L’histoire du Circuit Paul Ricard est une partie de celle du sport automobile. Le propos de Classic Courses est d’en reprendre les grands chapitres. Construction, courses inaugurales, F1, témoignages de ceux qui l’ont fait, l’ont fait vivre et devenir ce qu’il est . Témoignage aussi de ceux qui grâce à lui, ont eu un devenir. Une histoire d’hommes avant tout. Comme les aime Classic Courses. Merci à tous ceux qui s’y impliquent. Merci à vous lecteurs, de nous suivre dans cette belle aventure.
Classic Courses
Classic Courses sur le Paul Ricard :
Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 1/2
Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 2/2
Circuit Paul Ricard – Trophée de France F2 1970
Circuit Paul Ricard – Sports Protos – Jarier en son jardin
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1971
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1978
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1980
Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1990
Circuit Paul Ricard – Stéphane Clair
Ce sont les barquettes Sport-Protos de moins de 2 litres qui ont inauguré le circuit Paul Ricard trois mois plus tôt, le 19 avril. Mais, sans faire injure aux concurrents du tout nouveau championnat d’Europe de la spécialité – parmi lesquels on trouvait quand même des pointures comme Redman, Bonnier, Larrousse ou Andruet – on peut affirmer que c’est en ce dernier week-end de juillet 1970 que le circuit fait réellement son entrée sur la scène internationale.
Olivier Favre
En effet, un bref regard sur le « haut » de la liste des engagés pourrait aisément faire croire à l’observateur pas totalement averti que le Circuit Paul Ricard accueille un Grand Prix F1 hors championnat. Et pourtant, il ne s’agit « que » d’une course de F2 ! Certes, les primes de départ sont traditionnellement alléchantes pour les Trophées de France F2 1970, dont c’est la 3e et dernière manche après Pau en avril et Rouen un mois plus tôt ; et on peut aussi penser que les pilotes du « F1 circus » ont souhaité prendre leurs repères en prévision du Grand Prix prévu l’année suivante. Mais la F2 en ce temps-là, c’est par excellence la catégorie où les stars de la F1 affrontent les petits jeunes aux dents longues.
Et les jeunes loups affamés ne manquent pas en cette année 70. En effet, depuis le début de l’année et avant cette épreuve de gala sur le nouveau circuit varois, ce sont successivement Peterson, Regazzoni, Cevert et Fittipaldi qui ont accédé à la F1 ; et ils seront suivis dans les semaines à venir par Schenken et Wisell, puis, plus tard, par Ganley, Reutemann, Depailler, Jabouille, … Avec les encore jeunes Pescarolo, Bell et Adamich, tous ces pilotes sont là pour défier le champion du monde en titre, Jackie Stewart, son dauphin Jacky Ickx, son probable successeur, Jochen Rindt, ainsi que Graham Hill, Jo Siffert et Jean-Pierre Beltoise. Un plateau de rêve donc, qui symbolise sans doute l’apogée de l’âge d’or de la F2, les années soixante.
Mais les sixties sont finies et, comme chacun sait, l’apogée c’est ce qui précède le déclin. Et celui de la F2 va commencer, lent d’abord mais inéluctable. Car la professionnalisation croissante de la F1 et tout ce qui en découle (calendrier plus fourni, essais privés, obligations mondaines et publicitaires) va contraindre les pilotes à des choix. Ainsi, ce 26 juillet 1970 Jackie Stewart dispute sa dernière course de F2. Et deux mois plus tard à Imola c’est Jacky Ickx qui fera de même. Quant à Rindt, le roi incontesté de la discipline, il n’aura hélas pas à choisir : seuls ses compatriotes pourront encore l’applaudir une dernière fois dans cette discipline sur le Salzburgring, une semaine avant Monza. Bientôt viendra le temps où la F2 ne sera plus qu’un rapide marchepied entre la F3 et la F1 (Scheckter, Hunt, Watson, …), avant d’être plus tard purement et simplement court-circuitée (Piquet, Prost, Senna …).
Tout le gratin de la F2
Mais nous n’en sommes pas là et le public qui a choisi d’agrémenter ses vacances sur la côte par une course automobile n’est pas volé sur la qualité du menu. Ni sur la quantité, puisque les organisateurs ont décidé d’accueillir jusqu’à 40 engagements, ce qui n’est pas excessif sur le long tracé de 5,8 km. Finalement, ce sont 38 pilotes qui entament leurs essais le vendredi. Ou un peu avant : l’équipe Pygmée est là depuis le début de la semaine pour tester les quatre MDB 15 qu’elle a engagées pour Beltoise, Depailler, Jabouille et Patrick Dal Bo, le fils du constructeur Marius Dal Bo. Ainsi, le bleu de France est bien présent malgré le retrait de Matra qui a abandonné la F2, à la fois pour se concentrer sur la F1 et pour incompatibilité technique : les réservoirs souples sont désormais obligatoires pour raisons de sécurité, ce qui condamne la technique aéronautique des caissons cloisonnés chère à la firme française. Mais, malgré le soutien d’Elf, quatre voitures c’est bien lourd pour la petite équipe d’Annecy.
Même BMW qui ne manque a priori pas de moyens, n’engage que deux monoplaces. Enfin, deux et demie. Puisqu’aux deux BMW d’Ickx et Siffert s’ajoute une March 702 propulsée par le 4 cylindres bavarois et confiée à l’ingénieur-pilote Dieter Basche. March-BMW, personne ne le sait alors sur le plateau varois battu par le mistral, mais il s’agit là des prémices d’une association qui va marquer la F2 de son empreinte jusqu’à la fin de la catégorie en 1984. Cependant, bien que régulièrement qualifié, cet attelage ne sera pas aligné au départ et il n’y aura donc que deux exemplaires du BMW M12 de 245 ch pour battre en brèche le quasi-monopole du Ford Cosworth FVA (Four Valve Type A), le moteur qui domine la F2 1600 depuis son avènement en 1967 et dont les meilleurs exemplaires affichent 235 ch en cette année 70.
Après les françaises et les allemandes, voici les italiennes : avec l’aide de Motul, les frères Pederzani confient trois Tecno à Regazzoni, Cevert et Max Jean. En lutte avec Derek Bell pour le titre européen, Rega étrenne la nouvelle Tecno 71, allégée et qui va faire école avec son bouclier avant autour du radiateur. Et on termine avec les anglaises bien sûr, parmi lesquelles les plus sérieuses prétendantes à un podium sont les Lotus 69 de Rindt, Hill et Fittipaldi et les Brabham BT 30 de John Coombs (Stewart), de l’équipe semi-officielle Sports Motors (Schenken et Mazet), de Bob Gerard (Pescarolo) et de Tom Wheatcroft (Bell), qui émergent d’un contingent de 18 productions conçues par Ron Tauranac.
Pas d’ambigüité dès les essais, les BMW et les Tecno s’affirment comme les voitures à battre : Ickx s’adjuge la pole devant Cevert, avec Regazzoni et Siffert derrière eux, seul Stewart intercalant sa Brabham à l’extérieur de la première ligne d’une grille en 3-2-3. Rindt, qui n’a pas forcé son talent avec une Lotus à la tenue de route perfectible, n’est que 9e et Hill 26e ! Quant aux Pygmée, leurs suspensions se sont avérées fragiles comme du verre et il paraît osé de miser sur elles.
La course : Tecno … logique !
Il fait très chaud en ce dimanche 26 juillet 1970 et, comme les organisateurs ont relevé le temps minimal exigé pour se qualifier, ce sont 36 voitures qui se présentent aux ordres de Paul Frère, le directeur de course. Celui-ci lève son drapeau, les moteurs rugissent, prêts à donner toute leur puissance. Mais, au centre de la première ligne, un petit drame se joue : embrayage collé, la Tecno de François Cevert avance tout doucement. Croyant à une tentative pour voler le départ, Frère suspend son geste et impose l’arrêt au pilote français. Les secondes s’écoulent, Cevert baisse son régime au maximum pour ne plus avancer. Mais son embrayage casse juste avant que le drapeau s’abaisse enfin et, moteur calé, il lève le bras, impuissant, alors que toute la meute déferle autour de lui. Miraculeusement, tous parviennent à l’éviter même si quelques frictions se produisent, comme en témoigne le capot baladeur de la Pygmée de Dal Bo. Après 40 secondes, Cevert parvient enfin à relancer le moteur au démarreur et s’élance enfin.
Dès l’envol, Siffert a pris la tête devant Stewart, Regazzoni et Beltoise qui, au contraire de Ickx, a réalisé un départ canon depuis la 5e ligne. Et qui progresse encore, au point de prendre la tête au 7e passage, puis de faire même le trou dans le tour qui suit ! Le public est aux anges. Mais en fait, les poursuivants de Bébel restent prudemment à distance car, par la faute d’un bouchon de réservoir bêtement desserré, la Pygmée perd son huile. Un tour plus tard, l’illusion prend fin : Beltoise rentre au stand et la course est finie pour l’équipe savoyarde qui n’a déjà plus aucune voiture en piste ! Les abandons se succèdent d’ailleurs, y compris chez les ténors : Siffert (moteur), Stewart (embrayage), Rindt (durite d’essence), …
Heureusement, le public peut porter son attention sur deux fronts : d’une part le duel Ickx-Regazzoni, loin devant tous les autres, d’autre part la fantastique remontée de Cevert qui est revenu en 6e position avant même la mi-course et entreprend de se frayer un chemin dans un peloton de Brabham composé de Schenken, Westbury et Pescarolo. A 15 tours de la fin, une fois « Pesca » « viré » hors de la piste par un attardé qu’il dépassait, Cevert accède même à la 3e place, avec Ickx en point de mire. Mais ce dernier abandonne quelques tours plus tard, laissant Regazzoni seul en tête, avec plus de 30 secondes d’avance. Alors, doublé Tecno ? Non, car la boîte de Cevert, maltraitée depuis le départ, commence à demander grâce ; Schenken en profite pour lui subtiliser la 2e place et c’est in extremis que Cevert parvient à repousser les attaques de Westbury et ainsi conserver un podium amplement mérité.
Une fois, c’est tout
Alors que les F2 laissent la place aux F3 qui vont assurer le baisser de rideau sur le petit tracé et que Fittipaldi, seul dans ce cas, se prépare à sa seconde course de la journée, on ne peut que constater que cette affiche qui promettait beaucoup a quelque peu déçu. Sans l’incident qu’a connu Cevert au départ, les Tecno auraient récolté un doublé facile, une fois débarrassées des BMW trahies par une huile de mauvaise qualité. Et, hormis pour le podium, les places d’honneur ont été obtenues à l’usure, à l’issue d’une course par élimination ayant vu disparaître près de 60% des concurrents.
Ce déchet important pose la question du choix du tracé : certes, à défaut de tester les stands et autres installations qui n’existent encore que sur plans, il fallait bien valider le grand circuit en prévision de la venue des F1 l’année suivante. Mais envoyer par une chaleur torride des monoplaces de 1 600 cc sur le grand circuit, avec sa ligne droite du Mistral qui sollicite longuement les moteurs, n’était sans doute pas la solution optimale. D’autant que ces 40 tours du Ricard, soit plus de 230 km, constituaient la plus longue course d’un seul tenant pour les F2 en cette année 1970. Sans doute le petit circuit aurait-il permis une course plus intéressante. D’autant qu’il aurait alors fallu réduire le nombre de voitures en piste, ce qui aurait eu la vertu d’éliminer d’office certains concurrents peu véloces qui ne se firent pas que des amis parmi les pilotes de pointe. Cela dit, personne n’aura l’occasion de comparer les avantages des deux tracés puisque les F2 ne reviendront jamais se mesurer sur le Paul Ricard. Il faut dire que ces voitures ne manqueront pas d’occasions de briller en France dans les années 70, avec les traditionnels rendez-vous de Pau, Rouen et Albi, bientôt rejoints par Nogaro. Et l’évolution de la F2 évoquée plus haut n’incitera pas à organiser des épreuves supplémentaires, les Trophées de France disparaissant d’ailleurs dès 1972.