Silverstone, samedi 14 juillet 1973, Grand Prix de Grande Bretagne. A la fin du premier tour, Jody Scheckter sort trop large de la courbe de Woodcote et veut revenir trop brutalement sur la piste après une excursion dans l’herbe. Il perd le contrôle de sa McLaren au milieu du peloton lancé à pleine vitesse. S’ensuit un monstrueux carambolage qui restera dans les annales de la Formule 1. Bilan : 9 voitures au tapis mais seulement une blessure à la cheville pour Andrea de Adamich. Le jeune Sud Africain disputait là son deuxième Grand Prix. Il avait débuté deux semaines plus tôt au Paul Ricard où il s’était déjà distingué en harponnant la Lotus du champion du Monde en titre Emerson Fittipaldi au virage du Pont.
Luc Augier
Quarante et un ans plus tard, Kimi Raikkonen, malgré un bagage autrement garni, a commis la même erreur. Une erreur grossière, aussi vieille que la conduite automobile, contre laquelle tous les moniteurs d’écoles de pilotage mettent leurs élèves en garde. La différence entre Scheckter et Raikkonen, c’est que le Finlandais avait pris le départ en queue de peloton, en raison d’une qualification peu inspirée dans le contexte météorologique imprévisible de la veille. Cette mauvaise position sur la grille explique en partie son empressement et son entêtement. Elle explique aussi les conséquences relativement limitées de sa méprise : il y avait beaucoup moins de voitures derrière lui que derrière Scheckter. Même Felipe Massa, la seule victime « colatérale », aurait pu passer à travers s’il n’avait pas pris lui même un très mauvais départ.
Silverstone 2014
Niki Lauda n’était lui aussi qu’un débutant en 1973. En ce dimanche 6 juillet 2014, comme à son habitude, il n’a pas mâché ses mots. Il n’a trouvé aucune circonstance atténuante à Raikkonen. Il a accablé les autorités sportives, qui ont tenu à faire réparer des rails endommagés contre lesquels il y avait peu de probabilité qu’une voiture vienne de nouveau rebondir. Il a fait observer que, durant l’heure d’interruption, les téléspectateurs étaient forcément tentés de zapper vers la formidable finale de Wimbledon et de ne plus revenir à Silverstone. Niki Lauda s’était déjà insurgé contre le côté tatillon des commissaires sportifs, à l’affût du moindre écart de conduite.
En Autriche déjà (Hamilton), en Angleterre encore (Button), des chronos avaient été annulés en qualification parce que les pi lotes s’étaient écartés des quatre roues dans la bordure. Ces nouvelles moeurs ont conduit à des échanges verbaux par radio interposée lamentables de la part de Fernando Alonso et de Sebastian Vettel au cours de leur spectaculaire passe d’armes. Le combat fut intense, viril (mais correct !), témoignant de l’adresse, de la détermination et du métier de ces deux formidables gladiateurs. Ce genre d’épisode, avec le concours des moyens modernes, plonge le téléspectateur au coeur du combat et ne peut que servir la cause d’une Formule 1 par ailleurs décriée. Dommage qu’il ait été ponctué de jérémiades dignes de la cour de récréation de petites filles, comme les a qualifiées Franck Montagny, qui excelle décidément dans l’art du « recadrage ».
Alonso et Vettel espéraient ils ainsi obtenir un arbitrage des commissaires sportifs en leur faveur ? Par bonheur, ces derniers se sont abstenus. Ils ont pénalisé Gutierrez pour son accrochage avec Maldonado, ils n’ont rien trouvé à redire au contact Vergne-Perez mais un fait de course semble avoir échappé à leur attention : Kimi Raikkonen n’a-t-il pas mis délibérément les quatre roues hors de la piste pour tenter de maintenir sa position ? N’y avait-il pas matière à investigation pour « causing a collision » ? D’autres ont été injustement pénalisés ou ont perdu des points pour bien moins que ça. Où est la cohérence ?
Mais ce Grand Prix de Grande Bretagne aura marqué la relance du championnat avec le premier abandon de Nico Rosberg. Sans cela, Lewis Hamilton aurait pu regretter plus amèrement son ultime tentative avortée en qualifications, parce qu’il s’était mépris sur un éventuel assèchement de la piste.
Est-il excusable ? Des sept pilotes qui tentèrent le coup, il fut le seul à renoncer et il a donc des raisons légitimes de s’en vouloir. En tous cas, après l’illusion de l’Autriche, dont le circuit particulier avait fait croire à un resserrement des valeurs, le tracé rapide et sélectif de Silverstone a rendu un verdict implacable : sans avoir à forcer la cadence, après l’abandon de Rosberg à mi course, Lewis Hamilton a relégué Valtteri Bottas à une demi minute.
Ce qu’on ignore, c’est de combien de Finlandais aurait pu réduire l’écart s’il ne s’était pas élancé de la 14ème position. En tous cas, il a humilié tous les outsiders, bien servi aussi, pour une fois, par une stratégie clairvoyante de l’écurie Williams, qui avait été beaucoup mois bien inspirée en qualification. Fernando Alonso, confronté à la même remontée et admirable de combativité, mesure tout ce qui manque à sa Ferrari pour nourrir des ambitions de podium.
Bottas et Williams ont aussi humilié Vettel et Red Bull. Car le champion en titre, lui, s’élançait de la première ligne. Et une fois encore, son coéquipier Ricciardo termine devant lui, et sur le podium ! La mécanique ne s’est pourtant pas enrayée. C’est la stratégie, comme au Canada, qui a inversé les positions. Cette frustration n’est probablement pas étrangère aux écarts de langage évoqués plus haut.
Photo 1 : Arrivée Silverstone 2014 © DR
Photo 2 : Luc Augier © Guy Lepage – www.Le-page.net