Maurice Trintignant, « Le conteur de vitesse » 2e Partie ( Voir Ici la première partie )
Disparu il y a 12 ans à presque 88 ans, Maurice Trintignant aurait eu 100 ans en 2017. Ayant partagé son amitié pendant plusieurs années, quelques souvenirs reviennent effleurer ma mémoire. « Pétoulet » était aussi bon coureur que bon conteur.
Patrice Vergès
« Je discutais moi même mes contrats »
La très longue carrière de Maurice Trintignant se divise en plusieurs parties. Pilote officiel Gordini de 1948 à 1953, puis pilote Ferrari qu’il quitta quand la Scudéria refusa qu’il conduise pour un seul Grand Prix, à Reims 1956 la révolutionnaire Bugatti 251. Après cet échec, il passa chez Vanwall avant de devenir devint quasi-indépendant comme cela se faisait à cette époque. Il courut longtemps sur une Cooper pour l’écurie de Rob Walker et la Scudéria Centro Sud puis sur des Lotus ce qui ne l’empêcha de piloter en sport-prototype pour Porsche et Aston Martin, Maserati et Ford France jusqu’à la fin de sa carrière. Il vivait de contrats de pétroliers et manufacturiers, primes de départ et d’arrivées et de quelques publicités. « C’est Moss et Fangio qui avaient lancé la mode des agents. C’est moi qui discutais moi-même de mes contrats ».
Lorsque je le fréquentais, il ne roulait pas sur l’or et conduisait d’humbles Fiat vendues par un ami concessionnaire. Fini le temps où il pilotait ses Facel Vega HK500 et de puissantes américaines (Buick) qui tractaient sa belle caravane. Pendant sa carrière, il préférait dormir dans sa caravane que d’aller à l’hôtel. D’où son surnom de père tranquille de la Formule 1 qu’on opposa à la vie assez dissolue de ses contemporains de l’époque notamment son ami Harry Schell. Plus tard, des ennuis financiers l’obligeront à vendre les deux voitures qu’il avait conservées, la Bugatti de ses débuts et sa dernière BRM 1500 acheté avec ses deniers. Avec humour teinté de nostalgie, il disait qu’il regrettait d’être né 20 ans trop tard pour courir avec les Varzi et Nuvolari et 20 ans trop tôt pour gagner de l’argent comme les pilotes des seventies.
L’effet Dupont
Pour brosser ce petit portait qui n’a aucune prétention historique, j’ai relu un long article que j’avais commis dans Auto Hebdo en 1988 » J’ai aimé la course comme on aime une femme« . En parcourant un inter nommé « l’effet Dupont » je me suis rendu compte que j’avais totalement oublié cette phrase employée en terme sportif. Il explique que minimiser quelqu’un le pousse généralement dans ses derniers retranchements. C’était un journaliste de l’Équipe nommé Dupont qui avait expliqué en 1956 que le français Mimoun n’avait aucune chance de gagner aux JO de Melbourne. Vexé par la lecture, Mimoun avait gagné. L’histoire bégaye puisque elle de nouveau arrivée entre Aimé Jacquet et l’Équipe en 1998 lors de la Coupe du Monde de Football.
Par sa bonhommie, sa gentillesse, par son physique de monsieur tout le monde, Trintignant estimait, à ses yeux, avoir été souvent victime de l’effet Dupont notamment en fin de carrière où il a du parfois montrer les dents particulièrement à Rob Walker qui ne lui réservait pas les meilleures voitures.
Avec Fangio
« Le journaliste Fernand Legouge avait fait un reportage à la télé la veille du GP de Formule 1 de Pau en 1962 où il prévoyait que Clark ou Rodriguez gagnerait et que de toute façon, il fallait faire la place aux jeunes ! J’avais déjà gagné deux fois à Pau et ça m’a vexé. Malgré une Lotus 18 à moteur 4 cylindres moins puissante de 20 chevaux que la V8 de Jim Clark, j’ai gagné devant Rodriguez. J’avais deux fois son âge !
Ca m’est arrivé aussi pour le Grand Prix de Bordeaux 1953 avec Amédée Gordini qui avait fait revenir Fangio dans l’équipe pour nous donner une leçon. Ça m’avait blessé et je lui avais fait remarquer et un mécano m’a répondu » que Fangio était champion du monde ». Moi, piqué, je lui ai répondu que j’étais le champion de Vergèze. J’ai reconnu la veille le circuit à pied et aux essais j’ai réussi la pole et un meilleur temps que Fangio. Le lendemain quand le pont de ma Gordini a cassé, j’allais prendre un tour à Fangio ! Plus tard quand j’ai conduit sa voiture, je me suis rendu compte qu’elle avait un moteur plus puissant que la mienne »
Chez Ford
Autre mortification au Tour Auto 1964, en tant que pilote de Ford France, il est engagé sur une AC Cobra Daytona engagée par Henri Chemin. A 46 ans, avec son physique de père tranquille, il fait sourire les jeunes loups Jochen Neerpasch et Bob Bondurant qui pilotent l’autre AC Cobra américaine. Chez Ford, on lui fait gentiment comprendre qu’il ne doit pas les gêner en course. Il ne fallait pas l’humilier ce petit homme. A Rouen, il fit un véritable festival et montra ses feux rouges à l’autre Cobra américaine qui n’arrivait pas à la suivre.
Il ne fallait pas le chercher Pétoulet qui cachait sous un abord convivial, un esprit revanchard et une véritable rage de vaincre et de convaincre liée à un égo indispensable à un pilote qui veut aller vite. Pas question de prétendre qu’il fut en son temps aussi rapide que Fangio ou de Clark mais il fut certainement parmi les meilleurs pendant la durée de sa carrière. Si Pétoulet n’enjolivait pas son chrono, en Raimu de l’automobile, il embellissait un peu les histoires à son avantage.
« Savoir perdre une seconde »
Pour expliquer ce manque de panache que d’aucuns lui reprochaient, il avait un jolie formule » Savoir perdre une seconde pour conserver sa vie ». Il avouait avoir toujours conduit en deçà de ses possibilités ce qui l’avait parfois frustré en estimant qu’il aurait ou remporter quelques Grand Prix supplémentaires sur les 81 auxquels il avait participé.
« J’ai seulement conduit 3 ou 4 fois au maximum de mes possibilités notamment à Monaco en 1955 et Pau en 1962« . D’après lui beaucoup de pilotes étaient morts parce qu’ils avaient de la fumée dans la tête ou surconduisait à cause de la presse qui en avait fait des surhommes. En affirmant cela, il songeait à son rival Jean Behra qui était à ses yeux un pilote surfait. Précisons que les deux hommes ne s’entendaient guère.
Il s’estimait chanceux d’être vivant car il avait perdu 51 camarades en course. Deux petits regrets tout de même. De ne pas avoir gagné la Mans en 1959 où on lui a donné l’ordre de ne pas doubler Roy Salvadori pour le laisser gagner alors qu’il savait que c’était possible. Sa saison 1962 restait son souvenir le plus amer. « Au départ ma Lotus 24 avait une tenue de route fantastique et c’était une voiture idéale pour très bien se placer au Championnat du Monde. Mais au fil de la saison, elle a été prise dans divers carambolages et n’a plus jamais tenu la route comme au départ. Elle était devenue vicieuse. J’en avais peur et je n’ai pas voulu courir au GP du Mexique. Rob Walker l’a filée à Ricardo Rodriguez et il s’est tué avec ».
Conduite très fine
Un jour que j’avais rendez vous avec lui dans sa maison du Mas d’Arnaud où s’entassaient dans son bureau des demandes d’autographes (il avait une fort jolie écriture) sur des livres qu’on lui envoyait, il avait pris le volant la Matra Murena qu’on m’avait prêtée. Il m’avait donné une belle leçon de pilotage sur les routes étroites du Gard. Il avait de petites mains de pianiste aux longs doigts effilés et mes yeux ont encore l’image de la parcimonie du travail de ses mains sur le volant et de la Matra qui volait d’un virage à l’autre. Trintignant avec un style fin mais peu spectaculaire.
Il ne comprenait pas comment faisaient les pilotes modernes pour conduire » Avec des gants de maréchal Ferrand ». Lors d’une course à Monaco, il sentait mal sa voiture jusqu’au moment où il a enlevé ses gants. » Une voiture c’est comme une femme, c’est fin. Il faut la sentir vivre ! » affirmait-il avec malice en regrettant que les voitures modernes ne glissent plus.
Lorsqu’on le questionnait sur les pilotes qui l’avaient impressionné dans sa carrière, malgré sa gentillesse, il ne mâchait pas ses mots. Il m’avait dézingué quelques gloire surfaites à ses yeux.
Nuvolari et Wimille
À ses débuts Nuvolari l’avait impressionné et pour lui il restait le plus grand. » C’était presque un surhomme », il avait un immense respect pour Jean Pierre Wimille « son professeur « qui lui avait donné son fameux surnom de Petoulet (crottes de rat) et aussi pour Fangio, Stirling Moss, Jim Clark « mais sur Lotus seulement. Sur Aston Martin, il n’était pas plus rapide que ses coéquipiers ». Satisfecit aussi pour Gonzales quoique irrégulier et Stewart qu’il avait vu débuter. Parmi les pilotes surfaits, encore une fois d’après lui, il citait Hawthorn à la conduite très irrégulière qui lui laissait croire qu’il se droguait, Jean Behra bien sûr, Gendebien et Mairesse. En fait, Trintignant ne s’entendait pas avec les Belges avec qui il eut de sérieux accrochages.
Il m’avait raconté pas mal d’anecdotes sur Amédée Gordini. Avec le Sorcier, c’était du genre, je t’aime moi non plus, hésitant entre l’amour et la haine. Gordini le surnommait » Simplet » ce qui n’était guère gentil et Trintignant racontait qu’il pleurait tout le temps pour ne pas payer ses pilotes. « Les Gordini, rien qu’en les regardant, elles cassaient. Fangio m’avait dit si tu veux conserver la vie ne conduit plus ces voitures. Je l’ai écouté. «
La vie avant tout
A chaque rencontre, il me racontait de nouvelles anecdotes livrées en vrac, persuadé que les Mercedes du Mans 1955 bénéficiait d’une injection d’additif à cause du sillage odorant qu’elles laissaient derrière elle. Ou celle du jour où il ne voulait pas prendre le départ d’une course car il n’avait pas son ours fétiche qu’on lui a porté juste avant que le drapeau se baisse. Plus coquin, les 1000 km effectués au volant d’une Simca 8 1100 en une nuit entre les essais et la course du GP de Nice pour retrouver une femme. Ce père tranquille fut un grand séducteur…. .
Remarquable son astuce pour gagner le Ventoux en 1960 sur sa Cooper Climax. Porsche avait posté des observateurs le long des 22 km du parcours aux essais pour vérifier si Trintignant allait vite. S’il grimpa très fort, il ne réussit pas le meilleur temps. Porsche rassuré ne se méfia pas. Pourtant le lendemain, Trintignant s’imposa devant les Porsche. Lors des essais, le rusé Maurice qui avait déniché une petite route à droite hors de la vue des observateurs de Porsche, s’était arrêté quelques secondes pour ralentir le chrono.
Enfin, j’ai surtout le souvenir d’un homme qui aimait intensément la vie. Et la vie le lui avait bien rendu.