Ascanio Lucchi
2 juin 2021

Ascanio Lucchi mécanicien et co-pilote du grand Tazio.

Une photo où figure Ascanio Lucchi suffit à Rossano pour qu’il retrouve son enfance, les arômes et la musique qui régnaient dans les vieux garages de Modène tenus par des héros de la mythologie automobile.

Rossano Candrini
Traduit de l’italien par Jean-Paul Orjebin

Dans la même série :
Rossano Candrini 1 – L’ami d’Enzo Ferrari
Rossano Candrini 2  – Fiorano
Rossano Candrini 3  – Modène et Hollywood
Rossano Candrini 4  – Ma 288 GTO
Rossano Candrini 5  – Test secret
Rossano Candrini 6  – Une 250 Gte
Rossano Candrini 7  – Padrone bienveillant
Rossano Candrini 8  – Merci Ingegnere Forghieri
Rossano Candrini 9  – La Ferrari 4 portes
Rossano Candrini 10 – Paris truqué
Rossano Candrini 11 – Partie de billard avec Gilles
Rossano Candrini 12 – 12 Cylindres au col d’Abetone
Rossano Candrini 13 – Ascanio Lucchi

C’est mon ami Gianluca, aussi passionné que je le suis de Ferrari qui m’envoie cette photo d’Ascanio Lucchi.

J’ai été très heureux de recevoir ce précieux document que je ne connaissais pas. Y sont présents cinq personnages dont deux très connus, Enzo Ferrari et le pilote britannique Peter Collins mais revoir le mécanicien sur la gauche a réveillé en moi des souvenirs anciens très agréables.

Il s’appelle Ascanio Lucchi, il a d’abord travaillé pour Alfa Corse puis pour la Scuderia Ferrari jusqu’au début des années 60. Il a été le mécanicien et le co-pilote de Baconin Borzacchini (1) et aussi de Tazio Nuvolari, un de ces glorieux mécaniciens souvent également co-pilotes durant l’Age d’Or Ferrari.

J’avais quinze ans lorsque j’ai rencontré cet extraordinaire personnage, à cet âge, je n’avais pas le droit de conduire sauf avec mon père, mais j’avais déjà cette passion pour l’automobile qui ne me quitterait plus. Passion que je dois en partie à mon père Mario, en partie à ma ville de Modène et aussi à des hommes comme Ascanio Lucchi. Il est de ceux qui ont créé le tissu automobile de ma ville. Ascanio vivait Via Sgarzeria, à la fin de la rue à gauche juste avant le carrefour avec la Via Sant’Orsola, dans un bâtiment ancien clos par un portail massif qui trahissait l’origine patricienne de celui qui en avait ordonné la construction.

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Cette photo entre les mains, la tentation devint trop forte, je devais retourner dans ces lieux chargés de souvenirs. J’y suis allé, l’immeuble est toujours là. J’ai lu avec un peu de fébrilité et beaucoup d’espoir chacun des noms inscrits à côté des sonnettes. Pas de Lucchi, le lourd portail n’était pas fermé, je l’ai poussé et suis entré furtivement dans la cour, j’ai reconnu le vieil escalier, marqué par les soixante ans qui nous séparent du jour où gamin, j’entrais ici pour la première fois.

Ascanio Lucchi
Ascanio Lucchi, à gauche (c) DR

Ma famille a souvent été invitée à diner dans cette maison où Ascanio vivait avec sa fille, très jolie, probablement de mon âge. Je me souviens en particulier de l’attention que cette jeune fille portait à son père et à ses invités, une véritable maitresse de maison.

Ascanio, lorsqu’il quitta Ferrari, a démarré une affaire de mécanique avec un certain Mazzetti, ancien mécanicien du département course Maserati :  Lucchi et Mazzetti, spécialisés dans les voitures de courses et de sport.  Ils ont installé leur atelier dans une impasse donnant sur Viale Bagozzi. Modène dans les années 60 a vu s’épanouir nombres d’artisans dont l’activité était liée au monde du sport automobile.

J’ai passé tant d’après-midi de mon adolescence dans ce petit hangar sombre, j’ai encore en moi les effluves de l’essence au plomb, l’odeur âcre de l’huile recyclée, c’était les parfums que ce lieu exhalait. A l’intérieur, se serraient huit à dix voitures, l’atelier ne pouvait en accueillir plus. Des 250 GTO, 250 TdF, Maserati A6G, Jaguar D Type, et d’autres de même genre, entraient blessées ou malades et sortaient guéries après être passées entre les mains de ces experts.

C’est dans ce garage qu’a été installé le moteur Maserati dans la Cooper de Cabianca (2). Celle à bord de laquelle ce pauvre Giulio Cabianca devait se tuer sur notre ancien autodrome, accélérateur bloqué il a traversé la via Emilia qui jouxtait le circuit et s’est écrasé contre un mur. (3)

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Un pan de l’histoire de la voiture de course s’est déroulé dans ce petit atelier qui était également une véritable université de la mécanique grâce à la compétence de ceux qui l’administraient. Mario, mon père, lui avait confié l’entretien d’une Ferrari 250 coupé Farina achetée, accidentée avec peu de kilomètres. C’était notre atelier de référence et Ascanio Lucchi était devenu en peu de temps notre ami.

 Dans le passé, les bougies dans les voitures avaient une saisonnalité : en hiver pour faciliter le démarrage étaient montées des bougies tendres et de l’huile fluide. Un matin où avec mon père nous allions à Rome, nous nous sommes arrêtés chez Lucchi pour faire monter des bougies Lodge dures, sur l’autoroute il n’y avait pas de limites et Mario voulait pouvoir tenir les 7000 tours tout au long de la route. Pendant qu’Ascanio Lucchi changeait les douze bougies, nous admirions une 250 GTO évidemment rouge dans le fond du garage. Un client français leur avait confiée après avoir eu un grave accident au Mans. Mazzetti qui en plus d’être mécanicien s’occupait de la partie administrative et commerciale dit à mon père : « Monsieur Mario, si vous voulez faire une bonne affaire achetez cette GTO, le client nous doit 5 000 000 de lires (4) qu’il ne peut pas payer, il nous a dit de garder la voiture »

Mario a décidé de ne pas changer son confortable coupé par cette GTO qui bien qu’immatriculée pour la route était trop radicale pour tous les jours. Je me souviens avoir tourmenté mon père durant tout le retour de Rome, sans succès, la contestation n’était pas à la mode à l’époque et en particulier avec Mario.

Ascanio Lucchi
De gauche à droite -Baconin Borzacchini, Ferrari, Nuvolari.(c) DR

Ascanio Lucchi était en train de me raconter son accident avec Tazio Nuvolari, la fois où ils étaient allés au fossé et qu’ils tentaient de remonter sur la route, les combinaisons trempées d’essence, quand tout à coup une voix féminine me demande ce que je fais là, dans le hall de cette maison de la rue Sgarzeria, si je cherchais quelqu’un en particulier. Brutalement je suis sorti de mon rêve et revenu en 2020.

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Un peu embarrassé, j’ai expliqué à cette gentille dame aux cheveux blancs la raison de ma présence. Je ne suis pas certain qu’elle m’ait cru, elle était très courtoise et probablement très belle dans sa jeunesse.

Lucchi n’habite plus ici, ni sa fille, je le crains.

Merci Gianluca de m’avoir envoyé cette photographie, elle m’a fait me remémorer de beaux souvenirs d’une époque passionnante où j’avais tant envie de connaitre et de savoir.

Texte de Rossano Candrini, traduit de l’italien par Jean-Paul Orjebin

Notes du Traducteur

(1) Borzacchini, en 1930 le gouvernement fasciste lui ordonne de changer son prénom Baconin que ses parents, admirateurs de l’anarchiste Bakounine, lui avaient donné. De ce fait, jusqu’à son accident mortel, le même que celui de Campari à Monza en 1933, il s’appellera Mario Umberto Borzacchini.

(2) On trouve sur la toile des informations indiquant que le moteur monté dans cette Cooper était un Ferrari, nous nous en tiendrons au souvenir de Rossano qui se souvient d’un Maserati.

(3) Pour plus de précisions, le mur de l’autodrome était en travaux, ce qui explique que la voiture soit sortie de l’enceinte et ait traversé la Via Emilia Ouest, tuant au passage deux personnes avant de s’écraser, et c’est un comble, contre le mur de l’atelier de la Carrozeria Orlandi qui fabriquait les camions transporteurs de la Scuderia Ferrari.

(4) cet impayé de 5 000 000 de lires en 1965 représenterait aujourd’hui 60 000 €

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