Comme Edwards, Lunger et Ertl, Arturo Merzario est un sans-grade de la F1 des années 70. Pour autant, on ne peut le classer dans le même sac que les trois autres « chevaliers du feu ». Au moins pour trois raisons : d’abord, lui ne s’est pas arrêté à la porte des points, il a réussi à en marquer quelques-uns (11 exactement) ; ensuite, il a été pilote officiel Ferrari en F1 ; enfin, il s’est bâti un palmarès très conséquent en sport-protos, d’abord chez Abarth et Ferrari, puis chez Alfa Romeo. Surtout, au-delà de ces données factuelles, avec son style de pilotage spectaculaire et généreux il a porté quasiment à lui seul les espoirs de tout un peuple, en mal de héros à aduler pendant les années 70, après les tragiques disparitions successives de Bandini, Scarfiotti et Giunti.
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A l’occasion de la sortie du film « Rush » de Ron Howard, pour la saison 1976, n’hésitez pas à consulter notre dossier complet :
Rush Bande annonce Le Grand Prix de France 1976 La saison 1976 en vidéo James Hunt 1976 en Vidéo Niki Lauda 1976 en Vidéo He deserved it – James Hunt Rush, critique du film Guy Edwards, le chasseur de sponsors Brett Lunger, un américain en Europe Harald Ertl, la gai barbu Er hätte es verdient ! – Niki LaudaFils d’un entrepreneur en construction, Arturo Merzario naît le 11 mars 1943 près de Côme en Lombardie. En 1962, à 19 ans, il dispute sa première course à Monza avec un spider Alfa Giulietta, puis fait sa première apparition internationale un an plus tard, toujours à Monza : au volant d’une Alfa Giulietta SZ, il termine 12e de la Coppa Inter-Europa des petites cylindrées. Les années suivantes il se concentre sur les courses de côte avec des petites Fiat-Abarth. Ses résultats lui valent de devenir pilote officiel de la marque au scorpion et de décrocher son premier titre international en 1969 : champion d’Europe de la Montagne, catégorie Sport. Ainsi repéré par le Commendatore, il intègre la Scuderia Ferrari pour la saison d’endurance 1970. Mais la lourde 512 S n’est pas au niveau de la 917 et il ne récolte que deux places d’honneur : 3e à Daytona et 4e à Monza. En 1971 Ickx, Andretti et Regazzoni ont la priorité pour dégrossir la 312 P/B et Merzario n’est engagé qu’aux 1000 km de Buenos-Aires ; mauvais souvenir, puisque son équipier Giunti y perd la vie.
Début 1972 il ne fait pas partie de l’armada Ferrari qui entreprend de faire main basse sur l’endurance. Mais ses performances éblouissantes à Buenos Aires et Daytona avec son Abarth 2 litres le rappellent au bon souvenir de Ferrari. Et il ne laisse pas passer sa chance : il s’impose aux 1000 km de Spa avec Redman et à la Targa Florio avec Munari. Une victoire de légende restée dans les mémoires des Siciliens : après avoir tenu le volant pendant les 2/3 de la course, Arturo Merzario est à l’agonie mais, jetant ses dernières forces dans la bagarre, il parvient à conserver 16 secondes d’avance sur l’Alfa de Helmut Marko, qui fait ce jour-là la course de sa vie.
Probablement pour récompenser ces performances, Enzo Ferrari confie à « Tutur » le soin de remplacer Regazzoni (qui s’est cassé le poignet en jouant au foot) à Brands Hatch, pour le GP de Grande-Bretagne. Et Merzario s’en tire très bien : 6e et un point dès son premier Grand prix, voilà qui le met au même niveau que certains grands noms, avant ou après lui (Jacky Ickx, Alain Prost, …). Mais la comparaison s’arrêtera là. Il est beaucoup moins à l’aise deux semaines plus tard sur le Ring, alors que Ickx et Rega font le doublé et ne réapparaît plus de la saison. Mais 1972 est quand même sa grande année : il la termine en gagnant les 9 heures de Kyalami avec Regazzoni et en s’adjugeant le titre de champion d’Europe Sport 2 litres avec une Abarth-Osella.
Rega parti chez BRM, Arturo Merzario devient le second pilote en titre pour 1973. Mais, après des débuts honorables (4e à Interlagos et Kyalami) avec une B2 en bout de course, il essuie les plâtres de la B3 et ne marque aucun point. Resté seul en fin de saison après le départ de Ickx, il se bat comme un beau diable mais n’est pas récompensé de ses efforts : Ferrari engage la paire Lauda-Regazzoni pour revenir sur le devant de la scène et abandonne les protos.
Une catégorie où « Tutur » a subi la domination Matra en 1973, mais non sans quelques coups d’éclat ou éclats tout courts : furieux des consignes qui le cantonnent avec Pace à la 2e place des 1000 km du Nürburgring derrière Ickx-Redman, il refuse de monter sur le podium. Au Mans, il se signale plus positivement par la pole et un départ canon qui le voit « oublier » tout le monde. Mais le lièvre aura des ennuis et la Ferrari n°16 devra se contenter de la 2e place derrière la Matra victorieuse.
Remercié par Maranello, Arturo Merzario se recase chez Alfa en endurance et chez Iso-Marlboro en F1 ; mais les Matra font toujours la loi et Frank Williams en est encore à sa période « bouts de chandelles ». Dès lors, les satisfactions sont limitées. Mais le petit Italien réalise ses deux plus belles performances de l’année devant son public de Monza : il gagne les 1000 km avec Andretti après la casse des Matra et termine 4e du GP d’Italie. Lors des essais d’avril du Mans, il signe aussi un record du tour qui tiendra 4 ans. C’est à partir de cette année 1974 que Merzario s’affiche régulièrement avec un chapeau blanc de cow-boy marqué du logo de son cigarettier américain. Au fil des années, ce simili Stetson deviendra son emblème sur tous les circuits. Outre les subsides réguliers que lui vaudra ce contrat de sponsoring, le chapeau lui permet aussi de gagner quelques centimètres. Car l’Italien n’est pas grand et cela se voit peut-être encore plus quand il est allongé dans son cockpit, avec la visière à peine au niveau du saute-vent. A se demander ce qu’il peut voir de la piste …
Pour 1975 on prend les mêmes et on recommence. Mais en F1 les Iso rebaptisées Williams sont à la rue et Arturo Merzario ne marque aucun point, au contraire de son équipier Laffite, inattendu 2e sur le Ring. Heureusement, côté protos, les Matra ne sont plus là et c’est au tour d’Alfa de tout rafler sous la bannière du Willi Kauhsen Racing Team : 7 victoires en 8 courses, dont 4 pour Tutur associé à Laffite (3 fois) ou Mass. Mais, à l’image de sa carrière tout entière, cette saison chez Alfa est faite de hauts et de bas : gai, impulsif et fantasque, Arturo Merzario met de l’ambiance dans une équipe, mais ce n’est certainement pas un metteur au point hors pair. Ce qui peut expliquer ses performances irrégulières : quand la voiture et le circuit lui conviennent et qu’il est dans un bon jour, Merzario peut battre n’importe qui, autrement il peut être complètement hors du coup.
Merzario démarre la saison F1 76 avec une March aux couleurs de la liqueur Ovoro. Mais à partir du GP d’Allemagne il récupère le volant de la Wolf-Williams abandonné par un Ickx dégoûté. Parti 21e sur 26, il arrive à Bergwerk trois secondes après Ertl et parvient à stopper sa monoplace sur l’herbe bordant la piste. Plongeant dans l’épave en feu, il parvient à défaire le harnais de Lauda et aide Lunger à l’extraire du brasier.
En 1977, hormis quelques grands prix avec une March, Merzario se concentre sur les protos avec l’Alfa 33 SC12. Et les duels épiques entre Vittorio Brambilla et lui égayent une saison qui aurait été, sans eux, d’une tristesse infinie : naguère si glorieuse, la catégorie Sport touche le fond cette année-là.
Puis, armé de sa seule passion (ou inconscience ?), Arturo Merzario se lance dans la construction de sa propre F1 à effet de sol. Ce sera un fiasco total : ne se qualifiant qu’une fois sur deux en 1978 et quasiment jamais l’année suivante, il collectionne les abandons et ne se fait remarquer que par un sponsor qui semble hélas tout à fait approprié : une entreprise italienne de pompes funèbres ! Il finit par jeter l’éponge et reconditionne sa monoplace en F2 à moteur BMW pour 1980. Las ! l’échec est presque aussi net qu’à l’étage au-dessus. Comme patron-pilote puis comme patron seulement, avec des March ou à nouveau avec des châssis portant son nom, on le verra en F2 jusqu’en 1984. Mais jamais les résultats ne seront à la hauteur des attentes de « Little Art ».
Le jockey italien se tournera alors vers les séries italiennes de prototypes ou de GT. Et aujourd’hui encore, quand il n’enseigne pas les subtilités du pilotage au sein de sa Merzario Academy, on peut le voir déambuler dans les paddocks avec son inséparable chapeau de cow-boy et se faire plaisir sur la piste, à 70 ans. 50 ans de pilotage et une passion intacte, « tanto di cappello Signor Merzario ! »
Olivier FAVRE
Photos @ DR