UN DRAME EN QUATRE ACTES
On se félicitait, à l’issue du Grand Prix d’Allemagne, d’avoir assisté à une course animée comme on n’en avait plus vu depuis belle lurette. Incroyable mais vrai : le spectacle a été plus grandiose encore sur le modeste, étriqué, étroit, ennuyeux (et on en passe) tracé de l’Hungaroring. Avec un final à quatre d’anthologie dont les conséquences restent encore imprévisibles pour au moins trois champions : Lewis Hamilton, Nico Rosberg et – mais oui ! – Sebastian Vettel. A nous le plaisir de vous conter ce drame en quatre actes…
Johnny RIVES.
Acte I : ORDRE ET DÉSORDRE. – Une averse bienvenue a précédé de quelques minutes le départ du G.P. de Hongrie. Bienvenue pour soulager la forte chaleur qui avait écrasé le Hungaroring lors des deux jours précédents. Bienvenue aussi pour tout ce que la piste détrempée laissait planer d’incertitudes au moment de la mise en action. En pole, Rosberg s’en sort impeccablement en abordant en tête le premier freinage après avoir dosé son ralentissement avec juste ce qu’il fallait de prudence pour éviter le blocage des roues tout en restant hors de portée de ce sacré phénomène de Bottas. Derrière eux, c’est un peu « à toi, à moi » mais sans bobo pour personne. Même pour Vettel, surpris par ce diable d’Alonso, mais qui reprendra vite fait bien fait l’avantage sur la Ferrari. Et même pour Hamilton, que le coup de feu l’ayant privé de qualifs, a condamné à partir des stands. Et qui dans sa hâte de surmonter au plus vite ce handicap frôle la correctionnelle dans une sortie de route qui – miracle, miracle ! – le laisse repartir sans autre bobo qu’un aileron avant à peine tuméfié.
Chacun ayant chaussé des pneus intermédiaires, la hiérarchie s’établit tranquillement : Rosberg lâche tout son monde, cependant qu’à l’arrière Raïkkonen, Magnussen et Hamilton se frayent habilement des passages dans une brousse humide et hostile. Plus en avant, personne ne prend de risques insensés. Même Vettel forcé de constater que la Williams de Bottas est hors de portée de sa Red Bull.
C’est alors que BANG ! Ericsson, le pauvre, perd le contrôle de sa Caterham – il fallait bien que cela tombe sur un pilote de son acabit… Aussitôt : voiture de sécurité !
Aussitôt ? Ça n’est pas peu dire. Les quatre premiers (Rosberg qui a une bonne douzaine de secondes d’avance sur Bottas, Vettel et Alonso) viennent de passer devant l’entrée des stands. Les autres, en revanche, ont la chance de pouvoir s’y précipiter. Car la piste commence à sécher. Belle occasion que cette « SC » (safety car) pour changer de gommes. Ce que ne pourront faire nos quatre héros qu’un tour plus tard. Rosberg ne le sait pas encore, mais il ne reverra plus sa belle première place.
Acte II : UN FOL ESPOIR POUR « JEV ». – La neutralisation s’éternisera plus que prévu, Grosjean ayant commis la bévue d’aller taper en zigzagant (comme les autres mais moins attentivement) pour garder ses « slicks » en température. Ricciardo s’est retrouvé miraculeusement en tête pendant tout ça. Il ouvre donc la route au feu vert. Button le dépasse le temps d’un virage grâce à ses pneus intermédiaires qui s’effondreront dès le virage suivant (à croire que chez McLaren ils n’ont pas les mêmes sources d’information météo qu’ailleurs). Donc voilà le héros de Montréal de nouveau en tête d’un Grand Prix ! Rosberg est 4e, Vergne 6e et Hamilton 13e.
Vergne ? Pourquoi Vergne ? Tout simplement parce qu’au bout de la ligne droite, partiellement sêche sur la trajectoire et complètement humide hors celle-ci, certains pilotes se font des politesses plus ou moins réfléchies. Rosberg est parmi eux. Vergne en profite pour lui passer habilement sous le nez. Et voici notre « frenchie » 4e derrière un trio improbable (Ricciardo, Massa, Alonso). Mais devant, excusez du peu : Rosberg, Vettel et Hamilton.
Lorsque Perez tape violemment (23e tour), déclenchant une nouvelle « SC », Ricciardo et Massa choisissent encore de changer de pneus. Ce qui laisse Alonso au commandement devant… Vergne. « Je n’avais jamais vu aussi peu de voitures entre la Safety Car et moi », avouera, vaguement amusé, « JEV » à Margot Laffite cinq heures plus tard…
Acte III : VETTEL FRÔLE LE KO.- Le rêve sera éphémère pour Jean-Eric. A la reprise de la course, il tiendra Rosberg, Vettel et Hamilton en échec pendant huit tours. Rosberg semble incapable d’attaquer la Toro Rosso. La partie n’est pas facile car seule la trajectoire est sêche. D’ailleurs, s’ils trouvent Rosberg trop prudents, Vettel et Hamilton derrière lui, ne font pas mieux. Ils s’abstiennent de le menacer. Vergne tiendra la 2e place jusqu’au 31e tour. Moment que choisit Rosberg pour à son tour changer de pneus. Et Vettel pour commettre une faute inattendue. Préparant peut-être une attaque sur Vergne, il émerge vigoureusement du dernier virage pour aborder en plein élan la ligne droite… et se laisse piéger comme Perez avant lui par un reliquat de pluie. Mais la chance sourit aux champions : Vettel ne percute pas le mur des stands, il le frôle. Le retard que cela lui coûte sera néanmoins insurmontable.
Pendant ce temps, pneus à l’agonie, notre brave Vergne finit par céder à Hamilton avant de s’arrêter pour des pneus neufs. Alonso en fera bientôt autant. Et voilà Hamilton en tête ! Devant qui ? Devant Ricciardo !
Acte IV : RÈGLEMENT DE COMPTES.- Mais la piste a complètement séché. Les pneus s’usent. Hamilton va s’arrêter. Sa halte le fait glisser en 3e position entre Alonso et… Rosberg. La Ferrari et les deux Mercedes mènent forte cadence. Mais à quelques longueurs d’écart l’une de l’autre. On va dire plus ou moins une seconde. Alonso roule avec 15 secondes de retard sur Ricciardo. Hamilton est à 18’’ et Rosberg à 19 lorsque l’ordre est communiqué à Hamilton de laisser passer Rosberg. Surprenant ! Aux commentaires, Jacques Villeneuve s’en offusque à juste titre. D’ailleurs Hamilton ne s’incline pas. Il a raison, car Rosberg ne le presse absolument pas, il roule à la même cadence sans paraître pouvoir l’attaquer.
Quand Ricciardo observe son ultime changement de pneus, Alonso hérite de la tête devant Hamilton et Rosberg. Qui décide lui aussi de changer de pneus. Pour les plus tendres. Bien joué. Il reviendra.
Commence alors un final à couper le souffle pendant les 15 derniers tours. Alonso, admirable, réussit à tenir tête à Hamilton. Ricciardo réussit à les rejoindre. Comme le fera Rosberg qui a dû pour cela venir à bout de Raïkkonen (que l’on n’avait pas vu à telle fête depuis longtemps) et de Massa en réglant leurs comptes au freinage en bout de ligne droite.
Devant, la bataille est tendue à l’extrême. On devine Alonso à bout de pneus. Hamilton est sans doute dans le même cas. Deux agneaux pour Daniel Ricciardo dont on connaît bien les dents de loup tant est fameux son sourire. Démoniaque, ne pouvant faute de vitesse attaquer la Mercedes dans le premier virage, il attaque Hamilton dans le deuxième. Et par l’extérieur ! Et ça passe !
Alors on ne donne plus chez de la peau d’Alonso qui s’inclinera au freinage du bout des stands. Hourrah ! Ritchiardo, ou Rickiardo, peu importe la prononciation, s’envole vers une formidable victoire autrement plus glorieuse que celle de Montréal – pourtant belle déjà…
Mais ça n’est pas fini. Revenu dans le sillage du groupe de tête, Rosberg ne demande cette fois aucune prérogative pour dépasser Hamilton. Cette fois il peut l’attaquer. Et ne s’en prive pas. Par l’extérieur du virage n°2, comme Ricciardo. Mais cette fois, ça ne passe pas : Hamilton l’emmène impitoyablement hors de la piste. Tout à l’heure il avait raison. Mais là, non.
Vous avez dit règlement de comptes ? Il faudra suivre cela de près à Francorchamps, fin aout.
Photos @ DR