Ivor Bueb et Ron Flockhart ont remporté ensemble les 24 Heures du Mans 1957 au volant d’une Jaguar D de l’Écurie Écosse. Après avoir retracé le parcours du premier nommé, évoquons à présent la vie et la carrière de Ron Flockhart.
Olivier Favre
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William Ronald Flockhart est né à Édimbourg le 16 juin 1923, 10 jours après Ivor Bueb, dans une famille aisée possédant une florissante entreprise de pêche en haute mer et dont les membres masculins étaient plus qu’intéressés par tout ce qui roule, flotte ou vole avec un moteur. Il fait des études d’ingénieur à l’université d’Édimbourg. Puis il entre dans l’armée en 1943, dans le tout nouveau corps des Royal Electrical and Mechanical Engineers (REME), qui vient d’être créé par fusion des différents corps techniques de l’armée britannique. On l’envoie notamment en Afrique du Nord et en Italie, où il agace ses supérieurs par sa manie de foncer sur le sable au guidon de motos bricolées par ses soins.
Démobilisé en 1947 avec le grade de capitaine, Ron Flockhart confirme l’atavisme familial : courses de moto, vol à voile, aviation (il passe son brevet de pilote sur un Tiger Moth, comme Bueb). Et, bien sûr, course auto avec, d’abord, une MG TC qui lui permet d’écumer les « trials », courses de côte et circuits. En 1951 il passe à la formule 3-500 cm3, puis l’année suivante acquiert deux ERA ; d’abord la R1A, la toute première ERA produite en 1934 ; puis la fameuse R4D, ultime développement de cette voiturette à succès d’avant-guerre, qu’il rachète à Raymond Mays, l’un de ses créateurs (1).
Ron Flockhart, pilote d’essai chez BRM
Les bons résultats obtenus avec ces voitures le décident à quitter son emploi dans une entreprise de textile et à accepter l’offre de BRM : devenir pilote d’essai en 1954. A ce poste il va d’abord devoir se coltiner la monstrueuse P15 V16 à compresseur que BRM tente de mettre au point depuis 4 ans. Elle s’avérera un cul-de-sac après les changements de réglementation de la F1. C’est aussi en 1954 qu’il fait ses débuts en F1, lors du GP d’Angleterre à Silverstone. Relayant au pied levé le Prince Bira, malade, il a la chance de sortir indemne d’une série de tonneaux avec sa Maserati 250 F d’emprunt. Cette Maserati restera la seule voiture non anglaise qu’il pilotera en course.
Accaparé par le développement de la nouvelle BRM P25, qui n’est pas plus rapide que celui de la V16, mais aussi par la station-service-garage aux couleurs BP qu’il gère à Ascot avec un associé, Flockhart ne réapparaîtra pas en championnat du monde avant 1956. En attendant, il va se consacrer aux courses d’endurance, discipline qu’il découvre en 1955, comme Ivor Bueb. Les Mille Miglia avec une Austin-Healey ; Le Mans avec Colin Chapman comme équipier pour la première apparition d’une Lotus dans la Sarthe ; et le Tourist Trophy sur MG Ex. Sans résultat tangible.
Double victoire au Mans
L’année 1956 sera plus fructueuse. Au Mans d’abord où, en compagnie de Ninian Sanderson, il s’impose avec la Jaguar D « short nose » de l’Écurie Écosse. Une victoire 100% écossaise ! Mais aussi en Formule 1. Oh, pas avec la BRM P25, encore affligée de mille maux de jeunesse. Mais avec une Connaught officielle qu’il amène contre toute attente à la 3e place du Grand Prix d’Italie, après être parti de la dernière ligne ! Cette pige restera sans lendemain, les jours de Connaught étant comptés.
En 1957 la P25 n’est toujours pas au point et BRM se retire du championnat après un nouveau fiasco à domicile sur le circuit d’Aintree. Flockhart, lui, s’est blessé deux semaines plus tôt en sortant de la route à Rouen, lors du GP de l’ACF. Heureusement, il se console en sport, avec en particulier cette deuxième victoire consécutive au Mans, avec Ivor Bueb et une autre Type D, une « long nose » cette fois.
La course tous azimuts
Cela dit, Ron Flockhart a-t-il besoin de se consoler ? Sans doute pas. Car il n’est pas, et ne se considère pas, comme un pilote professionnel, dont chaque échec peut remettre en cause la suite de la carrière. Il n’a rien à prouver. Son garage marche très bien (surtout avec la publicité qu’il lui fait en gagnant au Mans) et il n’a pas besoin de piloter pour gagner sa vie. Il ne risque d’ailleurs pas d’y parvenir en courant pour l’Écurie Écosse qui fait à peine mieux que lui rembourser ses frais. Non, s’il court, c’est parce qu’il aime ça et qu’il se trouve qu’il est doué pour cela. Et tous les volants sont bons à prendre, comme le prouve son programme chargé de l’International Trophy de Silverstone en septembre 1957 (2) : il y est engagé aussi bien en F1 (BRM P25), qu’en Sport de petite cylindrée (Lotus XI), en Sport de grosse cylindrée (Jaguar D) et en Tourisme (Jaguar 2,4 l).
Tout comme pour Ivor Bueb, et bien que tous ceux qui l’ont côtoyé aient noté qu’il prenait la course très au sérieux, comme tout ce qu’il entreprenait, on ne peut donc parler de carrière pour Ron Flockhart. De toute façon, lui aussi a débuté assez tard. Et lui aussi va sur ses 35 ans, alors que les machines anglaises commencent enfin à contester la domination des italiennes. En outre, la saison 1958 va être singulièrement réduite pour l’Écossais. Début juin à Rouen (encore !), il sort de la route avec sa Lotus XV et se casse plusieurs côtes dans un crash spectaculaire. Il est hors de combat pour plusieurs mois. On ne le reverra que lors du dernier Grand Prix F1, au Maroc.
Dernière année chez BRM
L’année 1959 sera nettement plus dense pour Flockhart. Et elle commence sous les meilleurs auspices, puisqu’il remporte le Lady Wigram Trophy en Nouvelle-Zélande le 24 janvier. Conforté par ce succès, Flockhart va avoir cette année, en plus de ses engagements en Sport avec l’Écurie Écosse, un programme F1 plus chargé. Et, après avoir décroché le point de la 6e place à Reims, il confirme à Snetterton en octobre que la P25 a fini par devenir – mais un peu tard, face à la révolution du moteur arrière – une voiture compétitive. Certes, c’est une course hors championnat, au plateau essentiellement britannique. Mais Ron gagne quand même ce Silver City Trophy devant celui qui allait devenir champion du monde deux mois plus tard, Jack Brabham.
Dernières piges en F1
Très amis, les deux hommes se côtoient moins souvent sur les podiums que dans la carlingue d’un avion. En effet, passionné d’aviation, Ron Flockhart est l’un des premiers pilotes de course à voler d’un circuit à l’autre au volant de son propre avion. D’abord un Auster anglais puis un Bellanca Cruisair américain. Et il a souvent eu l’occasion d’embarquer Brabham et de l’initier au pilotage. Au point que l’Australien a passé en cette année 59 son brevet de pilote et a commencé à voler lui aussi.
En 1960 Flockhart quitte BRM et ne fait que deux apparitions en championnat du monde : à Reims il remplace chez Lotus Alan Stacey qui s’est tué à Spa. Il forme ainsi pour la seule fois en F1 un trio de pilotes 100% écossais avec Innes Ireland et Jim Clark. Les trois hommes finissent la course aux 5e (Clark), 6e et 7e places, Flockhart marquant ainsi son dernier point en championnat du monde. A Riverside, pour la clôture de la saison, il est intégré à l’équipe Cooper, aux côtés de Brabham et McLaren, mais il doit abandonner. Tout comme au Mans quelques mois plus tôt, non sans avoir montré avec Bruce Halford que l’antique Jaguar D de l’Écurie Écosse avait encore de beaux restes.
Chasse au record
L’aviation prend de plus en plus de place dans l’agenda de Ron Flockhart, qui est à présent tendu vers un nouvel objectif : le record du monde sur le parcours Sydney-Londres, en solo et avec un moteur à pistons. Il est persuadé de pouvoir améliorer ce record qui date de 1938. Il va trouver des oreilles attentives dans l’écurie UDT-Laystall (3) qui, intéressée par l’impact publicitaire du record, achète à l’Écossais un ex-chasseur Mustang CA 17-Mk 20 basé en Australie (4).
Flockhart en prend possession sur place, à la fin de la traditionnelle série de courses australes qui ouvre la saison. Après une préparation soignée et quelques heures de vol pour se familiariser avec l’engin, il décolle le 28 février de Sydney. Direction Londres pour un vol prévu sur quatre jours avec une dizaine d’arrêts pour ravitailler et se reposer. Malgré quelques péripéties, tout se passe bien jusqu’à la Méditerranée, où le mauvais temps le force à se dérouter sur Athènes. Là, des tracasseries administratives, puis une surchauffe moteur clouent le Mustang au sol le 3 mars (5).
Bien qu’encore en avance sur le record en solo (fixé à un peu plus de cinq jours), Flockhart, fatigué et énervé, abandonne sa tentative et rejoint Londres pour honorer un rendez-vous important fixé de longue date : son mariage avec Miss Gillian Mary Tatlow, une hôtesse de l’air de la compagnie britannique BOAC. Nul doute que nombre de jolies femmes ont dû pousser un soupir de déception ce jour-là. Car ce bel homme de plus d’1,80 m avait tout pour plaire à la gent féminine. Charmant et bien élevé, décontracté et sûr de lui, il n’est pas sans rappeler à cet égard un Peter Collins ou, plus tard, un Peter Revson.
Dernier envol
En ce printemps 1961 Ron participe encore à quelques courses, notamment au Mans avec le grand espoir écossais Jim Clark et la vieille Aston-Martin DBR1 de l’autre écurie calédonienne, les Border Reivers, qui lui vaut une dernière victoire à Charterhall le 17 juin. Mais, frustré par son échec si près du but, Ron est bien décidé à repartir en quête du record Sydney-Londres. Ce ne sera pas avec le Mustang d’Athènes, qui est sérieusement endommagé par un incendie en septembre, sur le tarmac grec. Qu’à cela ne tienne : Flockhart achète, à son compte cette fois, un autre Mustang, un CA 18-Mk21 un peu plus récent, et part en Australie début 1962 pour superviser sa préparation. Le départ est prévu pour le 16 avril.
Le 12 avril, par un temps couvert et pluvieux, il décolle de Melbourne pour un vol d’essai à destination de Sydney. A peine 10 minutes après son envol, il fait état de problèmes techniques et annonce qu’il fait demi-tour. Il n’aura pas la possibilité de revenir, le Mustang s’écrasant dans les monts Dandenong, à l’est de Melbourne. Son corps sera crématisé et ses cendres rapatriées en Écosse, puis dispersées depuis un avion au-dessus des Pentland Hills, près d’Édimbourg.
NOTES
(1) Pilote, Raymond Mays fut l’un des fondateurs des marques ERA (English Racing Automobiles) et BRM (British Racing Motors), toutes deux basées à Bourne, dans le Lincolnshire.
(2) Habituellement organisé en mai, l’International Trophy fut en 1957 disputé en septembre, en raison des mesures de rationnement en essence prises suite à la crise de Suez, fin 1956.
(3) Fin 1960 le British Racing Partnership que nous avons évoqué à propos d’Ivor Bueb s’associe avec la compagnie United Dominions via sa filiale Laystall Engineering. L’écurie prend le nom de UDT-Laystall pour 1961.
(4) A partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les chasseurs Mustang furent construits sous licence par la firme australienne Commonwealth Aircraft Corporation (d’où l’abréviation CA) à Melbourne.
(5) Les lecteurs anglophones désireux d’en savoir plus sur la tentative de record Sydney-Londres de Ron Flockhart et sur son accident pourront se reporter à cet article très complet : https://www.aeroexpo.co.uk/news/the-story-of-ron-flockharts-last-race/