BBM
14 octobre 2021

1969, année héro-ïque 1/2

Mon 1er scratch, 1ère victoire d’une BBM, Les débuts de carrière d’un pilote et d’un constructeur. C’est la fin de matinée d’un vendredi de l’été 1969. Dans un hangar d’Amiens, prêté par Monsieur Mercier à son neveu Jean-Michel Mercier et à Pierre Bertin Boussu, un moteur tousse, hésite et se met à rugir. Je suis penché sur les carbus, et appuie brièvement sur leur commande. Le moteur répond dans un aboiement rauque. La première BBM, une berlinette de 96 cm de haut, s’apprête à rallier Tonnerre depuis Amiens pour sa première couse de côte.

Guy Dhotel

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Une première pour BBM

Un moteur 1108 R8 Major a permis les premiers tours de roues de cette berlinette dûment homologuée en rallye, avec Jean-Claude Builles et Dominique Dufossé. Nous avons enfin réussi à remplacer ce moteur asthmatique par un Gordini 1296cc, prêté. Le superbe échappement libre 4 en 1 tonne, résonne et rugit dans les brèves montées en régime à vide. On se regarde, surpris par ce bruit rauque. Il faut dire que, en plus de cette tubulure d’échappement typée spaghetti, ce moteur avait reçu un arbre à came Conrero, de grandes soupapes, des pistons courts de jupes. Cet échappement libre donne la touche finale de respectabilité à cette berlinette ultrabasse que Pierre Bertin Boussu et Jean-Michel Mercier ont réalisé : la première BBM !

Pendant que Pierre continue à chauffer le Gord’ à petits coups secs d’accélérateur, je ferme les yeux. Enfin, je vais courir en voiture, avec ce prototype engagé à la course de côte de Tonnerre. Je ne dois pas tarder, il y a plus de 400 kilomètres pour rallier les deux villes et nous n’avons pas de remorque. La voiture est moyennement adaptée à la circulation routière, mais homologuée et dûment immatriculée. Nous l’avons ensuite réglée pour la course : carrossage négatif arrière descendant la garde au sol à 6 cm avec des pneus racing provenant d’un vieux stock de chez Belkechout qui ne se souvient plus de l’âge de ces deux pneus, aussi haut que large.

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Découverte

Je suis escorté du break de Pierre et de la BMW 2002Ti de « Tintin », Jean-Claude Cantrelle, pilote professeur, toujours prêt à raconter une histoire croustillante. Dans le proto, je n’entends rien que le hurlement du moteur : on ne va tout de même pas mettre un silencieux à un échappement libre 4 dans 1 ! L’arrivée au parc fermé de la course de côte se fait dans le plus total anonymat. J’ai été plus remarqué au péage de l’autoroute à la sortie de Paris, quand j’ai dû sortir et déplier mes un mètre quatre-vingt cinq pour pouvoir accéder au guichet de la préposée, qui me dit en riant : « Vous seriez pas sorti de votre truc, je vous aurais pas vu passer ! »

Etonnés d’être arrivés sans encombre après ces heures de route, « Tintin », qui est déjà venu l’année précédente, nous emmène fêter ça. La nuit aura été courte. La suivante aussi. Et cette première course ne restera pas dans les annales BBM. Je termine très modestement 3e du Gr 5/7 moins de 1300, apprenant ainsi que la veille d’une course, il faut dormir, pas faire la fête avec les copains et les copines. En gros, j’ai été nul. D’autant que cette première BBM n’était pas des plus simples à cerner.

Adaptation

Si les trains roulant de R8, y compris les demi-essieux oscillants arrière, ne posaient pas de réels problèmes, le montage central du moteur s’était fait au prix d’une boite de vitesses retournée. Il aurait fallu un montage spécifique pour la commande de vitesses. Mais Pierre avait décidé qu’il suffisait d’un seul tube, assez tordu pour passer sur le côté de la boite, du moteur et entre les autres tubes du châssis pour aboutir à un trou dans un axe vertical à main gauche aussitôt dénommé : levier de vitesses. Le tout sans le moindre cardan. Inutile de dire que cette commande était, comment dire, élastique.

Comme la boîte ne comportait que 4 rapports et comme son pont long faisait que la 4e , enclenchée à plus de 160 km/h, ne servait pas à grand-chose en course de côte, ce pommeau de bakélite de Citroën type H me convenait. La route de retour s’était faite sans plus d’encombre. Au moins les pneus racing arrière ultra durs étaient rodés. A l’avant, les pneus du commerce suffisaient.

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BBM
Guy Dhotel – BBM (c) Conrath

Licques, face à la Carrera 6

La deuxième course fut décidée, ce serait la course de côte de Licques. L’enjeu était important : en 1969, Licques était la seule course de côte du Nord Pas-de-Calais au calendrier FFSA, elle drainait tous les pilotes du Nord et les sponsors locaux éventuels dont notre proto BBM manquaient cruellement. Nous avons cette fois une remorque, prêtée, elle aussi, et nous faisons bonne figure devant les spectateurs déjà présents à notre arrivée. Le temps de descendre la voiture de la remorque, une dizaine de passionnés viennent grossir le groupe de quelques ami-e-s (inclusif-ves).

La BBM surprend, étonne, les compliments se précisent jusqu’à l’arrivée d’ »Augwiller ». LA vedette. Un prof de psychologie lillois en Mercedes tractant une remorque fermée. Sa splendide Carrera 6 sort de sa boite, étincelante de polish. Le tout remise notre proto inconnu au rang des petits, des berlinettes Alpine et autres Porsche GR3 ou 4. C’est à dire rien, puisque même « La Voix du Nord – Voix des Sports » a titré en gros : « Augwiller grand et seul favori de la course de côte de Licques. » Les contrôles administratifs et techniques effectués, les essais libres du samedi peuvent commencer.

Mon 1296cc a ses chevaux de 5 500 à 8 500 trs/mn, il est très creux, non, vide en dessous. Pour tout arranger, mes pneus racing si hauts, qui permettent un carrossage négatif plus important, allongent encore la transmission de cette boîte 4 vitesses R8 Major qui tire très, très long. Tant pis, le pilotage des motos deux temps « préparées » m’a habitué à faire « cirer l’embrayage ». Il servira de boîte automatique pour combler les gouffres entre les rapports. Pas du tout adapté à cette côte raide, courte, et composée principalement de deux épingles à cheveux.

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BBM ou BRM ?

Départ, 1e, 2e, 3e, gauche à fond, freinage, droite en 2e, sortie en surrégime, 3e, freinage pour gauche serré en épingle qui passe soit en 1ère en perdant du temps, soit en 2e de justesse, 3e, freinage pour épingle droite très serrée commandant la longue ligne droite montant raide vers l’arrivée. Là, il faudrait une première longue pour cette épingle : je n’ai pas. Donc je dois passer en seconde, faire cirer éventuellement et ralentir le moins possible. Puis 3e jusqu’au surrégime et léger freinage pour la courbe d’arrivée qui se juge après le milieu de cette courbe.

Juste après la ligne d’arrivée, se dresse un haut talus extérieur qui dissuade tout excès d’optimisme en sortie. Je dispose d’environ 110 ou 120 CV, de 3 vitesses et de 2 pneus arrière Dunlop racing hors d’âge. La course de Tonnerre m’a au moins permis de m’habituer au déséquilibre de leur brutalité avec le train avant beaucoup plus souple. Notre proto est totalement inconnu : seul la sonorité agressive du 4 en 1, dessin Belkechout, retient quelques badauds.— Tiens, une BRM ! Une fois, dix fois…— Non, c’est une BBM, construite près d’Amiens, moteur Gordini, etc. etc. Les connaisseurs doutent : Y a jamais eu de BBM. Ouais, mais une BRM immatriculée dans la Somme ???

Pas de chronométrage officiel pour ces essais du samedi, je ne fais que deux montées pour tout économiser. De retour à Amiens, chacun a son avis : « mais si, j’ai pris un chrono, tu as claqué un temps ! » « Ben tiens, pourquoi pas plus vite que la Carrera 6 ? ». Cette fois, j’ai compris la leçon et me couche tôt. Je laisse la bande discuter dans la nuit.Le dimanche matin, je suis frais et dispos. Dans la voiture, la tendance est aux ronflements. Arrivés sur place, les bâillements se terminent quand il faut descendre précautionneusement la BBM. Pierre est soudain opérationnel quand il voit les première mini-jupes s’agiter autour de nous.

A suivre…

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