Cet air-là, https://bit.ly/3rME1NV, que matraquent en ce début de printemps 1971 les charts anglais, colle tant à l’image saisie au débotté par ce drôle de petit Allemand noir de poil, à la moustache tombante de gaulois, Rainer Schlegelmilch, qu’on eût dit que Perry Como a fait rimer son nom avec Alfa Romeo, avec Henri Pescarolo.
Just impossible que la firme milanaise renoue avec le succès international vingt ans après les dernières victoires de Fangio en F1. It’s impossible que le grand Henri sourie franchement, lui le misanthrope, ce pessimiste ontologique que la mort de sa mère, il y a dix ans, avait fermé à double tour.
Littéralement porté en triomphe par la turbulente et brouillonne équipe d’Autodelta, dans les stands de Brands Hatch étrillés par un froid polaire, Henri Pescarolo vient d’assurer le dernier relais sur l’Alfa Romeo 33/3 partagée avec Andrea de Adamich. Deuxième à une heure de la fin des 1000 km de la BOAC, il doit sa victoire au surrégime fatal causé par Toine Hezemans sur l’autre 33/3, en tête.
« The de Adamich/Pescarolo car was not the fastest in the race, it ran faultlessly throughout where faster cars floundered » écrirait dans Motorsport du mois de mai, Andrew Marriott. Luc Augier, courageux envoyé spécial dans la glacière du Kent, résumerait l’état d’esprit de Pesca dans Moteurs : « Toujours lucide et modeste, Pescarolo place sa victoire à sa juste valeur ».
Un premier succès dans un championnat du monde qui lui vaudra enfin la couverture de Sport Auto. Deuxième drapeau à damiers en moins d’un mois, après celui abaissé à Mallory Park sur la très jolie et gracile March 712 de F2 de Frank Williams. Pesca revient de loin. L’enfer s’ouvrait sous ses pieds lorsque Jean-Luc Lagardère le crucifia à la hussarde, en septembre de l’année dernière, dans une novlangue managériale qui ferait florès le siècle suivant ; il était « libre » de chercher un autre volant s’il le désirait.
Comme si Matra avait été une prison pour celui qui avait tout lâché, son avenir confortable de médecin, pour cette firme chérie, intégrée en 1965 après que le préparateur de la Lotus Super Seven de l’AGACI avec laquelle il avait brillé à la Coupe des Provinces, Michel Salasc, eut parlé de lui à Jean Caubet, ingénieur chez Matra. Lui qui avait risqué sa peau au Mans en 68, l’y avait brûlée au troisième degré l’année d’après, lui pour qui ses mécanos se seraient fait découper en rondelles, « libre »…
Johnny Rives rapporte dans son grand livre sur Pescarolo une scène morose au soir du Grand Prix du Mexique 70. Un dîner réunit l’équipe de Jean-François Robin, tout le monde est triste. L’arrivée à une table voisine de l’équipe March avec Chris Amon, engagé par Lagardère pour 71 à la place de Pesca, déclenche les réactions désabusées des mécanos. Ils le vannent entre eux, Tout-Petit, Marcel, Biloute.
Mais l’un d’eux reste prostré, Roland Manuel, mécanicien attitré d’Henri depuis 1967. Il a peur que son pilote adoré ne sache se vendre, démarcher les directeurs d’écurie, lui qui abhorre à ce point les contacts humains.
Et pourtant. Après s’être mis dans la poche Gérard Crombac qui connaît tout ce qui bouge en auto de course en Angleterre, Henri parvient en moins de deux mois à signer avec Frank Williams pour la F2 et la F1 ; avec Autodelta en Sport, alors qu’il se paye le luxe de devoir refuser un engagement chez Brabham le jour d’après avoir conclu avec Williams, et de décliner une monte, arrivée trop tard, pour le Martini Racing sur les grosses Porsche 917 qui avaient sa préférence par rapport aux protos 3 litres.
Sur un calendrier de 52 week-ends en 1971, il cochera 36 dates en F1, F2, Sport. Il est « libre », Henri. Mais son cœur en forme de coq rouge ne saura résister à l’appel de son libérateur, Lagardère, pour Le Mans l’année prochaine.Allons, ceci est une autre histoire.
Image © Rainer Schlegelmilch