« Historic Auto » à Nantes (2/2) – Ici Nantes, les pilotes vous parlent
La rencontre la plus attendue et la plus suivie (200 spectateurs inscrits à l’avance) a été sans conteste, le samedi, celle avec des pilotes invités. Quatre célébrités : Jean-Claude Andruet (déjà parrain de ce salon depuis le début), Jürgen Barth, Jean-Pierre Jarier et Henri Pescarolo, accompagnés de Thierry de Montcorgé (spécialiste des buggies et concurrent du Dakar) et Marcel Grue (pilote nantais et mémoire vivante des rallyes et courses de côte en national, avec quelque 500 victoires !).
Conférence ? Débat ? Conférence-débat ? Une vraie rencontre en fait, au cours de laquelle les six compères, complices, relayés, relancés ou « modérés », selon, par le journaliste Igor Biétry, brillant animateur, ont dialogué avec le public, répondant aux questions, se renvoyant la balle et discutant passionnément sur la course automobile d’hier, d’aujourd’hui voire de demain. Le tout avec humour souvent, avec passion et réflexion toujours, pendant plus d’une heure et demie. Extraits.
Texte Jacques Vassal – photos Jean-Paul Orjebin
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Circuits et dangers d’hier à aujourd’hui
C’est d’abord l’évolution de la sécurité sur les circuits et celle des voitures de course qui retiennent l’attention. Le premier à le rappeler, c’est Jean-Pierre Jarier : « Rester vivant. Si on veut continuer à courir, il faut regarder ce qui se passe autour de soi ». Andruet, lui, se souvient de sa première Targa Florio : « J’étais chez Lancia à l’époque; j’ai vu qu’il y avait des spectateurs massés partout autour des 72 kilomètres du circuit. J’étais effaré ! En reconnaissance, j’avais remarqué qu’il y avait des travaux à faire sur toute une portion du tracé, qu’on ne pourrait jamais courir dans ces conditions. Eh bien, pendant la nuit entre les essais et la course, miracle, c’était réparé ! »
Jürgen Barth souligne que « grâce à des mesures prises par Max Mosley et la FIA, la sécurité des circuits a beaucoup progressé. Du temps où Edgar Barth, mon père, courait les 1000 km du Nürburgring, le circuit de 22,8 km était hyper-dangereux, il n’y avait pas de rails, si vous sortiez ça risquait d’être fatal. Bien sûr, on ne court plus les 1000 Km ou le Grand Prix de F 1 sur ce tracé-là, mais on y court les 24 Heures en Tourisme et les pilotes doivent avoir une licence spéciale. Mais ils ne pensent plus à ces risques ».
D’autres circuits routiers étaient très dangereux aussi, par exemple l’ancien Charade (8,055 km) ou l’ancien Spa-Francorchamps (14,5 km). Andruet : « Charade, bien sûr, était dangereux, mais je préférais courir là-dessus en acceptant les risques, plutôt que sur des tracés plus sûrs, certes, mais plus aseptisés. » Pescarolo relativise ce sentiment – et pourtant ! « Je ne voudrais pas qu’on ait l’air de ceux qui ont fait la guerre de 14 ! On n’avait aucun mérite à notre époque à courir sur ces circuits-là, car le danger, on n’y pensait pas. J’ai conduit ces dernières années une voiture du Mans Classic, sur le circuit actuel, après le virage Porsche il y avait tellement d’étendue de sable qu’on aurait cru le désert du Ténéré ! »
Reste le danger de l’incendie, hier ou aujourd’hui, Henri fait le lien : « Quand j’ai décollé, en avril 1969, sur les Hunaudières avec la Matra 640, j’ai compris que la pire hantise d’un pilote, c’était de rester prisonnier d’une voiture en flammes. Un pilote peut rester 15 secondes dans les flammes avant de risquer l’asphyxie. Voyez l’accident de Romain Grosjean, au Grand Prix de Bahrein F 1 en 2020. C’est un pompier qui, sachant cela, lui a sauvé la vie. Au lieu d’éteindre l’ensemble de la monoplace, il a commencé par se concentrer sur le cockpit de la voiture et, miracle, Romain a tenu près de 30 secondes dans les flammes avant de s’en sortir ! »
Règlements techniques et sportifs
Petite récréation, on demande à Jean-Pierre Jarier d’où lui est venu son surnom de « Godasse de plomb » : « Ah ça, raconte l’intéressé, c’est quand je venais de gagner en Formule 2 à Rouen-les-Essarts, tiens, encore un circuit dangereux…Pendant mon tour d’honneur, au virage du Nouveau-Monde, j’ai fait un tête-à-queue volontaire, comme figure, et un copain journaliste a écrit que j’étais une »godasse de plomb ». Le surnom est resté. Après vous pouvez faire tout ce que vous voulez, ça vous colle. »
On enchaîne alors sur la question de la moindre proximité des spectateurs et des amateurs de course automobile, avec les circuits, du fait entre autres des mesures de sécurité, mais aussi avec les pilotes, de plus en plus encadrés, et avec les voitures. Barth remarque que, « au Mans Classic, les spectateurs peuvent encore toucher les voitures. » Mais plus aux 24 Heures modernes ?
Andruet est d’avis que les règlements techniques eux-mêmes se sont compliqués : « Les formules modernes sont loin de la compréhension du public. Qu’est-ce que c’est, au juste, qu’un proto LMP 1 ou LMP 2, une GTe Am ou une GtePro ? Et une « »Balance Of Performance ? » Avant, il y avait les sport-prototypes, les Sport et les GT. C’était clair et net ! » Barth, qui, rappelons-le, est également ingénieur, regrette la disparition des Groupe C : « Bernie Ecclestone a dit, en 1992, moteur 3,5 litres, comme les F 1, pour les protos. Groupe C terminé ! »
II a alors, belle consolation, contribué à créer le trophée BPR, avec Patrick Peter (Peter Auto) et Stéphane Ratel (Trophée Venturi). « On a réussi à réunir un beau plateau. On a fait disputer une première course, très animée, à Nogaro. Mais j’ai eu un appel de Bernie qui m’a fait venir à Londres pour me dire qu’on devait payer des droits télé ! Et puis finalement on a eu gain de cause et le BPR a continué, avec de jolies courses. »
C’est l’occasion de se pencher sur l’évolution des règlements techniques et sportifs, au Mans et ailleurs. Andruet l’affirme : « Pour moi, une grande fédération sportive devrait édicter des règlements avant tout sportifs, indépendamment des intérêts commerciaux, marketing et/ou financiers des constructeurs. » Ce n’est pas Henri Pescarolo, l’ancien directeur d’écurie et constructeur (Pescarolo Sport), qui dira le contraire.
Quelques heures plus tôt, en aparté, il nous confiait, dépité :« En 2012, on m’a tué, enfin l’équipe que je dirigeais. J’ai reçu une balle dans le dos ! On avait failli gagner Le Mans deux fois. Et puis le règlement technique a changé. Par le fait de Walter Uhlrich [directeur de l’écurie d’usine Audi] qui a influencé l’ACO. J’avais pour mon équipe un budget de 3 millions d’euros. Audi avait un budget de 90 millions d’euros. Il y avait 12 secondes au tour de différence entre leurs bagnoles et les nôtres. On avait 250 chevaux de moins. Avec des brides à l’admission qui nous désavantageaient, alors que les années précédentes, nous étions dans les mêmes temps. Quand on a fini 3e derrière Audi au Mans, c’était encore trop pour eux. Ils nous ont mis à genoux. Le moteur diesel, je n’avais rien contre, c’est une technologie parmi d’autres mais il aurait fallu éviter une »BoP » [Balance Of Performance] aussi déséquilibrée. Quand mon équipe a été liquidée, j’avais vingt personnes, des ingénieurs, des aérodynamiciens excellents, il a fallu s’en séparer. »
Nouvelles technologies
Edgar Barth rappelle : « Il y a des années, le sport automobile était fait pour inventer des nouvelles technologies applicables sur les voitures de tous les jours. Pourquoi, aujourd’hui, les pneus de qualification, quatre tours et c’est fini, en plus ça envoie des déchets sur la planète. Pourquoi pas des pneus en plastique recyclé ? Du temps des Groupe C, par exemple, il y avait un règlement qui encourageait à faire baisser la consommation d’essence en course, aujourd’hui elle augmente ! «
Une question vient sur la pertinence des voitures hybrides, voire des voitures électriques, en course. Les monoplaces électriques (Formule E) ou les hybrides en Formule 1 ou en endurance (Toyota) alors que ces motorisations existaient des années avant sur les voitures de série. Là, les avis divergent mais ils ne sont guère positifs, y compris pour les voitures de tourisme.
Jarier : « Une voiture hybride, c’est une mauvaise voiture électrique. Elle n’a que 40 ou 50 km d’autonomie en mode électrique. Et une mauvaise voiture thermique, car plus lourde que la voiture classique, essence ou diesel. Quant aux voitures électriques, là il y a des mensonges sur l’autonomie. « Pescarolo : « Le meilleur exemple d’une voiture hybride qui ne sert à rien, c’est une Audi au Dakar. Si on laisse les constructeurs travailler, on aura de bien meilleurs résultats qu’avec une hybride, en travaillant sur les réductions de consommation des moteurs classiques. » Barth se montre bien pessimiste sur le sport automobile du futur, pour des raisons plus fondamentales : « Je crains que, dans dix ans et plus, il n’y ait plus de courses en vrai sur circuits : tout le monde sera derrière sa console de jeu ! »
Du vécu intense
Pour conclure, on a demandé aux invités de dire, chacun, quelle a été sa meilleure voiture de course. Pour Marcel Grue, c’est « la Ford Capri 3000 Groupe 1. Elle était rapide, homogène, fiable. » Pour Thierry de Montcorgé, ce n’était peut-être pas la meilleure, mais la plus célèbre… et pour cause : la Rolls-Royce Corniche engagée au Paris-Dakar 1981, qui s’avéra un joli « coup » médiatique : « C’était un châssis Toyota avec un moteur Chevrolet et une carrosserie en polyester, préparée dans un atelier secret à Houdan. Il ne fallait pas que quiconque la voie avant la course. Quand les journaux en ont parlé, on pouvait craindre un procès de Rolls-Royce. Et en fait, nous avons reçu une lettre d’une courtoisie toute britannique, nous demandant « à l’avenir », de bien vouloir éviter de rendre publique cette utilisation de notre marque et de notre nom. ! »
Jean-Pierre Jarier, lui, a gardé une affection toute particulière pour « le coupé BMW 3.0 CSL. Il y en a eu peut-être une vingtaine construits en version course; on a parfois fait mieux que les Porsche, même si ça énerve notre ami Jürgen ! » Barth, lui, conserve un beau souvenir de la Porsche 936 du fait, notamment, de sa victoire au Mans en 1977 (avec Jacky Ickx et Hurley Haywood), mais plus encore de « la 908/3, que ce soit en version atmosphérique ou avec turbo. Une voiture extrême à tout point de vue. »
Andruet, bien sûr, a toujours une tendresse particulière pour « la berlinette Alpine A 110, toutes les versions. Et la Lancia 037, avec laquelle j’ai eu bien des joies. La Stratos ? Je ne l’ai pratiquée en course qu’à ses débuts, alors qu’elle était très rétive et difficile à piloter. Mais j’ai commis l’erreur, comme plusieurs fois dans ma carrière, de quitter l’équipe juste avant que la Stratos ne soit au point. » Regrets encore. Pas de regrets, en revanche, pour Henri Pescarolo quand il nous livre ce morceau de vécu intense en guise de conclusion : « La Matra 670 bien sûr, pas seulement pour nos victoires au Mans mais parce qu’elle était très polyvalente, elle était bonne sur toutes sortes de circuits et de conditions de course. »
Une question sur son record du tour de l’ancien circuit de Spa, lors des 1000 Kilomètres en 1973, à 262 km/h de moyenne. Un record historique : « Pas seulement parce que cela restera le record du tour absolu sur ce circuit, mais le tour le plus rapide en course sur tous les circuits routiers ! Quand on est dans l’action, les sensations sont absolument fabuleuses. On sait que si on sort, on est mort, alors on évite d’y penser. Mais on pense qu’il ne faut surtout pas casser la voiture car les constructeurs n’aiment vraiment pas ça. Spa-Francorchamps, l’ancien, c’est un circuit où le cerveau ne commande plus le pied, car si on pense à lever rien qu’un instant, on perd plusieurs secondes jusqu’au virage suivant. »