En 2013 le sport automobile français commémore au moins deux quarantièmes anniversaires. Celui de la disparition de François Cevert, bien sûr. Mais aussi celui, moins sombre, du premier titre mondial en rallye décerné à la berlinette Alpine. Les Editions du Palmier ont eu l’heureuse idée de célébrer ce dernier en rééditant le livre de Christian Vella paru début 74 qui, rallye après rallye, relatait sous forme de reportage sur le vif la conquête du titre par la bande à Cheinisse.
Classic COURSES
Parler de réédition ne rend d’ailleurs pas justice au bel objet qu’on tient entre les mains. Quand on connaît l’édition originale, on est tout de suite agréablement surpris : on n’a plus affaire à un simple reportage fait pour être lu une fois et remisé dans sa bibliothèque au milieu des autres. Non, cette nouvelle édition se range plutôt dans la catégorie des beaux livres, ceux qu’on garde sur la table du salon et qu’on aime feuilleter au hasard à l’heure de l’apéritif. Ou sur la table de chevet, mais alors gare à son poids (1,6 kg !) qui ne le rend guère aisé à manipuler au lit ! Principale différence qui transfigure le livre : les images. Alors que le livre de 1974 était fort chiche sur ce point, la re-création du Palmier offre une iconographie surabondante, issue des archives McKlein. Le lecteur a donc droit à de superbes photos, dont bon nombre en couleurs, qui le transportent sur les lieux des 13 manches du premier championnat du monde des rallyes. De classiques photos de voitures en dérapage sur la neige suédoise, en décollage sur les buttes finlandaises, en glissade sur la boue kenyane ou sur la caillasse marocaine, mais aussi des clichés plus inattendus, tels celui dela Porsche de Waldegard bouchonnée par des autruches ou ceux d’un certain Jean Todt éclairant ses mécaniciens dans la nuit autrichienne. Il faut aussi souligner l’intérêt des légendes rédigées, avec la justesse que facilite le recul du temps, par Michel Delannoy.
Quant au texte, il n’a – évidemment – pas changé, en 40 ans. Avec ses qualités et ses défauts ou bizarreries. Du côté des premières, le récit reste aussi vivant, par son parti pris de chronique au jour le jour, émaillée de paroles des protagonistes recueillies au débotté. Mais on peut aussi, par moments, le trouver plombé par une digression ésotérique à la limite de l’abscons ou par un jugement lyrique sur le régime politique local qui tombe comme un cheveu sur la soupe. Néanmoins, nonobstant ces quelques passages indigestes, Christian Vella réussit parfaitement à rendre le caractère souvent épique des grands rallyes de cette saison 73, tout en n’oubliant pas sa mission première de journaliste : la précision des faits et, surtout, des chiffres. C’est ainsi que les temps des spéciales et les classements intermédiaires entrecoupent régulièrement son récit. Et c’est pour une bonne part ce contraste entre d’un côté l’extraordinaire aventure humaine que constituait un rallye de cette époque, avec sa grandeur, sa cruauté, sa poésie parfois, et de l’autre la froide mesure du temps, seul indicateur de la performance des hommes et des machines, qui fait le prix de ce document-témoignage.
Vous vivrez ou revivrez donc, entre autres, le triomphe Alpine au Monte-Carlo au terme d’une dernière nuit de légende, l’extraordinaire performance de Jean-Luc Thérier en Suède, l’incroyable arrivée ex-aequo des deux Datsun après plus de 5.000 km au Safari, le déroulement improbable d’un rallye mondial derrière le rideau de fer, l’imbroglio juridico-sportif engendré par l’ahurissant amateurisme des organisateurs autrichiens, le confidentiel rallye américain Press on Regardless sans vedettes ni équipes d’usine, ni spectateurs, la suprématie des Ford Escort dans le marathon forestier du RAC, …Vous assisterez aussi à la révélation de deux futurs grands rallymen : Walter Röhrl et son agile Ascona et Markku Alen, 2e aux 1000 Lacs avec une lourde berline Volvo.
Et, bien sûr, vous vous inclinerez encore une fois devant la domination écrasante des berlinettes Alpine, qui s’adjugent pas moins de six victoires (sept si l’on compte la victoire volée en Autriche) en dix participations. Un bilan comptable qui ne doit pourtant pas laisser croire que la saison des voitures bleues fut une promenade de santé. Car si les Alpine n’avaient que les Fiat 124 Abarth comme rivales pour le titre, elles durent affronter lors de chaque rallye plusieurs autres redoutables équipes d’usine ou assimilées : les Lancia Fulvia, Ford Escort, BMW 2002, Saab 96, VW Coccinelle, Datsun 240 Z, Opel Ascona, … avaient certes un programme plus léger, mais elles n’en étaient pas moins redoutables. Surtout avec les mercenaires qu’on trouvait à leur volant : Waldegard, Blomqvist, Warmbold, Makinen, Mikkola, Clark, Lampinen, Munari, Kallstrom, Pinto, Fall, Aaltonen, Andersson, Verini, Eklund, … la liste des pilotes qui tentèrent de freiner la conquête des berlinettes se passe de commentaires superflus. Ajoutez-leur les vaillants « Alpinistes » réguliers que furent Thérier, Darniche et Nicolas et les guest stars Andruet et Piot et vous avez dans ce livre un véritable Who’s who des grands rallyes de la première moitié des années 70. Et tout ce beau monde était engagé pour des épreuves durant 5 ou 6 jours et autant de nuits, sur des parcours longs d’au moins 1.500 km, souvent ultra-cassants et jalonnés d’épreuves spéciales pléthoriques (pas moins de 80 au RAC !) et/ou de parcours de liaison aux moyennes imposées impossibles à tenir.
On a bien sûr le droit de s’intéresser aux sprints diurnes et calibrés que sont les rallyes modernes et à leurs mano a mano entre deux marques et autant de pilotes (éventuellement trois ou quatre quand on a de la chance), mais ne les comparons pas aux rallyes d’il y a quarante ans, cela n’a pas de sens. Car il ne s’agit clairement pas du même sport. Ou alors il faudrait aussi discuter les mérites respectifs d’un chef étoilé et d’un gérant de Mc Do, sous prétexte qu’ils font tous deux de la restauration. Mais à quoi bon se lamenter, l’évolution du rallye et du sport automobile en général reflète celle de notre société et l’on peut aussi aborder ce beau livre comme le témoignage d’une époque dorée qui, sans le savoir, vivait ses derniers mois d’opulence insouciante et de gaspillage flamboyant. Après octobre 1973, plus rien ne serait tout à fait comme avant.
Ce beau pavé est donc, vous l’aurez compris, une lecture à recommander pour les longues soirées d’un hiver que d’aucuns nous annoncent particulièrement froid. Et, pour quelques euros de plus, vous pourrez utilement ajouter La Gagne, le livre de souvenirs de Jacques Cheinisse. Paru en juin dernier aux éditions de l’Autodrome, il constitue un très bon complément pour saisir le contexte économique et social dans lequel évoluait l’équipe Alpine. Et notamment pour se rendre compte que les adversaires de la bande à Cheinisse n’évoluaient pas tous sur les chemins empierrés du Maroc ou les lacets du Monte-Carlo. Les technocrates procéduriers (pléonasme ?) de la Régie Renault n’étaient pas en reste. Ce qui ne fait que rehausser le mérite de Jean Rédélé et de son équipe, premiers champions du monde des rallyes. Avec une mention spéciale pour Jean-Luc Thérier qui, si le titre pilotes avait existé en 1973, aurait été le premier Français champion du monde automobile, bien avant Alain Prost et Didier Auriol.
Olivier FAVRE
Photos @ DR
CC1 : JP Nicolas – Tour de Corse 1973
CC2 : Couverture livre.
CC3 : Rallye du Maroc 1973
CC4 : JC Andruet – Monte Carlo 1973
CC5 : JL Thérier – Acropole 1973
1973 Alpine-Renault champion du monde
Auteur : Christian Vella
Editions du Palmier
280 pages, 325 photos
49 euros