Alfa Romeo Giulia GTA : Qui n’a pas déjà vu ces étonnantes images des coupés milanais survitaminés, prenant les virages avec la roue avant droite relevée ? Un « style » inimitable qui a fait entrer dans la légende la Giulia GTA, première voiture du Biscione à inaugurer le prestigieux sigle. C’était il y a 60 ans déjà, en 1965.
Nicolas Anderbegani
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Course aux armements chez Alfa Romeo aussi
Quand elle est dévoilée à Monza en 1962, la Giulia, qui doit prendre la relève de la Giulietta, est une véritable bombe. Alfa Romeo invente la berline « familiale » sportive, aux performances inédites pour un modèle de ce segment. Elle connaît rapidement le succès sur les circuits, au point que le département commercial du Biscione trouvera cette célèbre formule : « Alfa Romeo Giulia, la berline qui gagne les courses ».
C’est la Giulia TI Super qui s’est chargée d’inaugurer le palmarès en compétition de la berline, avec une victoire remarquée dès 1963 dans la catégorie moins de 1.6L du championnat d’Allemagne de tourisme, piquant au vif l’orgueil germanique, comme le fera trente ans plus tard la 155 en DTM.
Cela avait encouragé les constructeurs concurrents, avec une interprétation peu scrupuleuse des règlements, à engager des voitures conçues pour la compétition, et n’ayant plus grand chose à voir avec la série.
Ce fut le cas, par exemple, de la Ford Cortina Lotus sur laquelle Ford avait purement et simplement transplanté toute la base mécanique de la Lotus, habillée par une carrosserie dont les lignes ressemblaient à celles de la Cortina berline.

D’Auto delta…
Pour contrer l’offensive de la concurrence sur les pistes européennes, Alfa Romeo confie son projet à la nouvelle société Autodelta, créée par Carlo Chiti. L’ingénieur avait déjà travaillé pour la marque milanaise au début des années 50, au temps glorieux de l’Alfetta 159, avant de rejoindre Ferrari.
Mais en 1961, Chiti avait claqué la porte de Ferrari, comme d’autres ingénieurs dont Giotto Bizzarrini, après un houleux bras de fer avec le Commendatore sur la gestion interne du cheval cabré. Ce schisme l’avait conduit à fonder la marque ATS qui cependant périclita rapidement.
La GTA est concomitante de la transformation d’Autodelta, qui vient d’être fondée en 1963. Auto delta (en deux mots au départ) était initialement une officine indépendante, qui préparait des pièces et des moteurs « en secret » pour des Alfa Romeo de course engagées essentiellement par des équipes et des pilotes privés.
En effet, la direction générale du Biscione avait, depuis l’arrêt de la F1 à l’issue de la saison 1951, mis son veto à un engagement officiel de la marque en compétition avec ses berlines. Mais les succès inattendus de la Giulia Ti Super font évoluer la position de l’entreprise.
Après avoir développé la première Giulia TZ en 1963 avec le carrossier Zagato, Chiti étudie à partir de 1964 la transformation de l’Alfa Romeo Giulia GT pour les compétitions, le tout dans le cadre d’un accord pour élargir le champ d’intervention de la petite entreprise, qui est autorisée à réaliser des prototypes, à élaborer des motorisations et à participer directement aux courses.
…à Autodelta
Alfa Romeo se prépare à reconnaître officiellement Auto Delta pour qu’elle devienne son département compétition. Le 30 novembre 1964, l’entité devient Autodelta, en un seul mot. Si son siège social reste dans le Frioul, son siège administratif et commercial est transféré à Settimo Milanese, dans la banlieue de Milan.
Le rapprochement géographique entérine ce partenariat désormais officiel. En 1966, la société Autodelta indépendante est liquidée pour constituer la base du nouveau Reparto Corse Alfa Romeo dont les réalisations sont parfois référencées sous la marque Autodelta ou simplement Delta. Mais revenons à la GTA.

Malin Carlo Chiti
Pour surmonter les problèmes de poids et de sous-virage excessif de la Giulia TI Super, Chiti prend pour base la Giulia Sprint GT, malgré une carrosserie coupé 2 portes faisant penser à une voiture de catégorie Gran Turismo.
Mais, en lisant le règlement Gr.2 Turismo, on s’est rendu compte que l’homologation ne précisait pas le nombre de portes mais la taille minimale des 4 sièges et notamment l’obligation de conserver l’espace aux jambes arrière du modèle de série. Comme toujours, l’interprétation des règles est un art. Il manquait deux petits centimètres sur la Giulia GTA pour satisfaire à cette règle si les mêmes fauteuils de série de la Giulia GT étaient utilisés.
L’astuce proposée pour contourner l’obstacle était ingénieuse : éliminer « officiellement » les sièges arrière rembourrés des voitures de série, en les remplaçant par une banquette en plastique, suffisamment fine pour combler les centimètres manquants, puis de fournir les sièges rembourrés en option.
L’idée de Chiti fut approuvée par la direction d’Alfa Romeo et Autodelta commença la transformation des prototypes de la future GTA dans les derniers mois de 1964 avec la collaboration des ingénieurs Orazio Satta Puliga et Giuseppe Busso.

« leggero va bene » * 205 kg de moins
C’est ainsi que naquit l’Alfa Romeo Giulia Sprint GTA, pour « Gran Turismo Alleggerita », présentée au Salon de l’automobile d’Amsterdam le 18 février 1965 et produite jusqu’en 1967.
Esthétiquement, la voiture ne diffère pas beaucoup de la Sprint GT mais elle affiche seulement 745 kg sur la balance, soit 205 kg de moins que la Sprint GT standard !
Les panneaux extérieurs (toit, ailes, portes et capots) de la carrosserie ont été fabriqués en Peraluman 25, un alliage d’aluminium et de magnésium à 5,6% avec du manganèse, du cuivre et du zinc, et rivetés à la structure porteuse en acier de la Sprint GT qui avait également été dépouillée de son anti-bruit. Le gain de poids a été également obtenu sur les jantes en magnésium fabriquées par Campagnolo, des « arches » en métal plus léger avec verrouillage à bouton-poussoir en lieu et place des poignées de série, deux prises d’air supplémentaires ouvertes sous le bouclier avant (également allégé), une calandre allégée.
A l’intérieur, en plus de la banquette de substitution, le conducteur agrippe le volant avec couronne en bois de la Giulia TZ et les vitres latérales et la lunette arrière sont en plexiglas.
45 ch de plus
Le moteur 1,6 à double arbre à cames de la Sprint GT est équipé de bielles et de pistons spéciaux et d’une culasse à double allumage avec deux bougies par cylindre et des soupapes plus grandes inclinées à un angle « V » de 80°. L’alimentation en carburant est assurée par deux carburateurs Weber 45 DCOE à double starter plus gros (45 mm de diamètre au lieu de 40) et une pompe à carburant électrique. Certaines pièces comme les arbres à cames et le carter sont en magnésium. De plus, le carter d’huile est agrandi. La cloche d’embrayage et le carter de différentiel autobloquant ZF ont été moulés en elektron.

La GTA reçoit aussi la distribution Marelli de la Dino. Les rapports de transmission sont plus étroits que la norme et les engrenages ont été usinés pour plus de légèreté et des changements de vitesse plus rapides.Dans la version routière, la GTA délivre 115 ch à 6 000 tr/min de puissance maximale et 14,5 kgm de couple à 3 000 tr/min pour une vitesse maximale déclarée de plus de 185 km/h.
Les versions préparées par Autodelta avec échappement latéral pouvent atteindre 160-170 ch à 6 500 tr/min et un couple de 16,5 kgm à 5 500 tr/min avec un poids réduit d’environ 45 kg supplémentaires grâce à l’élimination des pare-chocs, des sièges et d’autres petites pièces. La barre des 200 Km/h est franchie.
Les GTA lèvent la patte

Ses débuts en compétition ont lieu en 1965 lors de la course de côte de Trento – Bondone où elle remporte sa catégorie, avant de s’imposer dans la Coupe des Alpes la même année. Après les premières courses, les pilotes ont souligné la tendance de la GTA à « soulever » la roue arrière intérieure dans les virages, perdant ainsi de la traction en sortie de virage.
D’où venait cette particularité ? La voiture, à propulsion, était équipée à l’arrière d’un pont oscillant rigide qui intégrait le différentiel et les essieux . Le pont était relié au châssis par des bras longitudinaux et des tirants pour limiter les oscillations latérales. Un tel système a une fâcheuse tendance à « glisser » lorsqu’il est soumis à des charges latérales, ce qui rend la voiture nerveuse et lui fait perdre de la traction.
L’ingénieur Chiti a résolu le problème en adoptant le système « Slittone », un dispositif mécanique appliqué à la suspension arrière qui permet d’abaisser le centre de roulis : les roues arrière restent collées et on peut ouvrir l’accélérateur très tôt, surtout avec un différentiel autobloquant, la roue avant extérieure étant chargée au maximum.
Pour la Giulia GTA, la solution plus simple et plus radicale, s’appela donc Slittone, pour contraindre l’essieu arrière à se déplacer uniquement de haut en bas. L’autre modification concernait l’essieu avant. Les supports de suspension avant ont été modifiés en utilisant une sorte d’entretoise entre le support de moyeu de roue supérieur et le triangle supérieur.
Plus de motricité
Résultat, pendant la compression, la roue avait tendance à « ouvrir » l’angle de carrossage, plutôt qu’à le fermer comme cela se produit normalement. Cela a permis d’utiliser des angles de carrossage statiques plus proches de 0, au bénéfice de la durée de vie des pneus, des températures plus basses, de la contrôlabilité, etc., et d’obtenir une adhérence maximale même dans les virages et avec la roue sous compression.
La modification eut aussi comme effet d’augmenter le phénomène de bump steering (c’est-à-dire que le volant braque tout seul au contact d’un obstacle) rendant le volant très nerveux, et d’élever le centre de roulis avant.
C’est pourquoi la modification n’a pas été introduite sur la voiture de route car sans aucun type de « filtre » et avec une direction très directe, la voiture devenait trop nerveuse et difficile pour un utilisateur ordinaire, ainsi que désagréable à conduire.
En raison du deuxième effet, la Giulia GTA(m) avait un axe central de roulis (c’est-à-dire la ligne droite qui passe entre les centres de roulis avant et arrière) incliné vers le bas à l’arrière et vers le haut à l’avant.
Au final, les roues arrière restaient collées et on pouvait ouvrir l’accélérateur très tôt, surtout avec un différentiel autobloquant. Le gain était substantiel pour la propulsion GTA : une meilleure tenue de route dans les virages, moins de surchauffe des pneus et de meilleures performances globales sur la durée. Depuis lors, les GTA équipées de ce dispositif « soulèvent » la roue avant intérieure, permettant une traction optimale en sortie, tout en leur donnant une signature visuelle unique !
Alfa Romeo Giulia GTA, la tueuse du Dimanche
La Giulia GTA devient la « tueuse » des circuits et dans les courses de côte, imbattable dans sa catégorie, et ce sur plusieurs continents. Andrea de Adamich (en 1966 et 1967) et Spartaco Dini (en 1969) remportent trois fois le Challenge européen des voitures de tourisme en division 2, tandis qu’Ignazio Giunti s’impose dans le championnat d’Europe de la montagne en 1967. Elle gagne aussi à trois reprises le Deutsche Rundstrecken Meisterschaft, en 1966, 1967 et 1968 avec Herbert Schultze.

Chez nous, à travers l’écurie SOFAR (l’importateur France de la marque), Jean Rolland et Bernard Consten sont champions de France des rallyes en 1966 et 1967, ce qui permet de rappeler qu’Alfa Romeo détient également un grand palmarès sur les routes, un aspect de son patrimoine sportif qui a tendance à être ignoré…
200 victoires pour la Giulia GTA en 1966
Aux Etats-Unis, la GTA de Horst Kwech et Gaston Andrey remporte la catégorie des moins de 2 litres du championnat inaugural SCCA Trans-Am en 1966. Rien qu’en cette année 1966, l’Alfa Romeo Giulia GTA, conduites par des pilotes officiels et privés, totalise plus de 200 victoires !

L’escalade des victoires dans le Groupe 2 a conduit Autodelta à expérimenter la préparation encore plus poussée du Groupe 5. Entre 1967 et 1968, des dizaines d’exemplaires ont été équipés de deux turbocompresseurs. C’est la naissance de la GTA-SA (pour Sovralimentato qui signifie suralimentée), avec une puissance autour de 220 ch et une vitesse de pointe de 240 km/h.
Elle remporte la première place au classement général de la course d’endurance des 100 miles de Hockenheim en 1967 entre les mains du pilote allemand Siegfried Dau.
Ensuite, en 1968, apparaît la Giulia GTA Junior avec son moteur 1300 et son système d’injection monté à la place des carburateurs et qui est peut-être encore plus invincible dans sa catégorie que sa grande sœur, la GTA 1600.

Giulia GTAm, c’est l’Amérique
Enfin, en 1970, face à une concurrence de plus en plus rude et une classe Tourisme de moins de 2 litres de plus en plus demandée, Alfa Romeo fait encore évoluer le projet Giulia GTA avec la GTAm. Le point de départ est la version USA 1750 de la 1750 GT Veloce.
Ce véhicule est doté d’un système d’injection indirecte Spica au lieu de carburateurs double corps, une solution nécessaire pour respecter les rigoureuses exigences américaines en matière d’émissions. Cent exemplaires de série de la Giulia 1750 GT Veloce USA suffisent pour obtenir l’homologation en Groupe 2, mais une quarantaine d’exemplaires de course de la GTAm sont produits par Autodelta en 1970 et 1971.
Elle dispose d’un habitacle allégé au maximum, d’une culasse à double bougie avec soupape à 45° et pistons modifiés faisant monter la compression à 11 : 1 : la puissance augmente considérablement par rapport aux GTA. De 195 chevaux environ, elle atteint les 220 chevaux à 7 200 tours/minute. L’Alfa Romeo 1750 GT Am se distingue au Championnat d’Europe des voitures de tourisme 1970 grâce à Toine Hezemans, qui remporte la victoire à Monza, Budapest, Brno et Jarama, tandis que De Adamich et Picchi arrivent en tête dans aux 6 Heures du Nürburgring et que Picchi l’emporte à Zandvoort.
240 ch
En 1971 s’ensuit la dernière évolution avec l’Alfa Romeo 2000 GT Am. La cylindrée reste la même, mais la puissance augmente et atteint les 240 chevaux à 7 500 tours/minute.
Le Championnat d’Europe des voitures de tourisme 1971 est à nouveau dominé par Alfa Romeo, toujours avec le néerlandais Toine Hezemans qui gagne à Monza, Brno et Zandvoort. Avec Van Lennep, il remporte les 6 Heures du Nürburgring et le Paul Ricard, et gagne à Spa-Francorchamps avec Facetti.
La Giulia a parfois pu rivaliser avec des voitures plus puissantes, mais ensuite Alfa Romeo, malmené financièrement, n’a plus été capable de défier les monstrueuses Ford Capri RS2600 et autres BMW 3.0 CSL. Alfa Romeo se focalise alors sur les sport-prototypes avec la T33, avant de préparer activement son retour en Formue 1 à l’horizon 1977.
Il faudra attendre quasiment 20 ans pour revoir Alfa briller dans les courses de tourisme, avec la 155 GTA qui débarque dans le championnat italien de supertourisme en 1992, mais dont la version de série « Stradale » restera à l’état de prototype.
Une lignée intermittente
La GTA prend sa retraite en 1975, « remplacée » par l’Alfetta GTV. Néanmoins, le blason GTA n’eut pas de descendance pendant bien longtemps, la sportivité du Biscione étant assurée jusqu’au début des années 90 plutôt par les versions « Quadrifoglio ».
Puis, le blason revint au début des années 2000, en pleine résurrection de la marque, quand sort en 2002 la 156 GTA, reconnaissable à ses ailes élargies, ses boucliers et ses jantes spécifiques et surtout à son mythique V6 3.2 Busso de 250 ch.


Afin de concurrencer les breaks allemands de grosse cylindrée, la GTA fut aussi proposée en break Sport Wagon. La compacte 147 GTA sortit l’année suivante, bénéficia aussi du V6-24 soupapes de 3,2 litres et 250 ch de la 156 GTA. L’apogée d’Alfa sous l’ère FIAT ! Ni les Mito, ni la Giulietta ni même la 4C n’y auront droit par la suite.
Pourtant ce n’est pas la dernière Giulia à recevoir le prestigieux blason, avec la GTA équipée du V6 Biturbo 2.9 qui ravive la flamme chez les amateurs en 2020.

*en général, les italiens traduisent la fameuse devise de Lotus « ligt is right » par « léger, c’est bien »
Pour aller plus loin :
Alfa Romeo GTA : https://www.stellantisheritage.com/fr-fr/heritage/histoires/alfa-romeo-giulia-sprint-gta