque nippone va revenir en 2015 motoriser sa vieille « amie » l’ écurie McLaren. Donc ce qui coûtait trop cher il y a cinq ans ne coûte plus aussi cher ?
C’est possible. Mais ces retournements de situation démontrent surtout que les grands constructeurs ont l’art de profiter de l’actualité brûlante pour tirer leur révérence avant que ne volent les tomates ou, au contraire, se calibrer un joli coup médiatique en annonçant un retour fracassant. Honda n’est certes pas le seul à faire des allers-retours réguliers dans les paddocks, mais il est un de ceux qui ont eu une relation des plus compliquées avec la Formule 1.
Arrivée en 1964 comme constructeur à part entière avec une voiture (très) rudimentaire et un V12 transversal qui hurlait comme « plusieurs moteurs de moto », le constructeur japonais ne fut jamais vraiment dans le tempo d’une compétition essentiellement européenne dont il avait du mal à saisir toutes les finesses. Ce n’est que vingt ans plus tard qu’il trouvera le bon registre, en tant que motoriste des écuries Williams, Lotus et surtout McLaren. Cette période reste la plus fructueuse pour Honda avec tous les titres mondiaux raflés en six saisons consécutives ! L’arrivée triomphante de Renault poussa alors l’honorable firme à « prendre du recul ». Elle garda néanmoins toujours un œil attentif sur cette Formule 1 qu’elle comprenait parfaitement à présent, notamment grâce à la présence de sa filiale Mugen qui entretint une « cellule de veille » durant quelques années. A l’orée des années 2000, Honda décidait de plonger à nouveau dans le bain, via l’aventure BAR .
L’échec cuisant de cette écurie poussa alors la firme nippone à tenter le pari que venait de réussir Renault en 2005 : racheter la structure pour gagner enfin en tant que constructeur à part entière. Malheureusement pour l’écurie japonaise, les dieux de la course ne furent pas aussi cléments qu’avec sa consoeur française et c’est ainsi que fin 2008, Honda s’abrita derrière le prétexte de cette crise financière mondiale terrible pour justifier un retrait qui ne masquait pourtant pas la défaillance totale de maîtrise d’un sujet qui la dépassait apparemment. Le plus grinçant de l’histoire pour Honda fut certainement d’assister l’année suivante à l’incroyable triomphe de cette écurie qu’elle avait vendue pour une somme symbolique à son directeur Ross Brawn, qui avait remplacé « à l’arrachée » le V8 japonais par un V8 Mercedes !
Pour expliquer le retrait de Renault fin 1997 au terme de six saisons triomphales chez Williams et Benetton, Bernard Dudot avait expliqué que lorsqu’on gagnait tous les grands prix (ou presque), on ne parlait finalement plus de vous que lors des rares fois où vous abandonniez, et qu’il était alors temps de se retirer. Comme Honda, Renault fit des allers et retours au gré de ses amertumes et de ses joies. Comme Honda, Renault affirma que le rôle de motoriste était bien plus confortable, pour expliquer le contraire quelques années plus tard quand ça l’arrangeait. La difficulté de gagner en tant que constructeur reste immense, surtout dans la F1 moderne, et on ne peut qu’applaudir avec du recul les titres de Renault glanés en 2005 et 2006 (même si la suite ne fut pas du même tonneau). Honda s’y est cassé les dents, Mercedes persiste à penser qu’il y arrivera, et BMW a honteusement jeté l’éponge il y a quelques années sous le même prétexte fallacieux que Honda.
Soucieux de ne pas voir les autres continuer à se partager le gâteau sans lui, Honda est naturellement persuadé que le retour du moteur turbo va lui fournir l’occasion de démontrer ses talents comme aux plus beaux jours des années 80. Comme Renault il y a peu, il expliquera vraisemblablement que le rôle de motoriste est bien moins exposé que celui de constructeur et qu’il permet à son équipe technique de travailler dans une plus grande sérénité. Mais à l’instar de Renault, il devra gagner s’il veut retrouver sa crédibilité d’antan dispersée dans ses récentes pérégrinations.
Pierre MENARD
Crédits photographiques :
1- V6 turbo Honda (McLaren 1988) © Lucas Gorys 2- V12 Honda, GP d’Allemagne 1964 © Archives Cahier 3- Ritchie Ginther, GP du Mexique 1965 © Archives Cahier 4- Ayrton Senna, GP d’Espagne 1989 © LAT Photographic 5- Jenson Button, GP de Hongrie 2006 © Archives Cahier