UN SCENARIO TROP PRÉVISIBLE
L’inconvénient des beaux circuits sélectifs est qu’ils le sont trop (sélectifs !). Celui de Suzuka n’échappe pas à cette lapalissade. Un circuit que beaucoup placent au niveau du très apprécié Spa-Francorchamps en Belgique. Mais cela fait-il le bonheur du spectateur ? On peut en douter…
Johnny Rives
Preuve en a été donnée dimanche au G.P. du Japon. Avec un résultat en tous points conforme au classement du championnat du monde : 1.Hamilton, 2.Rosberg, 3.Vettel, 4.Raîkkonen, 5.Bottas. Seul le sixième de la hiérarchie japonaise, Nico Hulkenberg, est venu contrarier ce constat. Il a réussi à faire mieux que quelques pilotes le précédant au championnat du monde, notamment Daniel Ricciardo, fâcheusement bousculé par Massa, et l’étonnant (et convaincant) Romain Grosjean.
On peut faire le même constat au niveau des marques où la hiérarchie japonaise (1.Mercedes, 2.Ferrari, 3.Williams) reflète avec trop d’exactitude celle du championnat. Ce qui, faute de caprice météorologique digne de ce nom – comme Danil Kvyat nous a aidés à le constater dans deux des trois séances d’essais libres disputées sous la pluie – prive le spectacle de toute incertitude. Et donc d’intérêt immédiat. Cela oblige le spectateur gourmand à se rabattre sur des analyses personnelles concernant le comportement de tel ou tel pour s’accrocher à un scenario trop prévisible.
Alors faut-il plaider en faveur de circuits présentant aussi peu de difficultés que possible ? Le souvenir des sprints échevelés dont, avant qu’ils soient truffés de chicanes, étaient le siège des tracés comme Hockenheim (dans les années soixante) ou encore Monza jusqu’en 1971, voire Reims jusqu’à sa disparition (1969) nous entraîne vers ce paradoxe : souhaiter un retour à des circuits aussi peu sélectifs que possible. Où les victoires se joueraient entre des groupes compacts dans la dernière ligne droite…
LE JUGEMENT DE PROST. – Suzuka a confirmé ce que l’on a maintes fois constaté cette saison. La supériorité de Lewis Hamilton sur Nico Rosberg d’une part, et celle de Sebastian Vettel sur Kimi Raïkkonen de l’autre. La facilité avec laquelle le premier nommé a, d’entrée, pris l’avantage sur son équipier en a étonné plus d’un. Parmi lesquels Alain Prost. Dont l’analyse développée au cours de l’émission de Margot Laffite fut d’une pertinence irréfutable. Selon le quadruple champion du monde français, la prise de pouvoir d’Hamilton – ou, vu d’une autre manière, le renoncement de Rosberg – trouve son origine dans l’accrochage fameux qui les opposa lors du G.P. de Belgique 2014. La mise au point à laquelle cet incident avait donné lieu chez Mercedes a entrainé plus de conséquences sur le comportement de l’Allemand que celui de l’Anglais. Ce dernier s’en est apparemment affranchi avec sang froid, voire avec indifférence, comme s’il se plaçait par principe hors de toute responsabilité en cas de nouvelle anicroche. On l’a vu avec netteté à Suzuka ce dimanche. Quand, dès le premier virage, il ne s’est pas embarrassé du moindre scrupule pour contraindre son équipier à s’écarter jusque sur le bas-côté a la fin du premier virage pour lui laisser le passage. Alors que, quand ils avaient abordé la courbe, Rosberg n’avait pas osé se rabattre devant lui. Ce que Prost a jugé comme une faiblesse de sa part. Jugement qui nous a amenés à imaginer la façon dont Keke Rosberg pouvait en parler avec son fils, lui qui ne s’embarrassait pas d’autant de précautions au temps de sa splendeur !
GROSJEAN TRANSFIGURÉ.- En cette période où le sort de l’écurie Lotus est en train de se jouer, permettons-nous un mot sur l’un de ses membres les plus fidèles et qui s’apprête pourtant à la quitter : Romain Grosjean. Il avait accédé à la F1 dans ce qui était à l’époque l’équipe Renault grâce au limogeage de Nelsinho Piquet (2009). Délaissé l’année suivante, il y avait été repris en 2011 comme pilote d’essais, alors qu’elle était devenue Lotus. Cette année là il avait été sacré champion en GP2.
Ses vrais débuts en Grands Prix avaient eu lieu en 2012 comme équipier de Raïkkonen. Débuts tumultueux et controversés en raison de carambolages dans lesquels il avait été impliqué. Il se rachetait en 2013 en se classant 7e au championnat du monde. Hélas en 2014 les Lotus-Renault se heurtaient à de terribles difficultés à cause de la nouvelle réglementation concernant les moteurs. L’absence de résultats ne fit qu’aggraver ses difficultés financières. Le recours à des moteurs Mercedes en 2015 pouvait tout changer au plan des performances. Mais les dettes contractées précédemment s’aggravaient. Ce fut l’occasion de découvrir un nouveau Grosjean, sérieux, impliqué, et qui au fil des Grands Prix devint un pilote providentiel pour cette équipe aux abois.
La paternité l’a peut-être aidé à mûrir autant que les kilomètres parcourus en course. Au point qu’on guette désormais ses performances avec intérêt. Et que l’on écoute ses analyses, sages et pertinentes, avec attention. Tel est-il apparu une nouvelle fois à Suzuka. Après avoir lui-même participé à l’installation retardée de son équipe dans ses bases japonaises, il a accompli une course très convaincante pour se hisser à une jolie 7e place compte tenu du matériel dont il disposait. Exécutant au passage l’un des plus beaux dépassements que l’on ait vu depuis longtemps à l’approche du difficile virage dit « Degner ». Et cela sans mettre en péril son adversaire (Ericson) malgré la difficulté de la manœuvre. Espérons pour lui qu’il trouvera de quoi exprimer pleinement son talent l’an prochain au sein de ce que l’on appelle parfois la Scuderia Ferrari « B »