The Rising Sun Inn, Fawkham Green, Kent (Grande-Bretagne), le 14 juillet 1972
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Brands Hatch Circuit. Dernier jour des essais du John Player Grand Prix.
Le soleil tape et nous réalisons avec horreur que la vache à eau extraite du coffre de la Fiat 128 de l’ami Royer a été remplie à Charade, quinze jours auparavant.
Patrice Vatan
Nous buvons à Paddock Bend cette eau chaude devenue lourde, au goût des monts d’Auvergne, à la santé de Beltoise qui « passe » devant nous au volant de l’une des deux BRM P160, 01 et 06, qu’il utilisera alternativement lors des essais.
Les guillemets font de « passe » une litote sous-évaluant outrageusement le geste démentiel qui consiste à négocier Paddock Bend.
Spectacle insensé pour le spectateur placé à l’extérieur que la force centrifuge semble précipiter sur soi une auto aux roues gauches écrasées, l’avant-droite décollée.
Sensation paroxystique pour le pilote qui balance sa voiture dans cette courbe rapide en dévers, à l’aveugle, en soulageant le moins possible, tâchant d’éviter le sous-virage, veillant à ne pas sortir trop large et mordre sur la terre.
Paddock Bend, une courbe archaïque prise dans un circuit d’un autre temps
Impressionnante prise de contact avec Paddock Bend, avec Brands Hatch, avec l’Angleterre dont c’est notre première fois ce vendredi.
Distante de seulement une trentaine de kilomètres de la France, la Perfide Albion déroute tellement un esprit français qu’elle pourrait se situer en Papouasie : on y court le samedi ; on y mange du lamb pork aux petits pois vert fluo inondés de jelly, comme hier soir au Bull, un auberge passant pour raffinée à Wrotham, à une portée de fusil du circuit ; on y campe en Rolls, en Jaguar ou en Aston Martin, moins par snobisme qu’en vertu d’un art de vivre.
C’est dans ce camping improvisé derrière Paddock Bend que Guy a planté sa tente.
Les clameurs se sont tues. Le soleil qui a régné toute la journée s’incline par-delà les bois qui ceinturent B’Hatch. Une fraîcheur bienfaisante ventile la terrasse du Rising Sun Inn, un pub datant du XVIe siècle, sis à un jet de pierre du site qu’on appelait alors « Bronkehach », expression gaélique, contraction de « bron » (pente boisée) et de « hach » qui signifie orée de la forêt.
Nous partageons une table en bois avec deux types aux cheveux longs, des Kiwis apparemment. L’un arbore un tee-shirt marqué Pukekohe 500, son pote a une chemisette Yardley McLaren customisée d’un ours qui ressemble à Denny Hulme.
Grille de départ en main, obtenue grâce à Didier Braillon qui, lui, est accrédité de par sa position de président du club Jean-Pierre Beltoise, nous « faisons le papier », exercice consistant à estimer les chances de pilotes en course selon leurs positions sur la grille de départ.
Exercice qui virerait au rite, qui rimerait avec délice au long de nos dix ans de Grands Prix glanés dans toute l’Europe, la décennie merveilleuse d’une vie.
En première ligne, Ickx et Fittipaldi se conforment à la hiérarchie dégagée depuis le début de saison.
S’il n’avait pas planté à Druids Bend sa Tyrrell 005, comme Cevert à Charade, Jackie Stewart serait sûrement en première ligne, au lieu de camper juste derrière.
À son côté, Peter Revson est un étonnant quatrième temps qui fait beaucoup mieux que son chef de file Denny Hulme qui est relégué en sixième ligne. Qu’est-il arrivé au « Bear » ?
Au mot « bear », nos voisins s’animent. Il ressort du discours qu’ils nous tiennent qu’il étaient à Road Atlanta la semaine dernière où ils ont assisté à un crash « very impressive » de leur idole : « Denny was going about 300 an hour following Follmer’s Porsche when his McLaren took off like an airplane and crashed on its back, sliding for at least a hundred yards. Shirtless guys slid out from behind the barriers and pulled him out of the burning wreck. Unscathed but concussed to the point that he had amnesia for 24 hours. »
Beltoise a hissé sa rétive BRM en troisième ligne. Toujours saignant à Brands Hatch, JPB. Et comme il réussit généralement ses départs, espoir…
Désespoir pour son copain Pescarolo, lanterne rouge à plus de cinq secondes du poleman Ickx. À le voir zigzaguer sur la piste, parvenant à peine à l’y maintenir sa Politoys engagée par Frank Williams, on sera peu surpris par ce qui lui arriverait demain : La voiture s’est cassée en deux morceaux à la compression des ressorts, c’était incroyable. Je me suis retrouvé assis au milieu de la piste dans les débris de ma voiture !