1981, la guerre Fisa – Foca
Pour améliorer la sécurité et éviter les dramatiques ruptures d’adhérence en cas de défaillance des jupes coulissantes qui cloisonnent les pontons latéraux et parachèvent l’effet de sol, le nouveau règlement impose une garde au sol minimale de 6 cm. Renault, Ferrari et d’autres rehaussent leur châssis en conséquence. Williams, Brabham et Lotus s’ingénient à contourner la règle en en bafouant l’esprit.
Luc Augier
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Le contrôle de garde au sol ne sera effectué qu’aux stands, à l’arrêt. En piste, leurs voitures continueront à traîner sur le sol, qui avec un double châssis (Lotus) ou des ressorts double flexibilité (Williams) s’écrasant sous l’effet de la pression aérodynamique, qui avec des vérins hydrauliques (Brabham) abaissant ou rehaussant la carrosserie au gré des besoins. En pleine guerre Fisa (Balestre) – Foca (Ecclestone), le pouvoir sportif tarde à trancher dans ce jeu du chat et de la souris avant d’autoriser les vérins. Ce n’est qu’à l’occasion du cinquième Grand Prix, à Zolder, que Renault pourra les adapter à son nouveau châssis mais le handicap est déjà lourd. Pire : en proie à des problèmes de mise au point et piégé par la pluie, Arnoux ne parvient pas à se qualifier. Enervé en quittant le circuit, il s’emporte contre un préposé à la circulation, l’embarque sur son capot et… passe la nuit au poste de police. Chez Renault, à la consternation va s’ajouter l’humiliation : Gilles Villeneuve impose le turbo Ferrari à Monaco, ce qui paraissait impensable, et à Jarama. Les Jaunes ne redressent la tête qu’à partir de Dijon : pole pour Arnoux et victoire pour Prost à l’issue d’une course disputés en deux manches en raison d’un orage. En vitesse pure, René Arnoux ne craint personne : il s’octroie la pole à Silverstone, à Zeltweg (à la barbe de Prost), à Monza et quand il la concède à son coéquipier (Hockenheim et Zandvoort), il s’élance à côté de lui en première ligne. Mais les courses tournent incontestablement à l’avantage du nouveau venu : deux victoires (Pays Bas et Italie) et deux deuxièmes places (Hockenheim et LasVegas) contre une deuxième place seulement pour Arnoux à Zeltweg. Et surtout, l’ambiance devient tendue : au départ, à Monza, Prost a forcé le passage et l’a écarté sans ménagement à l’entrée de la première chicane. Arnoux encaisse mal et c’est dans un climat de rivalité et de défiance qu’ils abordent la saison 1982 qui devient très vite celle de la fracture.
1982, la fracture
La guigne revient dès le coup d’envoi, en Afrique du Sud, le lendemain de la mémorable grève des pilotes : Arnoux, parti de la pole, contrôle la course jusqu’à mi distance. Prost, à la suite d’une crevaison, se chausse à neuf, entreprend une remontée époustouflante et gagne ! La réussite ne change pas de camp au Brésil : Prost termine troisième malgré un moteur mal en point mais les deux premiers (Piquet et Rosberg) sont disqualifiés (Brabham et Williams trop légères pour avoir vidé un réservoir d’eau censé refroidir les freins qui était en fait un lest liquide). Les Renault sont performantes mais leur fiabilité va s’avérer désastreuse. Pour piloter l’injection, on s’est fourni chez Renix, la nouvelle division électronique de la marque et le petit moteur électrique n’est pas adapté à cet environnement de température et de vibrations. A la déception des techniciens, piégés par les directives de la grande maison et suspendus aux caprices de ce qu’ils ont surnommé le moteur Darty, s’ajoute le climat détestable qui s’est instauré entre les pilotes, voire entre les clans formés autour de chacun d’eux. A l’arrière du motor-home, Prost et Arnoux partagent un espace confiné où ils se changent, se reposent, se concentrent, téléphonent à leur proches… Déplorant ce manque d’intimité, les deux colocs apprennent au fil des jours à se découvrir, à se connaître, à se supporter, à se… détester.
Le schisme éclate au grand jour à l’occasion du Grand Prix de France. Dans le cas où il précèderait Prost en course, il est convenu qu’Arnoux devra lui céder le passage, dans l’optique du championnat. Le scénario se concrétise : Arnoux prend le large mais ne ralentira jamais, ignorant les ordres transmis sans conviction par le staff Renault, trop heureux de pouvoir renouer avec une victoire qui se refuse à lui depuis trente sept courses. Quatre Français aux quatre premières places, Arnoux devant Prost, Pironi et Tambay, doublé Renault -le premier de l’histoire- devant deux Ferrari, le public vivait une véritable fête nationale en terre varoise. Prost se déclarait trahi et affichait ostensiblement une sourde colère. Arnoux y opposait une satisfaction dénuée du moindre sentiment de culpabilité : « à ce stade du championnat, il n’y a pas à favoriser un pilote plutôt qu’un autre, cette victoire, je ne l’ai pas volée et je sais qu’elle fait plaisir à bien des gens chez Renault ». La suite des événements lui donna raison : une inversion des positions au GP de France n’aurait rien changé au résultat du championnat 82. Prost 4ème avec 34 points, Arnoux 6ème avec 28 points, deux victoires chacun, la moisson était bien maigre pour un duo qui avait confisqué onze pole positions (six pour Prost, cinq pour Arnoux) et verrouillé six fois la première ligne de la grille de départ.
Arnoux en partance pour Ferrari
En ce début d’été 1982, en même temps qu’elle atteignait son paroxysme, cette cohabitation houleuse avait entamé un compte à rebours. C’était un secret de polichinelle : René Arnoux piloterait pour Ferrari en 1983. L’ami Didi (Pironi) avait plaidé sa cause auprès d’Enzo Ferrari et du directeur sportif Marco Piccinini, qui avait incidemment été le témoin de son mariage, célébré par le maire de Neuilly… Nicolas Sarkozy. Car Gilles Villeneuve projetait de quitter Maranello pour fonder sa propre équipe avec Gérard Ducarouge. La disparition du Québécois ne fit qu’accélérer le scénario. Le jeudi, en arrivant à Hockenheim, Arnoux eut même la surprise de voir un petit cheval cabré orner le volant de sa Renault, facétie de Jean Sage, le directeur sportif, et de ses mécaniciens ! Deux jours plus tard, le ton n’était plus à l’humour ou au clin d’oeil mais à la gravité. Le samedi matin, sous la pluie, trompé par le panache d’eau soulevé par les voitures, Pironi percutait la Renault d’Alain Prost. La Ferrari décollait et la saison du leader du championnat, sa carrière de pilote, même, était stoppée net. Les tifosi avaient déjà adopté « Renato », leur nouvelle recrue. Quand, un mois plus tard, il imposa sa Renault aux « Rouges » de Tambay et Andretti, la Gazetta dello sport titra : « trois pilotes Ferrari sur le podium de Monza ».
Etrange croisement de destinées. Pour pallier l’absence de Villeneuve, Pironi avait suggéré à Ferrari de faire appel à Tambay, qui s’était orienté vers le championnat Canam. En tournant le dos à la F1, le Cannois se l’était promis : « je ne reviendrai que pour piloter une Renault ou une Ferrari ». De surcroît, une solide amitié le liait à Gilles Villeneuve. Le symbôle était trop fort : il se devait de prendre la relève au volant de la Ferrari n°27, même si l’intérim devait s’achever fin 82. Changement de perspective pour René Arnoux : la collaboration qui s’annonçait harmonieuse avec l’ami Didi se muait en cohabitation potentiellement plus houleuse avec l’ennemi d’avant hier, Patrick Tambay.
Avec Tambay
L’ambiance était d’autant plus tendue que l’un comme l’autre se savait sous surveillance et ne survivrait pas en rouge en 1984 : un volant était promis à Michele Alboreto. La lutte pour le titre 1983 fut dominée par quatre postulants : Piquet (Brabham BMW), Prost (Renault), Arnoux et Tambay. Au terme des sept premiers Grands Prix, la position d’Arnoux n’était pas enviable : deux troisièmes places seulement, 8 points contre 28 à Prost, 27 à Piquet et 20 à Tambay, héros du GP de San Marin où il avait imposé la « n° 27 » et honoré la mémoire de Gilles à Imola, là où, précisément, le Québécois avait été trahi par Pironi, qui l’avait dépossédé de la victoire à l’issue d’un management ambigu de la Scuderia. Tambay devant Prost et Arnoux : après l’Afrique du Sud 1980 et le Castellet 1982, c’est la troisième fois que les Français monopolisent le podium mais Arnoux est le seul à figurer sur les trois photos.
Il lui reste huit Grands Prix pour se réhabiliter. Il l’emporte au Canada et en Allemagne, se classe 5ème en Grande Bretagne, 2ème en Autriche et grossit son score de 26 points quand se présente le Grand Prix des Pays Bas. La veille de la course, ceux qui croisent Tambay et Piccinini dans les rues de Zandvoort ont compris : la tristesse du Français ne laisse planer aucun doute sur son avenir à Maranello. Le lendemain, un accrochage providentiel Prost-Piquet ouvre la voie d’un doublé Ferrari, le premier et seul de l’année, Arnoux devant Tambay. Pour Tambay, il est trop tard mais Arnoux, lui, peut encore espérer ceindre la couronne. Trois Grands Prix plus tard, lors de la finale de Kyalami, l’affaire s’est compliquée mais il reste une lueur d’espoir. Pour coiffer Prost et Piquet au poteau, Arnoux doit impérativement gagner mais il ne faut pas que ses adversaires marquent le moindre point !
Tambay n’a pas le coeur à l’altruisme. Il a signé la pole, entend surmonter sa tristesse pour quitter Ferrari la tête haute et n’a cure des préoccupations de son coéquipier. Car Arnoux est inquiet. Aux essais, il est tombé en panne sur le circuit. Les commissaires l’ont aidé à pousser la Ferrari pour la ranger sur le bas côté mais dans la manoeuvre, une roue a écrasé son pied droit et sa cheville a doublé de volume. Malgré les soins, il ne sait pas s’il aura la force de « shooter » dans la pédale de freins 95 minutes durant. Il ne connaîtra pas la réponse : son moteur l’abandonne prématurément, comme le fera celui de Tambay un peu plus tard. Mais les duettistes ont maintenu le trophée de champion du Monde des constructeurs à Maranello. Il faudra attendre 1999 pour qu’il y revienne !
Puis Alboreto
Comme prévu, c’est avec Michele Alboreto que René Arnoux fait équipe en 1984. Les McLaren Tag Porsche de Lauda et Prost sont hors d’atteinte, les autres se partagent les miettes. Alboreto a la satisfaction d’avoir gagné en Belgique mais à Dallas, c’est Arnoux qui fait l’actualité. Le nouveau tracé texan n’est pas digne de l’Amérique. Entre les murs de béton, le revêtement menace de s’effriter : les promoteurs ont sous estimé les contraintes imposées par l’adhérence des Formule 1. Avant les premiers essais, en conférence de presse, les pilotes s’efforcent de rester diplomates. Arnoux, lui, ne s’embarrasse pas de circonlocutions : « on ne peut pas courir dans ces conditions et il n’est pas question d’envisager un replâtrage de dernière minute, ça ne tiendra pas. Il faut annuler la course. Il est encore temps. » Tout cela en Français. « Traduis », poursuit-il à l’adresse de son voisin de pupitre, Patrick Tambay. « René dit que ça pourrait être mieux mais il faut voir… » Et Arnoux de lui reprendre le micro : « je n’ai pas dit ça, j’ai dit que c’était de la m… » Après les essais, après des tentatives de la dernière chance pour panser les plaies du revêtement, les palabres s’éternisent mais là encore, Arnoux fait entendre une voix dissonante parmi ses pairs : « Maintenant, c’est trop tard, le public est là, les gens ont payé, il faut courir, il fallait m’écouter avant. » Et ce public, il leur en donne pour son argent : mal parti, il entreprend une poursuite exténuante en se faufilant parmi les épaves échouées contre les murs pour terminer deuxième et seul dans le même tour que la Williams Honda de Keke Rosberg.
Ferrari et Arnoux : mystérieuse rupture
Sans surprise, Ferrari reconduit sa paire de pilotes pour 1985. « Je n’avais aucun problème avec Alboreto, c’est un des hommes les plus gentils et les plus sociables que j’ai connus, je n’étais pas jaloux de ses succès ou de sa popularité. » Au Brésil, la saison débute de manière encourageante : Alboreto signe la pole et termine à 3 secondes de la McLaren-Tag Porsche de Prost. Arnoux a eu le malheur de crever et de perdre un temps fou à revenir au stand sur la jante et, au prix d’une remontée méritoire et remarquée, se hisse à la 4ème place. Mais au retour en Europe, c’est la stupeur : la Scuderia le met à pied sans délai. Comme elle avait congédié Jean Behra en 1959, comme elle congédiera Prost en 1991. Pour une raison que les deux parties veulent garder confidentielle. « Et qui le reste encore, persiste-t-il. La séparation aurait pu même se produire avant, je n’ai aucun regret. Ferrari avait tous les moyens techniques et financiers, toutes les compétences mais gâchait tout ça à cause de la politique. Harvey Postlethwaite était en charge des châssis et et de l’aero mais on ne le laissait pas s’exprimer, Forghieri revenait sur ses propositions. Il se demandait ce qu’il faisait là, pourquoi on l’avait engagé s’il ne servait à rien. Je m’en étais ouvert auprès d’Enzo Ferrari lui-même. On en a eu la preuve plus tard, quand Todt est arrivé, qu’il a éliminé la politique et a pratiquement installé son lit dans son bureau pour tout contrôler avec Schumacher, dont Irvine m’a avoué qu’il valait au bas mot une demi seconde de mieux que lui, ce qu’il s’est bien gardé de dire à la presse. » Aucun regret, Arnoux est-il sincère ? Alboreto lui donnera tort en terminant vice-champion et en se posant en challenger de Prost jusqu’au quatorzième des seize Grands Prix.
Chez Ligier
Troquant le rouge pour le bleu, il est enrôlé par Ligier et devient le coéquipier de Jacques Laffite en 1986. Quelques années auparavant, c’eut été l’association de l’introverti et de l’extraverti, du provincial et du titi parisien. Les deux hommes se connaissent pourtant bien : par le passé, ils ont longtemps partagé les vaches maigres de Magny Cours et l’amitié de Tico Martini. Au fil des ans, Laffite s’est installé en patron dans l’écurie Ligier mais Arnoux y arrive en recrue convoitée, avec promesse d’un traitement équitable. Il y retrouve aussi l’encadrement qu’il a connu chez Renault : Gérard Larrousse à la direction sportive, Michel Têtu aux responsabilités techniques. Les moyens sont solides. Côté moteurs, l’équipe entre dans la dernière phase de son contrat de trois ans avec Renault. Georges Besse a mis un terme à la participation de l’usine fin 1985 mais les accords de fournitures à Tyrrell, Lotus et Ligier sont honorés. L’ère du turbo vit son apothéose. Certes, l’allocation de carburant est limitée à 195 litres mais les soupapes de décharge ne seront imposées que l’année suivante. En qualifications, la puissance est donc poussée au maximum : « incroyable, on avait 1500 chevaux », m’a avoué Bernard Dudot. On ne compte plus le nombre de moteurs explosés en qualifs : gavés à mort, c’est le cas de le dire, ils sont destinés à durer une demi douzaine de tours, pas plus ! 1985 et 1986 : ce turbo Renault va permettre à Senna de signer les quinze premières pole positions de sa carrière ! Difficile de comparer les mérites de la Ligier et de la la Lotus car comme Brabham et Benetton, les Bleus ont opté pour le joker Pirelli. Ce sera plus souvent un handicap qu’un avantage. A mi saison, au terme des huit premiers Grands Prix, les Ligier-Renault revendiquaient un score honorable avec 22 points, 14 pour Laffite (avec deux podiums, 3ème à Rio et 2ème à Detroit) et 8 pour Arnoux. La suite n’en fut que plus amère, avec le carambolage au départ à Brands Hatch qui mit un terme à la carrière de Jacques Laffite et déstabilisa l’équipe. Au moins termina-t-elle cinquième du championnat constructeurs et première des Pirelli.
les moteurs de transition
En quête d’un autre moteur, Guy Ligier espéra un moment convaincre Honda, qui faisait le bonheur de Williams, mais les Japonais choisirent Lotus et… Senna. Il crut pouvoir rebondir avec Alfa Romeo. Les Milanais lui proposèrent un inédit 4 cylindres à double turbo et Pier Carlo Ghinzani pour remplacer Jacques Laffite. Dès les premiers essais, sur la piste Alfa de Balocco, René Arnoux fut atterré par le manque de compétitivité et ne dissimula pas sa déception au micro de la Rai. Montés et concentrés, ses commentaires allaient avoir l’effet d’une bombe ! Le patron du groupe Fiat, Vittorio Ghidella, n’attendait en effet qu’un prétexte pour mettre un terme à un projet-perruque qu’il n’approuvait pas et reprenait ses moteurs à quelques jours du coup d’envoi de la saison. « Guy ne m’en a pas voulu. Car vraiment, avec une structure aussi incompétente et squelettique, il n’y avait rien à espérer. » Forfait – pour raison majeure ! – au Brésil, Guy Ligier entreprenait un tour des médias et des parlementaires pour plaider la cause d’un projet de moteur français. Pour sauver l’immédiat, avec le concours financier de la Fédération française, il se portait client d’un moteur turbo BMW-Megatron. En moins d’un mois, Michel Têtu et ses hommes modifiaient le châssis en conséquence. C’est une équipe exténuée qui débarquait à Imola pour le début de la saison européenne en croisant les doigts pour que tout fonctionne. Hélas, le châssis révéla d’emblée une faiblesse structurelle au niveau de la suspension avant et, sur place, les mécaniciens durent se remettre à l’ouvrage pour improviser un couple de renfort. Voué au milieu ou fond de grille en qualification et à l’abandon en course, René Arnoux tourna la page de ce cauchemar avec 1 petit point arraché en Belgique.
Fin de carrière
1988 promettait un nouveau départ. Les turbos devant vivre leur dernière saison, Ligier devançait l’ère des atmosphériques et optait pour un V8 Judd, comme le champion en titre, Williams, abandonné par Honda. Avec l’aval du boss, Michel Têtu laissait libre cours à sa créativité et concevait un châssis ambitieux, doté d’un double réservoir. L’un en position conventionnelle en avant du moteur, l’autre, inédit, en arrière. Ainsi, pendant la course, en vidant à sa guise l’un ou l’autre des réservoirs, le pilote pourrait faire varier la répartition des masses et le comportement routier. Arnoux et son nouveau coéquipier Stefan Johansson -celui qui l’avait remplacé chez Ferrari en 1985 et qui avait secondé Prost chez McLaren en 1987- avaient hâte de vivre cette nouvelle expérience. La concurrence observait avec curiosité. Las… ce fut un désastre. « La voiture était trop lourde, trop encombrante. Le réservoir arrière était trop exposé à la chaleur et le système de pompage était un casse tête. Il n’y avait rien à espérer et nous avons terminé le championnat sans le moindre point. J’étais revenu dix ans auparavant, du temps de la Martini. »
En 1989, les turbo ont disparu. Seuls sont autorisés les moteurs atmosphériques 3,5 litres. La F1 est revenue au temps des assembleurs : trente neuf voitures sont engagées. C’est trop : il faut en éliminer neuf sur treize lors de pré-qualifications le vendredi matin potron minet. A la latitude d’Estoril le jour se lève à peine ! Par son statut, l’équipe Ligier est dispensée de ce purgatoire. Elle fait d’office partie des trente qui disputent les essais mais doit se qualifier parmi les vingt six premiers pour prendre le départ, un joli nombre par rapport aux vingt d’aujourd’hui. René Arnoux n’y parvient que neuf fois sur seize. Son coéquipier Olivier Grouillard termine à onze reprises devant lui aux essais et n’échoue que quatre fois en qualification. A 41 ans, René Arnoux a-t-il fait l’année de trop ? « Nous avions un Cosworth, comme beaucoup d’autres, mais la voiture n’était pas compétitive. Par ailleurs, Grouillard jouait perso. Il travaillait en cachette avec son ingénieur dans le seul but d’être devant moi. Dans la situation où nous étions, il aurait fallu au contraire tout mettre en commun pour faire progresser l’équipe. Pour ne pas prendre Guy de court, pour ne pas le mettre dans l’embarras, je l’ai prévenu, dès le milieu de la saison, que j’avais décidé de raccrocher en fin d’année mais j’ai tout donné quand même. Au Canada, sous la pluie, je ne sais pas comment j’ai fait pour garder la voiture sur la piste. J’étais en perdition partout mais j’ai terminé cinquième. Guy m’est tombé dans les bras comme si nous avions gagné. Dans l’avion du retour, il a fait la fête. Avec ces deux points, j’avais sauvé son statut et sa saison ! »
Pour ses adieux à Adelaïde, lors du briefing du dimanche matin, le doyen avait prévu un cadeau pour chacun de ses pairs : un filofax relié de cuir, avec une dédicace personnalisée, parfois empreinte d’humour pour ceux qu’il était censé avoir gênés. Car Il avait la réputation d’oublier ses rétroviseurs, voire de les scruter avec trop de malice et d’être très difficile à dépasser.
Arnoux : une vie après la F1
Depuis, il a été le « A » des écuries GBDA (Gaignault, Blanchet, Driot, Arnoux) et DAMS Driot, Arnoux, motor sport). « J’avais suivi Jean Paul Driot, qui avait été mon manager. Nous avons eu de beaux résultats et des titres en Formule 3000 mais je me suis peu impliqué et je me suis retiré. J’aurais aimé monter en Formule 1. Nous avons eu l’occasion de reprendre l’écurie Ligier, ça ne s’est pas fait et ça ne m’a plus intéressé ». Il a monté des installations de kart indoor : « Le premier à Aubervilliers, puis à Lyon et à Aix en Provence. Mais là encore, ça ne m’a intéressé qu’un temps puis j’ai repris mes billes. » Il a été manager de Pedro Diniz : « j’avais répondu à une demande de Forti, dont il était le pilote. Mais Pedro est né avec une cuillère d’argent dans la bouche (son père Abilio était patron des supermarchés Pao de Açucar au Brésil, NDLR) et il était trop dilettante ». Il a commenté les Grands Prix pour la Rai pendant trois ans: « Dans une ambiance typiquement italienne, où les commentateurs se chamaillaient en minutant leur temps de parole ; ça a fini par me lasser ». Il a surtout été impliqué dans une entreprise suisse de haute technologie : « un domaine passionnant, avec des programmes stupéfiants d’amortisseurs d’axes de mouvements d’horlogerie à destination des plus célèbres manufactures. D’autres applications concernent la chirurgie ou le spatial. De la mécanique de précision, avec des machines numériques époustouflantes. J’ai été salarié mais maintenant je suis consultant et j’ai plus de loisirs. Je me régale au festival de Goodwood et je m’amuse avec les Ferrari supercars. Des concentrations de riches propriétaires sur circuits avec plus de 1000 chevaux et des pneus slicks. Je donne des cours de conduite et je contribue au développement technique, pour Ferrari ou Pirelli ; ça permet de garder la main. »
La Formule 1? « Je regarde mais je constate que ça passionne de moins en moins. La part des ingénieurs, de la technologie et du pilotage à distance est devenue trop importante. Le corporate et la langue de bois ont tué la personnalité et la spontanéité. Je m’intéresse toujours au parcours des Rouges mais ils sont au pied d’une montagne. En revanche, la moto, ça, c’est quelque chose ! »
Luc Augier