Autobau – la « fabrique d’automobiles » en traduction libre de l’allemand – est le plus beau musée automobile de Suisse. Il se trouve à Romanshorn sur les rives du lac de Constance et abrite 120 voitures dont une bonne dizaine de F1, à commencer par une Ferrari de Jean Alesi, une Renault d’Alain Prost et une Sauber de Jean-Christophe Boullion.
On peut également y admirer les prototypes Sauber-Mercedes d’Henri Pescarolo et de Jean-Louis Schlesser ainsi que la Tesla Roadster au volant de laquelle Erik Comas avait remporté le Rallye Monte-Carlo Energies Alternatives en 2010.
Cela sans même parler d’un nombre incroyable de « supercars » dont une Bugatti EB 110, une Ferrari LaFerrari, une nouvelle Ford GT40, une Porsche 918 Spyder et une Lamborghini Miura pour n’en citer que cinq parmi tant d’autres. Classic Courses s’est entretenu avec Fredy Lienhard, le propriétaire de ce magnifique musée.
Laurent Missbauer
Fredy Lienhard : l’homme d’Autobau
Autobau existe grâce à Fredy Lienhard. S’il est avant tout connu aujourd’hui en tant qu’ancien pilote et collectionneur avisé, il est également un industriel à succès. Son entreprise Lista, spécialisée dans les meubles de bureau et les systèmes d’armoires à tiroir de chargement, lui a permis de soutenir plusieurs compétitions du championnat de Suisse ainsi que de nombreux pilotes, à commencer par Neel Jani, pilote d’usine Porsche depuis 2013 et vainqueur en 2016 aussi bien des 24 Heures du Mans que du championnat du monde d’endurance avec Romain Dumas et Marc Lieb.
Bien installé dans un des fauteuils en cuir qui se trouvent au-dessus de sa collection de Ferrari, dans l’aile gauche de son musée, Fredy Lienhard a répondu sans détour à nos questions.
Quand on lui demande comment la passion du sport automobile lui est-elle venue, il répond que celle-ci lui a été transmise par son père, Alfred Lienhard, qui a disputé plusieurs courses de côte en Suisse, au volant d’une Porsche 356 Pré-A, dans les années cinquante. Sur ce, il se lève et nous conduit dans une pièce de son musée, un endroit qui n’est pas ouvert au public. Là, Fredy Lienhard nous montre une photo en noir et blanc de son père, en pleine action au volant de sa Porsche 356 Pré-A à la course de côte de Mitholz-Kandersteg.
Un peu plus loin, nous apercevons une autre photo en noir et blanc. On y voit une Mini à l’attaque dans un virage en épingle : « C’est moi qui suis au volant », nous explique-t-il. Est-ce sa première course ? « Non, j’ai commencé à courir avec des caisses à savon », répond-il.
Lista racing team
Aujourd’hui encore, il sponsorise le championnat de Suisse de caisses à savon. « Je soutiens également le championnat de Suisse de karting », poursuit Fredy Lienhard. Ce championnat s’appelle d’ailleurs officiellement le Championnat de Suisse de Karting Autobau. Pour quelles raisons vient-il en aide aux jeunes pilotes ? « Car je me suis trouvé dans la même situation qu’eux, au début de ma carrière, lorsque j’ai créé en 1969 le Lista Racing Team qui faisait courir des Formules V et des Porsche. A l’époque, nous étions très contents lorsque nous réussissions à réunir 3000 euros de sponsors ou d’autres sommes grâce à de petits sponsorings ici et là. Du coup, je suis bien placé pour savoir que chaque soutien a son importance. »
« Le sport automobile est en effet une discipline qui coûte très cher. L’argent que j’y ai investi m’a cependant permis de gagner de nouveaux marchés pour les systèmes d’armoires à tiroir de chargement de Lista », ajoute Fredy Lienhard. « Aujourd’hui, notre meilleur client en Italie est par exemple Ferrari. Il en va de même en Grande-Bretagne avec McLaren. »
Presque tous les constructeurs automobiles utilisent aujourd’hui du mobilier Lista : d’Audi à Volkswagen, en passant par Bugatti, Citroën, Ford, Lamborghini, Maserati, Mercedes, Opel, Peugeot, Porsche, Renault, Toyota, Volvo et bien d’autres encore. Même constat pour les écuries de F1, avec Ferrari et McLaren, mais également Alfa Romeo-Sauber, pour n’en citer que trois.
Sauber F1 à Autobau
A propos de Sauber, Fredy Lienhard a tissé des liens très étroits avec Peter Sauber, le fondateur de l’écurie de F1 éponyme. Ce dernier a ainsi déposé à l’Autobau sa propre collection de monoplaces de F1. Celle-ci est désormais installée dans la nouvelle aile du musée, appelée « Polygone », qui a été inaugurée au mois d’octobre 2016.
« Lors de l’inauguration du Polygone où, outre une dizaine de monoplaces de F1, sont également exposées deux monoplaces de Neel Jani, à savoir une Formule Renault 2.0 et une monoplace de l’A1 GP avec laquelle il a remporté le titre mondial en 2008, la mère de Neel Jani s’est entretenue avec moi et a tenu à me remercier comme suit : < Si mon fils est aujourd’hui là où il est, c’est également à vous qu’il le doit. > C’est un compliment qui m’a fait très plaisir. Je suis par ailleurs le premier à me réjouir quand un des pilotes que j’ai soutenus devient professionnel », précise Fredy Lienhard que certains appellent « Monsieur Lista ».
Simona de Silvestro
Mis à part Neel Jani, Fredy Lienhard a ainsi eu la satisfaction de voir au moins trois autres de ses protégés devenir pilotes professionnels avec Rahel Frey, Nico Müller et Simona de Silvestro. Les deux premiers avec Audi dans le championnat allemand DTM et la troisième tout d’abord avec Nissan dans le championnat australien de voitures de tourisme puis, à partir de cette année 2020, en tant que pilote d’usine pour Porsche.
Elle a un programme de courses en GT et un rôle de pilote d’essai et de développement au sein de l’écurie TAG Heuer Porsche de Formule E, une catégorie où elle est la seule femme à avoir marqué des points – c’était lors de la saison 2 de Formule E disputée à cheval sur les années 2015 et 2016. La monoplace d’Indycar avec laquelle Simona de Silvestro a couru aux Etats-Unis figure également en bonne place à l’Autobau : « Simona de Silvestro est peut-être celle que j’ai le plus soutenue », ajoute Fredy Lienhard.
Neel Jani
« Monsieur Lista » ouvre ensuite le tiroir sur roulettes d’un des meubles qui ont fait sa fortune et sort quelques-uns des nombreux dossiers de sponsoring qu’il avait reçus en 2001. Sur la première page de l’un d’entre eux, on peut lire le titre suivant : « Neel Jani, 18 ans, vice-champion d’Europe de Formule Renault ». Juste au-dessous figure une photo de la course d’Estoril où Neel Jani se trouve sur la plus haute marche du podium, entouré, excusez du peu, de Lewis Hamilton et de Jose-Maria Lopez.
Quelques années plus tard, ces trois pilotes allaient devenir champions du monde dans leur discipline respective, à savoir l’endurance (WEC) pour Neel Jani, les voitures de tourisme (WTCC) pour Jose-Maria Lopez, équipier de Sébastien Loeb et d’Yvan Muller chez Citroën, et la F1 pour Lewis Hamilton.
Pas le bon endroit, le bon moment…
Neel Jani a tâté lui aussi de la F1. Tout d’abord chez Sauber, où il a effectué différents roulages aérodynamiques, notamment à Vairano, puis chez Toro Rosso, en tant que troisième pilote pendant toute la saison 2006. A l’époque, les troisièmes pilotes tournaient le vendredi. « Neel Jani aurait certainement pu faire carrière en F1, il ne s’est malheureusement pas trouvé au bon endroit au bon moment », déplore Fredy Lienhard.
Lorsqu’on lui demande si Peter Sauber n’aurait pas dû mieux exploiter le grand talent de Neel Jani et le faire débuter en F1, Fredy Lienhard répond diplomatiquement : « J’aurais certainement fait les choses différemment que Peter mais je tiens néanmoins à lui tirer un grand coup de chapeau pour tout ce qu’il a réalisé. Aujourd’hui, son écurie est la 4e plus ancienne de F1 derrière Ferrari, McLaren et Williams. C’est quand même assez fantastique, non ? Cela sans même parler de sa victoire avec Mercedes aux 24 Heures du Mans. »
Sa préférée est à Autobau
« Et puis, le fait que Neel Jani n’ait pas percé en F1 ne l’a pas empêché de faire une très belle carrière chez Porsche en Endurance », note-t-il. Pour la petite histoire, on relèvera que c’est Fredy Lienhard qui a permis au champion du monde d’endurance de 2016 de mettre un premier pied chez Porsche. Il l’a en effet laissé conduire à différentes reprises sa propre Porsche Spyder RS LMP2 lors d’essais privés. Des essais privés auxquels Romain Dumas avait également participé : « Je suis peut-être celui qui a effectué le plus de kilomètres d’essais au volant de la Porsche Spyder de Fredy Lienhard », nous avait confié le pilote d’Alès lors de la Porsche Rennsport Reunion de 2011 à Laguna Seca.
« La voiture que je préfère dans mon musée ? C’est la Porsche RS Spyder avec laquelle j’ai couru aux Etats-Unis. » Elle figure en bonne place dans le musée Autobau, non loin de la Dallara-Judd avec laquelle il a remporté en 2002 les 24 Heures de Daytona.
Marie-Claude, François, Eric…
Sachez également que lors de nos deux derniers déplacements à l’Autobau, nous y avons rencontré trois pilotes français qui étaient ravis d’avoir visité le plus beau musée automobile de Suisse. Ces trois pilotes étaient François Mazet (une course de F1 à son actif, au Grand Prix de France de 1971 au volant de la March 701 du Jo Siffert Racing), Erik Comas (59 GP de F1 disputés de 1991 à 1994) et Marie-Claude Beaumont qui a notamment couru à six reprises aux 24 Heures du Mans, de 1971 à 1976, la dernière participation s’étant soldée par une 4e place en GT au volant d’une Porsche 934 Turbo du Kremer Racing dont elle partageait le volant avec Didier Pironi et Bob Wollek.
Fredy Lienhard a été très heureux que Marie-Claude Beaumont appose sa signature sur le mur des célébrités de l’Autobau, son autographe y côtoie désormais ceux d’autres grands noms de l’automobile dont Arturo Merzario, Marc Surer, Valentino Balboni – le célèbre essayeur de Lamborghini – Franco Sbarro et Peter Sauber pour n’en citer que cinq.
Les constructeurs suisses à Autobau
Les deux derniers noms ( Sbarro, Sauber) s’expliquent également par le fait que l’Autobau expose un grand nombre de voitures « made in Switzerland » : les différentes Sauber de F1 et des 24 Heures du Mans mais également plusieurs Sbarro, dont la Sbarro Autobau réalisée sur un châssis Ferrari à la demande de Fredy Lienhard.
Outre les Sauber et les Sbarro, plusieurs Rinspeed ainsi qu’une Monteverdi et une Enzmann, petit constructeur suisse qui réalisait des roadsters sans aucune porte sur des châssis de Coccinelle, sont exposées à l’Autobau.
Autobau, une visite s’impose
En un mot comme en cent, la visite de ce musée réserve bien des surprises !
( https://www.autobau.ch/automobilmuseum/ )
Classic Courses vous conseille chaleureusement d’aller visiter ce musée à Romanshorn, dans la partie orientale de la Suisse. Il est ouvert chaque mercredi de 16h à 20h et chaque dimanche de 10h à 17h. Des visites privées peuvent être réservées tous les jours de la semaine.
Cette région vaut largement le détour, pourquoi pas lors d’un déplacement en Bavière, que ce soit pour aller visiter le musée BMW à Munich https://www.bmw-welt.com/en/locations/museum.html ou le Traumwerk, le nouveau musée que Hans-Peter Porsche, un des quatre fils de Ferry Porsche, à construit à Agner ( https://www.traumwerk.de/en/hans-peter-porsche/ ) ?
Le Traumwerk abrite actuellement une magnifique exposition temporaire sur la Porsche 917 et les 24 Heures du Mans
( https://www.traumwerk.de/en/special-exhibition/ ).
La région du lac de Constance, où sont notamment domiciliés depuis plusieurs années Sébastien Ogier, Toto Wolff et Sebastian Vettel, accueille par ailleurs tous les mois de mai un très intéressant salon de la voiture ancienne, le Bodensee Classic (https://www.motorworld-classics-bodensee.de/ ). L’édition de cette année aura lieu du 8 au 10 mai 2020. Bodensee est la traduction allemande du lac de Constance.