En dominant Lewis Hamilton tout au long des trois journées du Grand Prix du Brésil où il a finalement joliment triomphé, Nico Rosberg a heureusement atténué les effets pervers tant redoutés du doublement des points prévu pour la dernière manche du championnat 2014 de F1, à Abu Dhabi. On l’en félicite. Et même plus : on l’en remercie.
Johnny RIVES
ROSBERG A RELEVÉ LE GANT
Car la situation ridicule que l’on redoutait tant est désormais hors de propos. Rappel : Hamilton vainqueur au Brésil en même temps qu’un abandon de Rosberg aurait tout de même pu être battu au championnat par son équipier à la suite d’un résultat inverse à Abu Dhabi (victoire de Rosberg et abandon d’Hamilton) par l’étroit score de 342 points à 341 et cela malgré 11 victoires en sa faveur contre 5 seulement pour le champion.
Fort heureusement, les circonstances n’ont pas abouti à un aboutissement aussi grotesque. Et si le championnat doit toujours se jouer lors du final d’Abu Dhabi, Rosberg, pour être couronné, sera contraint d’y accomplir un exploit en même temps qu’Hamilton connaitrait un échec. La deuxième place serait en effet suffisante à l’Anglais pour s’attribuer définitivement le titre. Si tel n’était pas le cas, et malgré un écart toujours sensible en nombre de victoires (6 contre 10, c’est quand même autre chose que 5 contre 11) Rosberg ferait un champion du monde fort honorable. Rien n’est joué, donc, mais quel que soit le verdict d’Abu Dhabi, on pourra fêter un couronnement mérité, qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre des hommes de Mercedes. Les supporters du battu n’auront plus qu’à s’armer de patience et à espérer que 2015 sourira mieux à leur favori !
LES DUELS NE SONT-ILS PLUS CE QU’ILS ÉTAIENT ?
Question : y a-t-il une malédiction concernant les duels Hamilton-Rosberg ? Apparemment, le public ne les apprécie pas. Ils semblent provoquer le désintérêt, pour ne pas dire l’ennui, chez les amoureux de la course. Même les jeunes. Difficilement explicable. Ainsi, au Brésil, nos deux héros se sont livrés une explication serrée qui a donné, nous a-t-il semblé, du relief à la course. Sans vraiment émouvoir le public, si l’on en croit quelques réactions immédiates.
Cela n’avait pas été du tout le cas en d’autres temps. Ainsi, dès la première saison de leur réunion au sein d’une même équipe (McLaren, 1988) les duels fratricides entre Senna et Prost enflammaient la passion du public. Aujourd’hui encore, la rivalité exacerbée entre ces deux champions fait référence. Or, Hamilton et Rosberg ont beau faire, ils sont loin d’atteindre l’aura de leurs glorieux prédécesseurs. Leurs duels ne font pas recette. Pourquoi ? Un mystère…
1988 cela peut sembler être hier pour ceux qui ont vécu cette période intense de la F1. Mais pas pour le plus grand nombre, sans doute. C’est un temps, dirait Aznavour, que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Toutes proportions gardées, c’est comme imaginer que les « Vieilles Canailles » (Hallyday, Mitchell, Dutronc) ont attiré un public de jeunes à Bercy ces jours derniers. Mais on s’égare, pardon…
Pour en revenir à notre duel Hamilton-Rosberg, il a pourtant été loin d’une parodie à Interlagos. Toujours impressionnant par la conviction avec laquelle il affronte les compétitions – le « fighting spirit », Lewis, en bon Britannique, sait parfaitement en faire usage. Cette vertu a même failli lui permettre de s’adjuger la victoire à Sao Paulo en dépit de l’avantage pris par Rosberg aux essais, puis en qualification et enfin en début de course. C’est ce que l’on avait momentanément pu croire, peu avant la mi-course. C’est alors que, emporté par sa combativité, Hamilton se laissa surprendre par la dégradation de ses pneus. Et fut embarqué dans un demi tête-à-queue qui l’entraîna hors piste, heureusement sans autre dommage d’une perte de temps – légère mais déterminante.
Il perdit dans l’aventure la seule et unique chance qui s’était offerte à lui d’ajouter une 6e victoire consécutive à une série qu’il avait entamée à Monza et poursuivie à Singapour, Suzuka et Sotchi pour finalement l’achever brillamment à Austin (Texas).
Plus tendre que lui à ce qu’il nous semble – en ce domaine, les gènes du baroudeur Keke Rosberg, son père, sont difficiles à déceler chez lui – Nico n’avait plus qu’à redoubler de vigilance pour renouer avec la victoire. Ce qu’il fit avec talent. Quitte à progressivement se faire grignoter les 6 secondes d’avance qu’il avait comptées après le tête-à-queue d’Hamilton. Et à n’en compter plus que 1, 757 à l’arrivée. La victoire s’était offerte à ce prix là. Pas cher du tout, ajouterons-nous.
Les Pirelli ont joué un rôle non négligeable dans le déroulement de ce Grand Prix du Brésil. Il n’est pour s’en convaincre qu’à rappeler les positions après neuf tours de course : 1. Hulkenberg, 2.Kvyat, 3.Grosjean !
Hélas, c’était un trompe-l’œil… Ces trois gaillards, contrairement à leurs adversaires, avaient choisi de s’élancer avec les Pirelli les plus résistants plutôt qu’en pneus tendres. Mais leur fête ne s’éternisa guère. Finalement le seul bénéficiaire de cette stratégie fut Hulkenberg. Au bout du compte sa Force India (8e) devança Magnussen et Bottas, ce qui ne lui était pas arrivé souvent jusque là…
Un dernier mot pour nous ramener au parallèle entre les tandems Hamilton/Rosberg et Senna/Prost. L’équipe 2014 de Mercedes F1 a battu à Sao Paulo un record que détenait depuis 1988 celle des McLaren de cette époque : onze doublés en course, contre dix. Mais Senna et Prost n’avaient eu que 16 Grands Prix pour établir leur record. Hamilton et Rosberg ont eu besoin de 18 départs pour le battre. Tout en gardant la possibilité de porter ce record à douze. On verra ça à Abu Dhabi, le 23 novembre prochain.
FRANÇOIS GUITER
Décidément cette fin de saison est bien cruelle en accumulant les mauvaises nouvelles. Le jour même du G.P. du Brésil s’est éteint à Paris un homme qui a fait énormément pour la course en France : François Guiter. En 1966, à la création de la société Elf, dont il était le clairvoyant responsable des activités promotionnelles, François Guiter décida de s’appuyer sur la course automobile pour promouvoir ce nouveau pétrolier. C’est ainsi qu’Elf accompagna d’abord pendant quatre ans avec succès Matra, nouvellement venue à la course elle aussi. Puis Renault d’abord à travers Alpine en rallye, puis en s’élevant jusqu’aux championnats du monde d’endurance et de F1 en accompagnant la Régie dans l’aventure des moteurs turbo. Ce qui ne pouvait être pleinement réussi qu’en appuyant la formation et le perfectionnement de jeunes pilotes français : Beltoise, Pescarolo, Cevert, Depailler, Jabouille, Tambay, Jarier, Pironi, Jaussaud et enfin Prost lui sont tous redevables d’une bonne part de leur réussite.
Illustrations : Illustration 1 : Podium Brésil 2014 @ DR Illustration 2 : Johnny à sa table de travail @ Lysiane Rives Illustration 3 : François Guiter et Jackie Stewart @ DR