Cinq victoires d’entrée de jeu pour Mercedes ? Il faut remonter à 2004 et à la domination sans partage de Michael Schumacher et de Ferrari pour saluer pareille performance. Mais, déjà, l’exploit n’était pas nouveau : Damon Hill et Jacques Villeneuve en 1996, tout comme Nigel Mansell en 1992, l’avaient accompli pour le compte de Williams Renault. Quatre doublés sur les cinq premiers Grands Prix ? Seuls Nigel Mansell et Riccardo Patrese, en 1992, avaient fait auparavant aussi bien que Lewis Hamilton et Nico Rosberg.
Luc Augier
En trébuchant au Brésil (disqualifcation pour changement de voiture) et à Monaco (sortie de route), Ayrton Senna n’avait pas rejoint Alain Prost sur le podium mais les quinze victoires -sur seize possibles- remportées par les McLaren Honda en cette inoubliable saison 1988 demeure encore un record à battre. Et comme Mercedes se plait à faire référence aux flèches d’argent des années cinquante, on pourra aussi rappeler qu’en 1950, Nino Farina et Juan Manuel Fangio s’étaient partagé toutes les victoires du championnat naissant (soit six…!) pour le compte d’Alfa Romeo comme Piero Taruffi et Alberto Ascari devaient le faire pour celui de Ferrari deux ans plus tard !
Le retour de la Formule 1 en Europe, près de ses bases, n’a rien changé à la hiérarchie ébauchée lors des quatre premiers Grands Prix. Au contraire, Mercedes semble avoir progressé plus que ses adversaires pour maintenir son avance. Mais on doit saluer l’esprit de cette équipe, qui laisse ses deux pilotes se battre à armes égales. A Barcelone, Nico Rosberg a été longuement immobilisé le vendredi par un ennui technique et il s’est appuyé sur le travail effectué par Lewis Hamilton pour se remettre en selle. Le samedi, il était apparemment plus satisfait de sa monture que son coéquipier jusqu’à ce que ce dernier lui souffle la pole position. Puis, pour la course, chacun des deux côtés du garage s’est ingénié à préserver l’intérêt de l’équipe tout en donnant les meilleurs armes à « son » pilote pour s’imposer à l’autre. Aucun aléa météo, aucun incident de course, aucune intervention de voiture de sécurité n’est venu perturber la confrontation. Quand il ont vu qu’elle ne tournait pas à son avantage au départ, en raison d’une envolée moyenne, Nico Rosberg et son ingénieur ont tenté une stratégie différente de celle d’Hamilton : intercaler les pneus « durs » entre deux trains de « tendres » tandis que le Britannique avait opté pour une séquence « tendres », « tendres », « durs ». Cela pour ne pas se contraindre à subir les perturbations aérodynamiques et avec l’espoir de réduire l’écart et de tenter un dépassement en fin de course avec des pneus plus adhérents. L’opération avait échoué à Bahrein, elle a encore échoué à Barcelone mais il n’empêche : dans l’un et l’autre cas, Hamilton a dû déployer tout son savoir faire pour résister à l’offensive. Quand l’Allemand est revenu à moins d’une seconde, on s’est remémoré le dépassement d’Ayrton Senna par Nigel Mansell en 1991, lors de la course inaugurale du même circuit de Montmelo, en 1991. La Williams Renault et la McLaren Honda avaient avalé la ligne droite côte à côte, dans des gerbes d’étincelles, le deux rivaux s’étaient même un instant défiés du regard. La scène ne s’est pas reproduite. Pourtant, depuis 1991, la même ligne droite n’est plus précédée par une courbe rapide mais par un « ralentisseur » censé permettre de s’approcher plus aisément de la voiture suivie. Et, depuis, on a inventé le DRS… Rien n’y a fait : Nico Rosberg n’a pas pu porter la moindre attaque. Dans le paddock, hormis Hamilton, tous ses rivaux l’envient de piloter une aussi fabuleuse machine. Mais terminer quatre fois deuxième, c’est tout simplement normal et c’est aussi terminer quatre fois premier… des battus. Quand Mansell disait de sa Williams de 1992 « même un singe serait capable de gagner avec cette voiture », c’était humiliant pour Riccardo Patrese.
Bien sûr, en dépit de leur rivalité, Lewis Hamilton et Nico Rosberg ont du composer avec la préservation de leurs pneumatiques et leur consommation mais ils n’ont pas pu se permettre de rester en dedans leurs moyens. Fernando Alonso non plus, lui qui s’est imposé trois arrêts pour venir à bout de son coéquipier Kimi Raikkonen. Verdict : la Ferrari termine pratiquement à un tour des Mercedes. La sanction est dure. A l’inverse, avec une stratégie tout aussi offensive, Sebastian Vettel est remonté de la quinzième place -où l’avait relégué une défaillance et un changement de boîte de vitesses en qualification- à la quatrième. De quoi retrouver le sourire après un vendredi entièrement perdu par la faute d’un câblage électrique défectueux. Son coéquipier Daniel Ricciardo n’a pas eu à forcer son talent pour terminer troisième, sans espoir d’inquiéter les Mercedes. Voilà donc Red Bull clairement confirmé comme deuxième force du plateau. En 2009, Brawn, ex BAR, ex Honda avait dominé : l’écurie récidive en 2014 sous le nom de Mercedes. Dans l’intervalle, c’est Red Bull, ex Stewart, ex Jaguar, qui a régné. Mais où sont passés les « quatre grands » qui s’étaient partagé de gâteau de 1984 à 2008 : Ferrari, McLaren, Williams et « Benetton-Renault » ?
Photo 1 : podium Espagne 2014 @ DR