Créé à l’orée d’une époque où le championnat du monde des marques, naguère florissant, allait entamer une longue et cruelle dégringolade, le circuit Paul Ricard avait logiquement comme cœur de cible la Formule 1, en pleine ascension vers le statut de « formule reine ». Mais dans les années 70 le Ricard doit partager le Grand Prix de France avec Dijon-Prenois …
Olivier Favre
Classic Courses sur le Paul Ricard :
Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 1/2
Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 2/2
Circuit Paul Ricard – Trophée de France F2 1970
Circuit Paul Ricard – Sports Protos – Jarier en son jardin
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1971
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1978
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1980
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1990
Circuit Paul Ricard – Stéphane Clair
Dès l’inauguration du circuit en avril 1970, les Sport-Protos deviennent des habitués du Cicuit Paul Ricard. Mais il ne s’agit alors que des barquettes de moins de 2 litres qui ouvrent la saison de leur championnat d’Europe. Profitant de l’absence des F1 parties en Bourgogne, les protos 3 litres vont aussi fréquenter le circuit varois en deux occasions …
15 août 1974 : Matra impérial à domicile
En 1974 le Grand Prix de France F1 est prévu, pour la première fois, sur le nouveau circuit de Prenois, près de Dijon. Il faut donc trouver une autre épreuve-phare pour marquer la saison du Ricard. Les possibilités ne sont pas légion et, même sur le déclin, le championnat du monde des marques paraît tout indiqué : Matra est tenant du titre et, malgré le retrait de Ferrari, la firme de Vélizy devrait rencontrer une forte opposition de la part d’Alfa Romeo et Mirage. Les organisateurs obtiennent donc une 2e manche française du championnat, après Le Mans. Et ils peuvent raisonnablement espérer un plateau susceptible de drainer les estivants en masse en ce début de week-end du 15 août.
Mais ça c’étaient les perspectives au cœur de l’hiver, lors de la définition du calendrier. Une fois la mi-août arrivée, la situation a changé. Et pas dans le bon sens pour le Ricard. En effet, après une victoire en trompe l’œil à Monza, les Alfa 33 TT12 ont été systématiquement dominées par les Matra, au point que la firme milanaise a jeté l’éponge après Watkins Glen, un mois avant l’épreuve varoise. Les Mirage, elles, sont toujours là, mais un cran en-dessous, sans pouvoir menacer les Matra.
Et ce ne sont pas les fausses Sport ou futures Silhouettes que sont les Carrera Turbo et les Ligier-Maserati JS2 qui peuvent fournir une réelle opposition aux barquettes bleues. Quant au retour de Ferrari spécialement pour ces « 1000 km »1, il fut évoqué et ardemment espéré par beaucoup. Mais il resta un rêve ; ayant enfin retrouvé le chemin du succès en F1, la Scuderia n’avait pas de temps à consacrer à une telle entreprise à haut risque avec une voiture n’ayant plus roulé depuis plus de six mois.
Matra déjà champion du monde
Alors, certes, le plateau réuni au Castellet n’a rien d’infamant, ni en quantité (une quarantaine de voitures), ni en qualité (quatre équipes d’usine et un bel échantillon de protos 2 litres, GT et Tourisme, comme au Mans). Mais Matra est déjà champion du monde et dès les essais, la firme de Vélizy (qui joue un peu à domicile puisqu’elle a une base permanente sur place) démontre que, sauf accident, le seul suspense résidera dans l’identité de l’équipage vainqueur : la pole de Jarier est presque 5 secondes plus vite que la première Mirage ! Celle-ci n’est pourtant pas confiée à n’importe qui : remplaçant Mike Hailwood sérieusement blessé au Ring en F1, Jacky Ickx poursuit sa mission d’intérimaire de luxe (après Alfa à Monza, Imola et Zeltweg, Matra à Spa, BMW au Ring) en venant seconder Derek Bell. Ickx-Bell, ce sont là les débuts2 d’un duo promis à un bel avenir.
La course
Lancée vers 16 heures pour profiter d’une relative fraîcheur et pour permettre aux vacanciers de venir après la plage, la course sera dénuée de surprises : d’emblée les Matra creusent le trou et ce sont les ennuis rencontrés par la 670 de Pescarolo-Larrousse (tenue de route très imparfaite et accrochage avec la Porsche Turbo de Müller) qui rendront inutile toute consigne d’écurie. Après 755 km et un peu plus de 4 heures, Beltoise et Jarier offrent donc à Matra sa septième victoire consécutive. Et, malgré leurs ennuis, Pesca et Larrousse parviennent à devancer la Mirage de Ickx-Bell, assurant ainsi le premier doublé de la saison pour les Bleus. Derrière, la Ligier de Chasseuil-Migault devance la Carrera Turbo de Müller-van Lennep ; mais ces représentantes de l’avenir de l’endurance sont devancées par les deux vieilles Porsche 908/3 de Reinhold Jöst. N’en déplaise aux instances sportives, le passé fait de la résistance !
24 juillet 1977 : Alfa malgré tout et encore Jarier !
Déjà sur une pente glissante en 1974, l’endurance n’est pas plus flambante trois ans plus tard, bien au contraire. L’avènement des Silhouettes l’année précédente ne l’a pas revitalisée. Certes, on a eu deux championnats du monde pour le prix d’un, la catégorie Sport ayant été conservée sous la pression des constructeurs, notamment français et italiens. Mais une seule saison semble avoir eu raison des bonnes volontés. En Groupe 5 Munich a jeté l’éponge face au déséquilibre flagrant entre les 935 et les coupés CSL. Et, en Groupe 6, dominé – sinon en performances, du moins en fiabilité – par les Porsche 936, Alpine-Renault a décidé de concentrer ses efforts sur les 24 Heures du Mans. Et Porsche aussi ! De sorte qu’il ne reste plus qu’Alfa Romeo qui a actualisé ses 33 devenues SC 12 (châssis coque et non plus tubulaire, moteur porteur) et un maigre contingent de protos 2 ou 3 litres d’où émergent les Toj. Motorisées par un Cosworth, belles et bien réalisées, ces voitures allemandes ont fait trembler les Alfa en début de saison à Dijon et Monza, surtout avec Rolf Stommelen au volant. Mais Jörg Obermoser n’a pas les moyens de rivaliser avec la marque italienne ; surtout si on lui refuse une prime de départ décente comme l’ont fait les organisateurs de Vallelunga et Enna-Pergusa, peu enclins à favoriser l’adversaire n°1 de la marque au trèfle. Pour mettre de l’animation, il faut donc (et on peut !) compter sur les ineffables duettistes italiens, Arturo Merzario et Vittorio Brambilla. A chaque course, les deux hommes reprennent leur rivalité fratricide dans le style commedia dell’arte, au grand désespoir de leur équipe mais pour le bonheur des rares spectateurs encore assez motivés pour se déplacer.
Des spectateurs qui, au moins, peuvent rentrer chez eux plus tôt, les courses étant réduites à 500 km (voire beaucoup moins : 250 km à Imola !). Et c’est d’ailleurs un indice révélateur, valable pour toute l’histoire de l’endurance : moins les courses sont longues, moins il s’agit réellement d’endurance donc, plus la santé de la discipline est préoccupante. Et c’est peu dire qu’on touche le fond en cette saison 1977 : deux semaines avant le Ricard la grille d’Estoril ne comptait que 8 partants !
Une grille décente
Ayant senti le vent, François Chevalier a bien été tenté d’annuler et d’organiser à la place une course de Tourisme avec des vedettes de la F1. Mais le projet n’a pu être mené à bien, notamment en raison de la proximité de dates avec les 24 Heures de Spa. Il a alors demandé et obtenu une dérogation pour pouvoir accepter des GT et Groupe 5. Mais cela ne lui a rapporté qu’une demi-douzaine de voitures supplémentaires, en raison de l’attrait des Deutsche Marks de la course de Diepholz comptant pour le Championnat d’Allemagne. Finalement, c’est une trentaine de voitures qui figurent sur la liste des engagés, un chiffre somme toute décent, surtout pour évoluer sur le petit circuit de 3,2 km, retenu cette fois contrairement à 1974. Mais on n’y trouve que cinq voitures d’usine : les 2 Alfa, les 2 Toj et une Osella 2 litres.
La course
La course ? Eh bien, nos deux bouillants Italiens ne vont pas décevoir les attentes. Démarrant en trombe, ils se loupent dès le premier tour à l’entrée de Signes ! Un Brambilla un peu trop optimiste, un Merzario qui sort pour l’éviter et voilà les deux Alfa retardées, Arturo ayant en outre flingué son embrayage en se dégageant rageusement des grillages. Cependant, la Toj n’aura qu’un quart d’heure de gloire : Brambilla remonte fort et récupère la tête dès le 11e tour. Survolté, Merzario fait le forcing lui aussi et accède bientôt à la 2e place. A la mi-course, il s’arrête pour ravitailler, sort de sa voiture, se répand en imprécations contre son équipier qui « essaie de (le) tuer à chaque course » et quitte le circuit ! Heureusement que Jean-Pierre Jarier est inscrit en pilote de réserve sur les deux Alfa ! Le Français prend donc la piste et récolte la victoire après l’abandon de Brambilla, moteur cassé. La Toj d’Obermoser-Rousselot est 2e à 2 tours et le podium est complété par Jean-Pierre Jaussaud et Jacques Henry qui s’adjugent la classe 2 litres avec leur Chevron-ROC. C’est la 6e victoire consécutive pour Alfa qui s’adjuge évidemment le titre. Mais un titre bien dévalué.
L’endurance change, Jarier reste !
Le déclin de l’endurance se poursuivra encore quatre ans avant le renouveau impulsé à partir de 1982. Mais les Groupes C ne viendront jamais au Ricard, si ce n’est pour des essais privés d’intersaison. Sans doute le circuit varois n’en avait-il pas besoin, l’alternance avec Dijon pour le GP de France ayant pris fin après 1984.
L’histoire de l’endurance étant faite de cycles, c’est après une nouvelle crise de la discipline au début des années 90 que le Ricard retrouvera une place au calendrier en 1994. Ce ne seront plus alors des sport-protos, mais des GT puisque c’est avec les Porsche, Venturi, McLaren et autres Ferrari F40 du championnat BPR (Barth-Peter-Ratel) que l’endurance remontera la pente, encore une fois. Et qui sera sur la plus haute marche du podium ce 6 mars 1994 ? Encore l’inoxydable Jean-Pierre Jarier, associé à Bob Wollek au volant d’une Porsche 911 Turbo3 !
Après cinq courses jusqu’en 1998, dont une pour les protos remportée par une Ferrari 333 SP, l’endurance (si on peut encore l’appeler ainsi) disparaît du circuit provençal pendant 10 ans. Elle fera son grand retour en 2010 avec une course de 8 heures, la plus longue jamais organisée sur ce circuit dans cette discipline, qui se conclut par la victoire de l’Audi de Capello-McNish. Depuis lors, le Castellet accueille chaque année une manche des European Le Mans Series, mais sur une durée réduite à 4 heures.
Notes :
1 – En raison de la crise énergétique due au premier choc pétrolier, l’épreuve est en fait réduite d’un quart à la demande de la CSI, tout comme l’ont été les 1000 km du Nürburgring (mais pas les autres courses de 1000 km, comprenne qui pourra …).
2 – Les débuts en protos du moins : un mois plus tôt, la paire Ickx-Bell a été constituée pour la première fois par BMW lors des 6 Heures du Nürburgring comptant pour le Championnat d’Europe Tourisme.
3 – En 1995 il s’en faudra de 16 secondes que « Godasse de Plomb » ne réalise la passe de quatre !
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