La saga Elf est avant tout le résultat de deux ambitions – celles de Elf et celle de Matra – toutes deux faites de réalisme et d’efficacité. Des hommes compétents, déterminés et que nul obstacle n’arrêtait ont porté la nouvelle marque ELF au plus haut niveau de notoriété possible en appuyant leur « publicité » sur de vrais exploits sportifs en compétition automobile. De la signature du contrat avec Matra début 1967 au titre mondial de 1969, moins de trois années s’étaient écoulées. Pour deux nouveaux venus dans ce monde de la compétition, la performance relevait de l’exploit.
Jean-Marc Chaillet l’homme de communication au service de ELF, éclaire cette saga par ses souvenirs.
Olivier Rogar
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UGD – Matra : l’accord officiel
Lors du Rallye de Monte Carlo 1967 sont présents à Monaco Jean Prada et Jean-Luc Lagardère et quelques-uns de leurs collaborateurs . Tout le monde se demande pourquoi ce soudain intérêt pour le rallye de la part de ces deux pontes de l’industrie française.
Mais le 19 janvier les journalistes automobiles sont conviés à une conférence de presse à l’Hôtel de Paris. L’accord de quatre ans qui vient d’être signé par l’UGD et Matra est annoncé par les deux hommes dont on devine que la même détermination, le même âge et la même entente vont porter leurs entreprises vers d’autres orbites.
« En faisant les choses autrement ! » Il n’est pas question que l’UGD ou la future marque, serve de vache à lait au constructeur pour le financement de sa branche compétition. L’intérêt de cette association bâtie pour le long terme est de bénéficier des retombées des futures victoires, en termes de prestige et d’image, de vendre plus de voitures et de bénéficier d’informations et d’échanges techniques permettant d’améliorer la qualité de produits.
La F1 est annoncée à l’horizon de quatre ans dont il semble impensable alors qu’il puisse être plus court.
Matra et Elf : 1967 succès en série
1967 fut donc la première année de collaboration officielle entre les deux firmes.
Jean-Pierre Beltoise, Jean-Pierre Jaussaud, Johnny Servoz-Gavin, Henri Pescarolo et Roby Weber étaient les pilotes choisis par Matra. Tous sous contrat et bénéficiant d’un système de primes au résultat, ce qui n’était pas courant à cette époque.
De leur côté les techniciens de l’UGD mettent au point une huile ricinée adaptée aux F3 et aux F2.
Dès janvier la Temporada argentine accueillit les Matra F3 de l’ écurie française. Leur domination fut totale. Quatre victoires pour Beltoise, Champion, des places d’honneur pour Jaussaud ( deux fois 2e et deux fois 3e) et pour Servoz-Gavin ( une fois 3e et une fois 4e). Les pilotes sud-américains n’avaient rien pu faire contre l’armada Matra.
La suite de l’année fut du même niveau. Avec dix victoires – dont Monaco – Henri Pescarolo remporta le championnat de France de F3.
En F2, le 20 août la course du Trophée d’Europe à Pergusa (I), disputée en deux manches, incarna le triomphe de Matra avec cinq voitures aux cinq premières places en temps cumulés. ( Stewart, Beltoise, Ickx, Schlesser, Servoz-Gavin).
En fin de saison, Jacky Ickx fut couronné sur la Matra MS5 du Team Tyrrell.
Au cours de la saison les légères F2 furent lestées et lancées dans le grand bain de la F1. Il s’agissait déjà de préparer l’avenir. Ickx réussit un exploit mais abandonna au Nürburgring. Tandis que Beltoise marqua ses premiers points et ceux de Matra en F1 sur la même monture lors du GP d’Afrique du Sud 1968.
Les pouvoirs publics s’en mêlent
Ces succès en chaine depuis 1966 n’avaient pas échappé aux politiques. La conversion à l’automobile de masse était en cours. Vitale pour l’industrie, l’image et la modernité du pays. Si De Gaulle ne voyait qu’un grand dessein pour la France, son premier ministre, Pompidou, était un … amateur d’automobiles.
Dans son esprit une écurie française faisant triompher la technologie française en compétition, au plus haut niveau international, ne pouvait que ruisseler sur toute l’industrie française.
Convaincu par l’ambition de Jean-Luc Lagardère, il consentit à Matra Sport un prêt de six millions de francs pour un nouveau moteur. C’était énorme. Ce sera critiqué par la concurrence nationale mais il en sortira le fameux V12 Matra dont les atouts théoriques le prédisposaient à la F1, à l’Endurance et à équiper une voiture de prestige française.
La presse n’en crut ni ses oreilles, lors de cette annonce, ni ses yeux quand, quelques mois plus tard, le 11 janvier 1968, le moteur conçu par Georges Martin et qui tournait au banc de Vélizy depuis le 19 décembre 1967, leur fut enfin – il faudrait dire déjà – présenté.
Matra-Elf-International : l’apothéose de 1969
L’ambition de Ken Tyrrell était claire depuis sa découverte du potentiel des Matra. Avec Elf il avait en plus le choix des armes. Le contrat signé en novembre 1967 lui permettait de bénéficier des châssis Matra et lui laissait le choix du moteur jusqu’à ce que le V12 soit au point. Il choisit le nouveau V8 Cosworth . Quant aux pilotes, Stewart serait le leader et il conservera toujours le V8 tandis que Beltoise apprendrait la F1 auprès du brillant écossais, en même temps qu’il étrennerait en course le nouveau V12.
Le grand Ken pouvait donc oublier pour un temps « Tyrrell Racing Organisation » et se concentrer sur sa nouvelle mouture « Matra-Elf-International »
La première Matra F1, la MS10 apparu au GP d’Espagne 1968 tandis que la Matra F1 V12, la MS 11, fut étrennée lord du GP de Monaco. Dès 1968 Jacky Stewart remportait trois Grands Prix et Jean-Pierre Beltoise s’illustrait lors de plusieurs courses. Notamment à Zandvoort au Pays Bas où les deux équipiers réalisèrent un sensationnel doublé Stewart – Beltoise. La première victoire de Matra en F1.
En fin de saison, l’efficacité du team Matra Elf International placé sous l’égide de Ken Tyrrell avait fait ses preuves et en homme pragmatique Jean-Luc Lagardère décidait de ne rien changer. Tyrrell continuerait d’exploiter les châssis F1 de la marque de Vélizy. V8 Cosworth pour Stewart et pour Beltoise, en attendant que le V12 soit au point pour la F1.
On sait ce qu’il en advint, l’incroyable pari fut réussi avec le titre pilotes et constructeurs pour Stewart-Matra ( 6 victoires) et une belle 5e place au championnat pour Beltoise. « Fin 1969 François Guiter a affrété un avion pour aller au GP du Mexique fêter le titre de Stewart sur la Matra. C’était extraordinaire » se souvient Jean-Marc Chaillet.
En F2 le chemin des Matra fut tout aussi triomphal avec les titres européens de Beltoise en 1968 et de Johnny Servoz-Gavin en 1969.
Pendant ce temps Elf, comme le précise Jean-Marc Chaillet, devait non seulement promouvoir son image de marque au travers de la compétition mais également s’assurer de la promotion de ses produits. Les instructions de François Guiter étaient les suivantes : « Il faut que Les automobilistes perçoivent que notre dynamisme est plus qu’une affirmation. Nous le prouvons par le lancement lui-même, par notre implication dans le sport automobile. Nous devons le prouver par la recherche du mieux-être général par des produits essence et lubrifiants mieux adaptés à la circulation d’aujourd’hui et l’ensemble doit renforcer le pôle technicité qui doit être au cœur de notre image. »
« Le nouveau carburant mis au point par Elf doit être au cœur de la publicité. Nous décidons, Choublay et moi de l’appeler Elf 1. Il sera le super à combustion propre, comme les ingénieurs Elf nous l’avaient décrit. »
Elf chez Renault aussi
Depuis 1967, le pari de Elf est gagnant. Trois saisons qui se sont avérées presque miraculeuses tant les résultats ont été brillants. Titres en F3, F2, F1. Moteur V12. Premiers gros espoirs en Endurance. Le partenariat est tressé de lauriers. Sans compter les accords avec Renault en Coupe R8 Gordini, avec la Formule France et avec Alpine dont les berlinettes pilotées par Vinatier, Andruet et Nicolas s’imposent dans tous les rallies.
François Guiter , en bon stratège se sentait de plus en plus tiraillé entre Matra dont le contrat touchait à sa fin et Renault dont Elf avait racheté la société de lubrifiants (Société des Huiles Renault) en 1968. L’accord prévoyant que Renault préconise les lubrifiants Elf pour toute sa production.
Être d’un côté sponsor et partenaire financier principal de Matra alors que la marque devait s’orienter vers les mécaniques Simca-Chrysler et donc vers un nouveau partenariat pour équiper ses voitures de route et de l’autre avoir le sticker Elf sur toutes les nouvelles Renault de Monsieur Tout le Monde, n’était plus tenable.
Pourtant chez Renault c’était plutôt à reculons qu’on allait vers la compétition. Ce n’était pas l’esprit de la Régie Nationale que de flamber ses gommes sur le bitume ou sur la terre. Mais Guiter s’était trouvé un allier de poids en la personne de Jean Terramorsi, Directeur de la communication de Renault qui lui aussi envisageait un retour au plus haut niveau de la vénérable firme et disposait des bons codes pour, doucement imposer sa vision aux gestionnaires de l’Île Seguin.
C’est ainsi que les chemins de Matra et de Elf allaient inéluctablement se séparer. Mais compte tenu de l’exceptionnelle réussite de l’opération, il fallait continuer jusqu’au bout à capitaliser sur ces succès.
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