Le Grand Prix de France 1973 s’annonce comme la huitième manche d’un magnifique duel entre deux grands champions au sommet de leur art. Mais la course ne sera favorable ni à l’un ni à l’autre et le public assistera en fait à la révélation d’un grand talent de demain et à la récompense méritée et si longtemps attendue d’un pilote unanimement apprécié.
Olivier Favre
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Mo Nunn
Il avait été pilote officiel Lotus en F3 et avait rêvé de Formule 1, comme beaucoup d’autres. Mais il avait compris que ses chances d’y parvenir derrière un volant étaient faibles. En revanche, pourquoi ne pas tenter sa chance comme constructeur ? Mais de là à arriver en F1 si vite … Quel chemin parcouru depuis le garage de sa maison de Walsall où il construisit sa première F3 moins de 3 ans plus tôt ! Mais il se trouve que ses monoplaces étaient bonnes et qu’il avait ferré un jeune pilote très riche qui ne souhaitait pas s’éterniser en F3. Un jour, discutant de la saison 73 dans la Rolls de ce jeune héritier, tous deux hésitaient sur la formule : F2 ? F5000 ? Et pourquoi ne pas sauter une marche et aller directement en F1 ? La décision ne fut pas longue à prendre, puisque l’argent n’était pas un problème pour ce pilote à particule qui se chargeait d’acheter trois V8 Cosworth et quelques boîtes Hewland. Mais, alors que les équipes s’installent dans un paddock écrasé sous la chaleur torride qui règne en Provence en ces derniers jours de juin 1973, Morris « Mo » Nunn1, 34 ans, éprouve sans doute des sentiments mélangés : une joie profonde certainement, mais aussi la crainte d’être ridicule. Réaliser une F3, c’est une chose, mais une Formule 1 ? Et Rikki von Opel, l’héritier de la famille du constructeur allemand, sera-t-il à la hauteur face aux Stewart, Fittipaldi, Hulme et consorts ?
Mano a mano
C’est qu’il y a de quoi être impressionné en débarquant à mi-parcours d’une saison passionnante marquée par un somptueux mano a mano entre le champion du monde en titre, Emerson Fittipaldi (Lotus), 41 points, et Jackie Stewart (Tyrrell), 39 points. Il paraît évident que le titre se jouera entre ces deux hommes qui évoluent sur une planète à part et ont remporté six (trois chacun) des sept premiers Grands Prix de la saison. Pourtant chacun d’eux a comme équipier un jeune loup aux dents longues. Mais le « maestro » Stewart n’a rien à craindre de François Cevert qui se comporte toujours comme son élève, bien qu’il ait prouvé depuis le début de l’année, notamment en Argentine et en Belgique, qu’il était à présent un vainqueur potentiel au départ de chaque Grand Prix. Fittipaldi aurait lui davantage à craindre de Ronnie Peterson. Mais si le Suédois se montre brillant (4 poles depuis le début de la saison), il est poursuivi par la poisse. Il n’a marqué ses premiers points qu’à Monaco et reste dans l’attente de sa première victoire, qu’il a manquée de très peu chez lui, deux semaines plus tôt, suite à une crevaison lente en toute fin de course. Ce jour-là, le vainqueur chanceux fut le vieux renard Denny Hulme, avec sa McLaren M23 qui s’affirme comme l’une des trois meilleures monoplaces de l’année. A ses côtés pour ce GP de France, on ne trouve pas son habituel équipier Peter Revson, retenu aux Etats-Unis par une course USAC. Pour le remplacer sur la N°8, Teddy Mayer a fait appel au poulain qu’il tient en réserve, le jeune Sud-Africain Jody Scheckter, dont ce n’est que le 3e Grand Prix, le premier en Europe.
Les autres ? À part Carlos Reutemann et sa Brabham BT42, première création originale du jeune ingénieur Gordon Murray, personne ne semble pouvoir contester la domination des trois équipes de pointe de cette saison 73. Après un feu de paille en Amérique du Sud, les BRM se sont complètement éteintes et les autres en sont réduits à de la figuration. Y compris Ferrari, dont la B3 à la sauce anglaise2, s’avère très décevante et qui n’est pas aidé par les grèves qui sévissent en Italie.
Scheckter en vedette
Dès le début des essais, cette hiérarchie se confirme : la victoire est a priori hors d’atteinte pour quiconque ne dispose pas d’une Lotus, d’une McLaren ou d’une Tyrrell. Les six pilotes de ces trois marques sont les seuls à passer sous la barre des 1’50’’, Stewart s’octroyant la pole dès le vendredi avec un temps canon de 1’48’’37 qui, pour certains, résulte d’une erreur de chronométrage. Toujours est-il que la première ligne Stewart-Scheckter-Fittipaldi est somptueuse et reflète bien la mainmise des trois marques anglaises sur cette saison 73. Peterson n’est que 5e, au côté de Cevert et le premier des « autres » est un surprenant Jarier, dont la March n’est pas coutumière d’un départ en 3e ligne. Le dernier étant Rikki von Opel, relégué à plus de 7 secondes de Stewart avec son Ensign, dont les couleurs – vert et jaune – rappellent l’époque des Lotus de Clark.
Dès le baisser du drapeau, Scheckter bondit et prend la tête sans complexe, devant Peterson, Stewart, Hulme, Fittipaldi et Cevert. Le groupe des candidats à la victoire est donc formé. Mais il va se rétrécir progressivement. C’est d’abord Cevert qui perd le contact et est rattrapé, puis doublé par Reutemann. Puis, au 17e tour c’est Hulme qui s’arrête au stand, pneu crevé. Cinq tours de plus et voilà Stewart qui en fait autant, suite à un déchappage. Le train de tête est donc réduit au trio Scheckter-Peterson-Fittipaldi, avec Hulme dans leurs roues mais qui compte un tour de retard. Malgré tous ses efforts, Peterson ne parvient pas à trouver l’ouverture, la McLaren est trop rapide en pointe. Aussi laisse-t-il passer son chef de file qui se place à son tour en embuscade sous l’aileron de la M23.
Mais le jeune Scheckter affiche une maîtrise de vieux briscard et Fittipaldi reste lui aussi bloqué derrière la McLaren. Après 20 tours à ce régime, le Brésilien croit enfin voir l’occasion quand les leaders s’apprêtent à prendre un tour à Beltoise et sa BRM, à l’approche du virage du Pont qui commande l’accès à la ligne droite des stands. Le Sud-Africain semble hésiter un instant, Fittipaldi plonge dans le trou, arrive à la hauteur de la M23 … qui prend sa ligne habituelle. Le choc est inévitable. La McLaren décolle et retombe lourdement, Scheckter la rattrape de justesse tout à l’extérieur du virage et revient dans les roues de Peterson, qui en a profité pour passer. Fittipaldi, lui, fait encore quelques mètres sur trois roues et va se ranger sur le bas-côté à l’entrée de la ligne droite. Mais la suspension de la M23 n’a pas résisté à un tel choc et Scheckter devra s’arrêter définitivement au tour suivant.
Peterson
Après ce coup de théâtre, Peterson est seul en tête, loin devant Cevert et Reutemann, les deux hommes ayant échangé leurs positions suite à un tête-à-queue de l’Argentin. Ce dernier est sous la menace de Stewart, revenu du diable vauvert et dont la dernière « victime » est Jacky Ickx, dépassé à 4 tours de la fin. Malgré le forcing de l’Ecossais qui passe la ligne dans la boîte de la Brabham, les positions ne changent plus. Et ce sont trois hommes radieux qui montent sur le podium. Après une très longue attente, Ronnie Peterson a enfin gagné son premier Grand prix et cette juste récompense est saluée par tous les observateurs. François Cevert décroche une 2e place inespérée au vu des performances de sa voiture, qui manquait cruellement de vitesse de pointe. Enfin, pour Reutemann c’est un premier podium en F1 qui en annonce bien d’autres.
Ailleurs, on fait grise mine : sur ce circuit rapide où la puissance et la finesse aérodynamique comptent avant tout, Ferrari, BRM, Surtees, Shadow et autres Iso n’ont fait que de la figuration, complètement larguées par les ténors. Deux exceptions tout de même : on se réjouit chez Lord Hesketh dont le poulain, James Hunt (March), marque son premier point dès son 2e Grand prix ; et chez Ensign où Mo Nunn est à la fois satisfait et soulagé : dernier arrivé, Rikki von Opel a certes concédé 3 tours à Peterson, mais il est allé au bout et pour cette petite équipe de bizuts, c’est déjà une victoire.
Evidemment, on glosa beaucoup sur l’accrochage entre le champion en titre Fittipaldi et le jeune loup Scheckter, qui n’avait pourtant pas encore la réputation que lui vaudraient ses « strikes », à Silverstone deux semaines plus tard et à Mosport. Le Brésilien avait-il fait preuve d’un optimisme excessif en comptant intimider son cadet ? Ce dernier avait-il au contraire fermé la porte abusivement au mépris de toute prudence ? Aujourd’hui comme alors, les images incitent à classer cet accrochage dans les faits de course, inévitables dès lors qu’un pilote cherche à en dépasser un autre sans disposer d’une franche supériorité mécanique.
Ce qui est sûr, et ça les commentateurs de l’époque ne le savaient pas au soir de cette course, c’est que cet accrochage marqua un tournant dans cette saison 73. En effet, grâce aux trois points de sa 4e place, Stewart prenait pour la première fois l’avantage sur Fittipaldi et, à la faveur d’un été « horribilis » pour le Brésilien (un seul point marqué en six courses, d’Anderstorp à Zeltweg), il n’allait cesser d’accroître son avance pour aller cueillir son 3e titre mondial, dès Monza.
Notes :
- Mo Nunn est décédé le 18 juillet dernier. Cette note lui est dédiée, à lui et à tous ses semblables (Enzo Osella, Giancarlo Minardi, Henri Julien et bien d’autres), plus riches d’énergie et de passion que de soutiens financiers, et qui bataillèrent des années durant pour glaner de temps à autre, à la faveur des circonstances, l’une ou l’autre place « dans les points ». Eux aussi ont fait l’histoire de la F1, eux aussi méritent de demeurer dans les mémoires
- La monocoque de la B3 première mouture a été réalisée en Angleterre, chez John Thompson.