C’était une époque où il n’y avait pas de podiums géants perchés à quinze mètres du sol au-dessus de la masse des fans bien canalisés comme pour un méga concert dans une « arena » déshumanisée. Une époque où le vainqueur de la course avait juste le temps d’immobiliser sa voiture et de se dresser debout sur son siège baquet avant qu’un groupe de personnes enthousiastes se jette sur lui, lui tende une bouteille de flotte, lui passe une couronne de lauriers autour du cou et lui refile une coupe rutilante. Avant le baiser!
Pierre Ménard
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Le baiser du vainqueur
Cerise sur le gâteau, une jolie demoiselle était là pour accorder un chaste baiser au lauréat du jour, dégoulinant de transpiration et maculé de cambouis. Mais encore fallait-il savoir comment s’y prendre ! Ce 12 décembre 1959 fut jour de fête pour l’écurie Cooper. Sur le circuit de Sebring d’ordinaire dévolu aux grandes compétitions sport, la Formule 1 célébrait le sacre d’une équipe qui avait osé le pari du moteur arrière, le couronnement de son pilote vedette et la première victoire de son jeune équipier. Pas de sang ni de larmes ici, mais pour sûr de la sueur à gros débit.
Jack Brabham avait triomphé sur la piste de ses principaux rivaux, Stirling Moss et Tony Brooks. Son team-mate Bruce McLaren sagement collé derrière lui, il maîtrisait la situation dans sa petite Cooper surnommée « la coccinelle ». D’ici quelques tours, il serait champion du monde ! Au dernier passage devant les stands, il hocha la tête en direction de son boss John Cooper pour lui faire comprendre que tout était sous contrôle et rendez-vous dans trois minutes et des brouettes au même endroit pour sabler le champagne. Quelques instants plus tard, un froid absolu lui glaça tout le corps : son moteur se mit à ne plus tourner que sur deux cylindres !
L’Australien positionna rageusement le levier au point mort au moment même où le Climax derrière lui s’étouffa. Définitivement ! Écrasé par tant d’injustice, Jack gesticula comme un forcené dans son cockpit pour faire avancer sa monoplace de quelques mètres supplémentaires, tout en indiquant de façon véhémente à Bruce l’ordre d’aller gagner cette fichue course. Le petit Néo-Zélandais ne se le fit pas dire deux fois et avala en trombe les derniers hectomètres du tarmac défoncé de l’autodrome floridien.
Miss Sebring
Le drapeau à damier l’accueillit le premier. Il n’était arrivé en Europe que l’année précédente, il n’avait que vingt-deux ans et il remportait là son tout premier Grand Prix de Formule 1, devenant ainsi le plus jeune vainqueur de l’histoire du championnat. Ça faisait beaucoup pour un seul petit bonhomme ! Mais en plus, il y avait cette fille à côté de lui qui attendait on ne sait quoi, ceinte de son écharpe « Miss Sebring Grand Prix » et coiffée d’un diadème d’un goût douteux.
« Il faut décidément tout leur apprendre à ces gamins », se dit John Cooper en observant son poulain fixer le bout de ses bottines. Fataliste, il délaça son bras des épaules de son pilote et lui poussa fermement la tête vers les lèvres de la belle brune. « Ah, c’est donc ça, gagner un Grand Prix » ! Un peu gêné, Bruce McLaren sourit aux photographes et Miss Grand Prix se dit qu’elle avait bien mérité son chèque. Non loin de là, Jack Brabham commençait à peine à retrouver ses esprits, après avoir poussé comme un damné sa Cooper sur 400 mètres jusqu’à la ligne d’arrivée, afin d’arracher une quatrième place synonyme de couronne mondiale. Et de s’effondrer juste après. La fête pouvait dès lors battre son plein et John Cooper envoyer d’excellentes nouvelles au pays : bons baisers de Sebring !