Thierry Boutsen a construit sa carrière avec détermination et méthode. Après la F1 il retrouve une catégorie qu’il avait déjà cotoyée avec succès, l’Endurance. Malgré de belles performances et des victoires, Le Mans s’est refusé à lui. De peu. Il s’en est fallu de peu aussi, qu’il y accomplisse un dernier tour au bras de la sorcière aux dents vertes. Cette ultime course pour la vie et la mobilité physique, il la remportera. Les circonstances le mèneront alors vers la négoce de jets privés. Une reconversion on ne peut plus brillante.
Olivier Rogar
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Thierry Boutsen sur Wikipedia
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Classic-Courses, Olivier Rogar : Un tel parcours ne change pas la personnalité mais il la révèle. Peut-on voir la chose comme ça ?
Thierry Boutsen : Très bonne remarque. Oui, bien sûr mais surtout, je suis né avec un certain niveau de détermination. Quand je veux y arriver, je fais tout pour et je dis toujours : « les choses je les fais bien ou je ne les fais pas ». Dans le business c’est pareil, si je sais que je vais pouvoir les faire bien, je les fais. Si je sais qu’il y a quelque chose qui va m’en empêcher, je préfère ne pas perdre mon temps avec ça, tu vois. Je ne veux pas prendre le risque de m’embarquer dans des trucs qui sont ingérables parce qu’on perd son temps et on perd aussi le plaisir de vie.
On n’est pas là pour très longtemps donc il faut profiter de chaque jour et chaque jour est aussi important que la veille, que le lendemain. C’est vachement important. Je dis ça aussi parce que j’ai vu ça parmi les pilotes avec lesquels j’ai roulé. Il y en a quinze qui ont disparu accidentellement en course et moi je suis passé par le petit trou de la serrure. J’ai eu des accidents graves. Très, très graves.
CC, OR : Au Mans notamment, mais la deuxième fois, sur la Toyota GT One, que s’est-il passé ?
Thierry Boutsen : En endurance, mes premières 24 Heures du Mans et mes dernières 24 Heures du Mans se sont terminées toutes les deux par un accident extraordinairement grave. Dont je me suis sorti par miracle dans le premier cas et grâce au Professeur Saillant et son équipe dans le deuxième cas. Je le vois encore régulièrement.
Avec la Toyota, c’était en plein milieu de la nuit, 3h00 du matin. Je doublais Michel Maisonneuve qui roulait avec une Porsche GT2 ou GT3. Il allait 40 km/h moins vite que moi dans la ligne droite des stands. Je le passais par la droite au moment où il a décidé de venir se mettre là où j’étais. Il ne m’a pas vu arriver en fait . On a fait levier. Mes roues sont passées au-dessus de lui. Je suis allé m’écraser dans le mur d’en face…
Vertèbres facturées, moelle épinière enfoncée. J’avais les jambes paralysées. Je ne pouvais plus bouger. Je ne sentais plus rien. j’ai été opéré deux fois. J’ai fait deux séances à colonne ouverte, pas à cœur ouvert…Deux fois huit heures pour reconstruire la colonne pour restabiliser tout ça et pour libérer la moelle épinière qui était comprimée et c’est ça qui m’empêchait les sensations et le contrôle des jambes qui est heureusement revenu.
Ça s’est bien terminé et je n’oublierai jamais les paroles du Professeur Saillant qui venait me voir deux fois par jour dans la chambre et me disait : « Tu sais quand on est en forme physique, on a quand même beaucoup plus de possibilités de récupération que ceux qui ne font pas de sport. La preuve c’est que dans 1000 cas comme le tien, il y a 1000 morts ». D’ailleurs quand j’étais à l’hôpital, dans la chambre d’à côté, un gars avait été amené en ambulance. Il venait de subir un crash d’hélicoptère avec les trois mêmes vertèbres que les miennes fracturées, trois jours après il était décédé. Je me suis demandé alors ce qui m’attendait…
Mais en fait je m’en suis sorti et deux semaines après ma première opération j’ai pu rentrer chez moi et j’ai commencé à me rééduquer moi-même. J’ai vécu deux ans vraiment très difficiles au début. J’ai choisi de fournir des efforts surhumains. Je dis surhumains parce que ça faisait tellement mal ce que j’avais. Je n’ai jamais eu autant mal et aussi longtemps. J’ai vécu avec du di-antalvic matin, midi et soir, trois fois par jour pendant deux ans pour un peu calmer le mal.
Je partais de l’appartement pour aller au bureau à pied. Il y avait normalement trois minutes ou quatre minutes de marche. Je mettais quarante-cinq minutes dans chaque sens ! Mais je me forçais à le faire tous les jours pour me réhabituer à marcher. Là je suis en forme comme je n’ai jamais été . Donc deux ans pleins d’antidouleurs et puis deux ans pour retrouver la forme, reconstruire les muscles. Dans ma jambe gauche j’avais perdu tous les muscles, ma jambe gauche était grande comme ça. Cinq centimètres de diamètre !
Maintenant je fais du vélo. Je pratique du sport. Ça a été dur, très dur. Mais on ne vit qu’une fois et je tiens à vivre chaque jour à fond. De profiter de chaque jour. J’aurais très bien pu me laisser aller mais je serais déjà mort depuis longtemps.
CC, OR : Ton parcours en F1 a été brillant. Ton parcours en endurance également. Quelle comparaison pourrais-tu faire entre les deux disciplines?
Thierry Boutsen : C’est très, très, très différent aussi. La F1 c’est le sommet du sport automobile. En fait j’ai commencé la course. Je reviens en arrière. J’ai commencé la course avec ma propre voiture, ma propre organisation, sans mécanicien, je faisais tout moi-même. Je conduisais mon petit camion. J’avais ma caravane je dormais dans ma caravane. Je sortais la voiture le matin, je la mettais sous la bâche que j’avais et j’allais rouler, faire mes courses etc. Et il y avait une ambiance extraordinaire parmi tous ceux qui faisaient de la Formule Ford, de la F3 à l’époque.
C’était vraiment, je ne dirais pas des camarades de jeu mais des gens qui vivaient avec une espèce d’enthousiasme en prenant tellement de plaisir à ce qu’ils faisaient tous. Que ce soient les pilotes, les team-managers en F3, les mécaniciens en F3 aussi. En F2 c’était un peu pareil. Et cette ambiance a complètement disparu une fois en F1. Et là j’ai appris ce que c’était que d’être de vrais professionnels quand j’ai roulé chez Williams par exemple. Ce côté « ça doit gagner, sinon dehors ».
Et en refaisant de l’endurance après, à partir du moment où j’ai rejoint l’écurie Porsche, en tant que pilote d’usine, j’ai retrouvé cette ambiance-là, celle des années qui précédaient mon arrivée en F1. J’ai retrouvé d’ailleurs là, beaucoup de personnes qui étaient déjà là à l’époque. Notamment Norbert Singer qui avait créé la 917 et qui s’occupait de la GT One. C’est lui aussi qui avait créé les 956 et 962 que j’avais beaucoup pilotées avant mes débuts en F1.
Donc j’ai retrouvé un peu ce genre d’ambiance là et ce plaisir de conduire, plaisir de gagner, de faire avec les moyens du bord, avec ce qu’on a et ça demande parfois un peu de bricolage, même pour l’équipe Porsche qui n’était pas équipée comme les équipes de F1.
CC, OR : Et après la F1, le fait d’être dans une voiture fermée, ça ne dérange pas ?
Thierry Boutsen : J’ai toujours adoré la compétition automobile mais quelle que soit la voiture. Sur une voiture de tourisme, sur une voiture de grand tourisme, une GT One, une Gr C, F3, F2, j’éprouve autant de plaisir à faire ça.
Si je reprenais une formule Ford aujourd’hui, je prendrais autant de plaisir. D’ailleurs j’essaye de retrouver une Formule Ford telle que celle que j’avais à l’époque. C’était une Crossle 32 F. J’espère retrouver ça un jour pour pouvoir la redécorer comme elle était à l’époque et puis faire quelques tours avec. J’ai eu tellement de plaisir, ça me procurait tellement de plaisir aussi de gagner toutes ces courses que j’ai envie de la retrouver.
CC, OR : Le hasard joue parfois un rôle important. La manière dont tu t’es lancé dans le négoce d’avions par exemple.
Thierry Boutsen : Il y a eu plusieurs trucs liés au hasard, comme ça. Il y a une autre anecdote qui est très importante pour moi. Et que je n’oublierai jamais parce que c’est un truc qui m’a fait tellement plaisir. Je reviens un petit en arrière en 1985. Je participais aux 24 heures de Daytona au sein de l’équipe Bayside Disposal Racing. Ils avaient une 962 et il m’ont invité à participer. Donc j’arrive sur place, la voiture pas terrible, on avait des pneus Yokohama, pas terribles, à deux secondes des temps des Goodyear. Je me dis que ça va être un weekend un peu dur mais je vais faire de mon mieux et au bout d’une demi-heure de course le moteur explose. Donc je me dis : « Bon ça va, je prends mes affaires et je rentre, c’était le milieu d’après-midi je crois, je vais jusqu’à l’aéroport de Daytona, je prends le premier avion pour New York et puis je rentre ».
Je monte dans ma voiture de location pour partir de là et il y a un gars qui se met devant moi au sortir du parking. Mais comme ça devant moi, les deux bras en l’air me faisant signe de m’arrêter. Je ne le reconnais pas tout de suite. En fait c’était Bob Wollek. Il m’arrête et me dit : « Tu ne rentres pas là ! , tu viens rouler avec moi. Je roule avec deux vieux papys qui n’avancent pas (1). On a fait Monza ensemble, on va gagner à Daytona aussi. Je lui demande où ils en sont en course, comment ça se passe. Il me répond : « On est 17e mais on a la voiture pour gagner ! ». J’ai donc fait demi-tour, je suis allé me changer et j’ai fait double-relais auprès double-relais. Bob en faisait autant. On s’échangeait, moi, Bob, moi, Bob et ainsi de suite. Les deux autres n’ont jamais roulé. J’ai commencé vers 21h00 et à midi on est passé en tête. On a gagné les 24 heures de Daytona. Extraordinaire.
Et donc la course se termine. Je vais sur le podium et tout ça et puis je partais à l’aéroport pour rentrer. Je tombe sur Walter Brun dans l’aéroport qui me dit : « Est-ce que tu as un volant déjà pour cette année ? » Je dis « non ». Lui : « Si, si, tu as un volant, il est chez moi. Tu rouleras en 1985 avec nous ». Malheureusement il y a eu le drame avec Stefan Bellof, mon coéquipier, qui est décédé à Spa en tentant un dépassement sur Jacky Ickx à l’Eau Rouge. C’était tragique. Ça avait pourtant été une bonne saison… Et l’année d’après j’ai gagné les 1000 km de Spa en hommage à Stefan. J’avais un très bon équipier qui était Frank Jelinski qui n’était pas le plus rapide mais il était super régulier. Pas d’erreur. Il nous a permis de dominer la course et de la gagner.
CC, OR : Justement parmi tes coéquipiers, lesquels t’ont laissé une empreinte forte ?
Thierry Boutsen : Riccardo Patrese, parce qu’il était très rapide, bon metteur au point. On s’entendait sur les réglages de la voiture sans aucun problème. On avait les mêmes idées de mise au point. Il allait aussi vite que moi. Moi j’allais aussi vite que lui. Dans des conditions un peu particulières comme forte pluie et des choses comme ça, j’étais un peu meilleur que lui, ce qui m’a permis de gagner au Canada et en Australie mais sinon on faisait jeu égal pratiquement tout le temps à quelques dixièmes près. A l’époque un dixième ce n’était pas grand-chose, aujourd’hui non, c’est énorme. Pour d’autres raisons, bien sûr. Il y a lui.
Il y a Bob Wollek bien sûr avec qui j’ai roulé beaucoup en endurance avant mon époque F1 et après aussi. En roulant chez Porsche. En roulant aussi aux USA pour l’écurie Champion Racing. On y a gagné le championnat USRRC, en classe GT1, en 1998. Bob m’a beaucoup impressionné par ses qualités humaines. Beaucoup de gens le détestaient en tant que personne parce qu’il était assez bourru. Mais moi j’adore ce monsieur. J’ai adoré travailler avec lui. On avait une confiance totale l’un vis-à-vis de l’autre. Je savais que quand il ramènerait la voiture au stand elle serait en parfait état. Lui savait que moi, quand je ramènerai la voiture au stand, elle serait en parfait état aussi. Donc on avait aucun doute, aucun. On n’a jamais eu aucun reproche à se faire l’un à l’autre. Jamais. C’était dans les courses d’endurance quelque chose d’important.
CC, OR : Et par la suite tu as eu une relation amicale avec quelqu’un qui n’était pas dans ton écurie, je pense à Ayrton Senna.
Thierry Boutsen : Ça c’est très différent. Il y a deux personnes comme ça : Ayrton et Michele Alboreto.
Michele, je l’ai connu quand on était en F3. On s’est battu comme des chiffonniers. La première fois que j’ai rencontré Michele, on était au Nürburgring sur la Nordschleife. Moi j’étais débutant, je ne connaissais pas bien le circuit, j’avais fait quelques essais, j’avais essayé de l’apprendre un peu auparavant. J’avais fait la pole, si je me souviens bien, et en course je me retrouve avec Michele premier et moi deuxième.
Et donc au début de la ligne droite qui fait 3 km il était devant moi, je prends l’aspiration. Je me mets à côté de lui. Il ne voulait pas me laisser passer et je ne voulais pas le laisser passer et cet « enfoiré » a commencé à me donner des coups de roues. Et on avait exactement la même vitesse. Tous les deux on était, disons à 250 km/h, mais il n’y avait pas un demi km/h de différence entre nos deux voitures pendant 3 km et puis à la chicane du bout je suis arrivé à freiner un poil plus tard que lui. Et j’étais mieux placé. Et là j’ai pris la tête et j’ai gagné.
Et puis je suis allé le trouver après la course Et on a bien rigolé de ce qu’on s’était fait comme petites salades amicales pendant la course. Ça n’avait rien de dangereux, c’était juste un peu spectaculaire vu de l’intérieur du cockpit. Je n’avais fait ça de ma vie, moi. Lui était beaucoup plus habitué dans le Championnat italien de faire ce genre de « conneries » et à partir de ce moment-là on s’est lié d’amitié. On a fait beaucoup de choses ensemble. Beaucoup de voyages ensemble. Quand j’étais en F1, on a beaucoup volé ensemble avec mon avion. On est allé en Afrique du Sud, on est allé un peu partout comme ça. Quand on avait l’occasion de partir avec sa famille et avec la mienne, on partait ensemble.
Et puis Ayrton, lui, je l’ai rencontré vraiment en me battant contre lui au GP de Détroit en 1984. Je ne savais pas qui c’était, j’avais entendu parler d’un certain monsieur Senna mais sans plus. Je me suis retrouvé en course avec lui. Il avait la Toleman qui ne marchait pas du tout là-bas et moi j’avais l’Arrows qui ne marchait pas du tout non plus donc on s’est battu. C’est plus anecdotique qu’autre chose mais on s’est retrouvé comme ça, on a commencé à parler et puis on s’est lié d’amitié.
Ces deux personnages ce sont les deux seuls vrais amis que j’ai eu en F1. Parce qu’avoir des amis en formule 1. C’est très compliqué. C’est très difficile et surtout parmi les pilotes si on devient ami avec quelqu’un, on perd la bataille, quoiqu’il arrive on ne pourra pas se battre contre lui et aller jusqu’au bout de soi-même dans un freinage ou dans une entrée en virage ou même dans une ligne droite. Si on est amis, on ne va pas prendre le risque. Si on considère l’autre comme un ennemi contre lequel on doit se battre et bien on voit ça d’une manière tout à fait différente.
CC, OR : Ce sont des parcours extrêmement enrichissants, d’un point de vue moral, j’entends.
Thierry Boutsen : Les gens de l’extérieur ne se rendent pas compte. Et c’est ce qui est important en fait. Mais pour y arriver, il y a un travail tellement, tellement important. Il y a tellement d’opportunités qui se présentent et on doit choisir la bonne. Ce n’est pas toujours facile. On est influencé parfois par des choses qui vont nous faire choisir la mauvaise option. Mais bon il faut faire ce que l’on peut avec ce qu’on a entre les mains et puis choisir entre ces opportunités le mieux possible.
Je ne suis pas trop mécontent ce que j’ai fait jusqu’à présent.
CC, OR : Et les avions, ça arrive comment ?
Thierry Boutsen : Dans le monde de l’aviation c’est pareil en fait. J’ai commencé ça quand j’étais chez Benetton. J’ai acheté mon premier avion. Un petit bimoteur. Puis deux ans après je l’ai vendu pour en acheter un autre etc… J’ai fait quelques transactions pour moi.
Et fin 1996 Heinz-Harald Frentzen est venu me trouver en me disant : « Je voudrais avoir un avion comme le tien mais je n’ai aucune idée d’où aller chercher, comment ça se passe, au niveau inspection, immatriculation, certification, trouver les pilotes et tout ça, je n’ai aucune idée. C’était en fait un Cessna Citation, un petit jet pour six personnes qu’il voulait. C’est ce que j’avais à l’époque. Je lui ai proposé de m’en occuper, de manière totalement amicale pour lui, comme j’avais fait pour moi auparavant. Et ça a très bien marché. Deux mois après l’avion était à Cannes. Comme il habite à Monaco, c’était là qu’il fallait le livrer. Son pilote était Jeff Hutchinson avec qui je m’étais organisé pour qu’il vole pour lui. Et puis voilà. Tout était parfait. L’avion était inspecté, certifié, immatriculé.
Et comme ça a bien marché, ça s’est su bien sûr et j’ai eu un appel de Keke Rosberg pour Mika Hakkinen qu’il gérait à l’époque et qui voulait acheter une Learjet et il savait que moi j’avais eu un Learjet par le passé. « Est-ce que tu peux lui trouver ça ? ». » Aucun problème ». Donc je me suis mis à chercher et puis on a trouvé et trois mois plus tard il avait son avion. Et puis Keke m’a dit qu’il voulait vendre son Citation et son hélicoptère. Je m’en suis occupé. Et puis Michael Schumacher avait un Challenger qu’il voulait vendre parce qu’il avait acheté un Falcon. Aucun problème.
Et donc ça a commencé comme ça. Ça me plaît. Le côté commercial me plaît énormément. Le côté humain des transactions me plaît énormément aussi. Côté mécanique ça va sans dire, chaque fois que j’ai un avion devant moi je le démonte des yeux, je participe souvent à des séances de maintenance. Quand un avion rentre en maintenance, je vais l’inspecter. Je vais voir avec les mécaniciens dans quel état il est . Je donne parfois mon avis. Je fais ainsi depuis que j’ai commencé.
On a vendu 423 avions dans 72 pays. 73 maintenant. C’est un business extrêmement dur. Extrêmement sérieux. Tous les gens qui sont là-dedans sont très compétents. Il y a des passionnés aussi. Mais le côté humain est tout aussi important pour moi. Parce que quand on vend un avion, à un Américain à un Sud-Africain, à un Chinois, un Norvégien, un Belge, un Français, on va en fait dans le monde entier et donc ça permet de rencontrer du monde de nationalités, de cultures, de façon de faire du business complètement différentes et chaque fois on doit s’y préparer.
Donc ça va un petit peu dans tous les sens mais chaque fois on rentre dans la vie personnelle de ces gens-là parce qu’on négocie jusqu’au moment où ça casse et puis on doit remettre les morceaux en place et puis clôturer la transaction. Et comme ce sont des gros montants les gens ne se laissent pas faire. On apprend énormément. C’est aussi une bonne école de vie, très différente de l’automobile.
CC, OR : Justement est-ce cela qui t’a amené vers les voitures de collection ?
Thierry Boutsen : Non, ça c’est quelque chose qui m’est un peu tombé dessus. De manière positive. En fait j’ai été contacté par un ami qui connaissait un amateur désireux d’acheter une Formule 1 Ferrari dans laquelle il pourrait s’assoir et piloter. Il fallait qu’elle soit la plus récente possible. Je connaissais quelqu’un ici à Monaco qui avait une Ferrari ex-Alonso qu’il faisait rouler une fois par an dans le cadre des réunions Ferrari. Et cette voiture était en très bon état. J’ai fait la présentation, j’ai montré la voiture, je l’ai testée à Fiorano aussi et puis le client a décidé de l’acheter. Et puis il m’a dit : « Ça s’est très bien passé mais j’aimerais bien une deuxième voiture. Une troisième voiture. Une quatrième. Une cinquième voiture de collection ». A ce jour il nous en a acheté une soixantaine. Des voitures de collection, comme ça. C’est un de nos clients principaux.
Il sait pratiquement tout le temps ce qu’il veut. Je vais lui faire des propositions de temps en temps. « Ça m’intéresse, achète ». Ou « Non, ça ne m’intéresse pas ». J’en ai fait une comme ça puis une deuxième, une troisième. Puis je me suis dit que ça ne me dérangerait pas du tout de revenir un petit peu dans le milieu automobile que j’avais complètement quitté, vraiment complètement quitté, parce que j’ai toujours ça dans le sang.
En fait mon crash m’a coupé du sport automobile et de l’automobile. Je ne dirais pas que j’étais dégoûté mais j’étais tellement choqué par mon accident que ça m’a pris vraiment beaucoup de temps avant de pouvoir repenser automobile.
Tu me demandes qui a gagné le championnat du monde de F1 en 2005, 2006, 2007, je n’ai aucune idée. Je ne peux pas te dire. J’étais coupé jusqu’à 2015-2016. J’étais complètement coupé du sport auto. Je ne regardais plus les courses de F1.
Rien. J’étais concentré sur mon business d’aviation mais l’automobile …J’avais une si grosse blessure que j’ai dû attendre que cette blessure se soigne petit à petit d’elle-même. Et puis je suis remonté dans cette F1, celle de mon client à Fiorano et je me suis dit « Houlala, qu’est-ce que c’est que ça, c’est tellement brutal , ça va si vite… », j’ai repris goût, j’ai conduit la voiture deux, trois fois puis j’ai conduit d’autres F1. J’ai conduit aussi une Porsche 962. Je m’y suis petit à petit remis, comme ça, une fois par an, deux fois par an, je suis remonté dans une voiture de compétition, sur un circuit en faisant juste un petit peu de redécouverte jusqu’au jour où un ami m’a forcé à faire le Tour Auto avec lui et j’ai fait ça avec une Porsche 911 2 litres.
Au départ, je trouvais la voiture tellement surpuissante, à l’époque elle faisait 170 chevaux… Et deux ans après. on est passé au cap supérieur, on l’a fait avec une Cobra. J’ai gagné le Tour à ce moment-là, en 2022, mais je dirais qu’à ce moment là, j’ai retrouvé mes vraies sensations. J’ai éliminé toute la partie blessures que j’avais bien sûr, physique et psychologique. J’avais très peur au début de remonter dans une voiture de course et de me dire « Qu’est-ce qui va arriver, qu’est-ce qui va se passer ? »
En 2008, j’arrivais à marcher mais ce n’était pas terrible et Toyota m’a invité à fermer la boucle en participant à Goodwood, au Festival of Speed, la course de côte, avec la Toyota GT One. Celle du Mans et avec laquelle j’avais eu l’accident et qu’ils avaient réparée complètement. C’était pour moi déjà la première étape mais c’était encore trop tôt pour pouvoir éliminer l’accident complètement.
Maintenant je suis guéri. Maintenant ça va bien !
Notes
1 : Les deux papys étaient les stars américaines AJ Foyt et Al Unser ! L’écurie était le Henn’s Swap Shop Racing.