Classic COURSES
A l’occasion de la sortie du film « Rush » de Ron Howard, pour la saison 1976, voir aussi : Rush Bande annonce Le Grand Prix de France 1976 La saison 1976 en vidéo James Hunt 1976 en Vidéo Niki Lauda 1976 en Vidéo Rush, critique du film Guy Edwards, le chasseur de sponsors Brett Lunger, un américain en Europe Harald Ertl, la gai barbu Arturo Merzario, l’inaltérable Er hätte es verdient ! – Niki Lauda
James Simon Wallis Hunt n’aurait jamais du être champion du monde de Formule 1 en 1976. C’est du moins ce que certains esprits chagrins tricoteurs d’histoires à l’envers pensaient, et pensent encore. Mais si on relit l’Histoire par le bon bout, on peut dire qu’il le méritait vraiment.
C’est évident : « si » Lauda avait su un peu mieux conduire le 1er août 1976… on mettrait le Nürburgring dans une chope de bière ! Seulement voilà, le champion ce fut James. Qui accusait 50 points de retard à la mi-saison sur son rival. Irrattrapable ! Et pourtant, James réussit l’impensable, l’inimaginable. Au finish dans des conditions invraisemblables au Japon ! Jusqu’au bout, la planche fut savonnée. Jusqu’au bout, James fut persuadé qu’il devrait lutter contre Lauda, contre Ferrari, contre les commissaires, contre la FIA, contre le CSI. Mais plus têtu qu’un Anglais, il y crut jusqu’au bout. « Never surrender », comme disait ce bon vieux Winston, qui en connaissait un rayon sur les situations désespérées !
Pour commencer, qui aurait cru un seul instant que ce drôle de zèbre à la tignasse blonde arrivé début 1976 chez McLaren à la place du grand Emerson Fittipaldi serait le nouveau champion à la fin de l’année ? Honnêtement pas grand monde, à par son père, ses potes, ses copines et lui-même. Teddy Mayer, le boss de McLaren avait senti le talent brut chez ce grand dégingandé, mais il savait qu’il lui faudrait appréhender le fonctionnement d’une écurie de haut niveau (ce qui le changerait de la petite vie chez Hesketh), apprivoiser une monoplace M23 qui attaquait sa 4e saison et commençait à s’embourgeoiser, surtout au niveau de l’embonpoint. Mayer savait qu’il ne pourrait pas compter sur la nouvelle M26 sur laquelle Gordon Coppuck s’arrachait les cheveux quand aux dimensions. La M23 devrait donc faire l’intérim avec fatalisme alors que chez Ferrari, on avait présenté en fanfare la nouvelle 312 T2 qui serait menée par la nouvelle coqueluche de Maranello, le tout frais champion du monde, Niki Lauda. Décidément, ça faisait beaucoup pour un pilote comme James, un « p’tit gars qui n’en veut » mais somme toute encore dans sa phase d’apprentissage. Une bonne année 1976 avec quelques bons résultats, et on viserait le titre en 77, se disait Mayer ! La première moitié de la saison parut lui donner raison.
Avec ses deux poles d’entrée à Rio et à Kyalami, Hunt démontra d’emblée qu’il n’était pas un perdreau de l’année et que l’ordinateur autrichien ne lui faisait pas peur. Seulement voilà : la combinaison Lauda/Ferrari se révéla aussi redoutable qu’en 75. Et la nouvelle 312 T2 apparue en Espagne confirma cet état de fait, alors que la McLaren M23 devenait de plus en plus incompréhensible pour toute l’équipe, à cause de radiateurs sans cesse repositionnés pour retrouver un peu de tenue de route. A la mi-saison, la messe était pratiquement dite ! James avait bien gagné un Grand Prix, celui d’Espagne justement, mais on le lui avait retiré pour un malheureux centimètre et huit millimètres de trop sur la largeur de sa McLaren. Devant les caméras, l’Anglais se montrait fataliste, mais en privé il avait blêmi en apprenant l’incroyable nouvelle. Voilà comment il arriva au Paul Ricard pour le Grand Prix de France : rien à perdre, essayer de prendre le maximum de bon temps sur la piste… et en dehors. « A fond dans le boulot, mais à fond aussi dans la rigolade », professait-il. Au soir du Grand Prix, il était radieux, et déterminé à 150 %. Il venait de faire ses comptes : cette victoire, plus celle de Jarama qu’on venait juste de lui rendre contre une petite prune de 3000 $ payée par son écurie, réduisait un peu son retard sur Lauda. Ça serait dur, mais c’était jouable. Au boulot !
A Jarama, Lauda était diminué par une douleur costale. Au Paul Ricard, le moteur de la Ferrari habituellement irréprochable explose en début de course. Mais à Brands Hatch devant une foule extatique, James Hunt terrassa son rival autrichien à la loyale. Une victoire sans bavure, comme on les aime chez les grands champions. Sauf que… La FIA ne vit pas ce triomphe du même œil et, après examen de la plainte portée par Ferrari et d’autres écuries, déposséda James de son juste succès au soir du Grand Prix pour donner la victoire finale à Lauda [1]. Et cette fois-ci, il ne lui serait jamais rendu. Puis il y eut le Nürburgring.
« Pour moi, il devint capital que Niki restât en vie et mon impuissance à l’aider m’accablait. J’étais tranquillement installé chez moi tandis qu’il luttait contre la mort […] Comme on ne pouvait aller le voir, je lui ai envoyé un télégramme. Je l’exhortais à se battre, car je savais que c’était le meilleur moyen de lui donner la volonté de s’en tirer » [2]. Hunt décrivait ainsi ses sentiments à l’annonce de la nouvelle de la gravité de l’état de Lauda après son accident. En tant qu’homme, il ne pouvait que souhaiter le rétablissement de celui qu’il connaissait bien et appréciait depuis les années rigolotes des vaches maigres à Londres au début des 70’s. En tant que combattant, il ne pouvait qu’espérer que son rival recouvre ses moyens pour le battre à la loyale. Le retour de Lauda au Grand Prix d’Italie alla évidemment dans ce sens. S’il salua publiquement l’exceptionnelle performance de l’Autrichien ce jour-là [3], il déballa tout aussi publiquement son dégoût sur la confirmation de son déclassement du Grand Prix de Grande-Bretagne et sur les événements de Monza.
C’était rien de dire que l’écurie McLaren qui osait tenir tête à la vaillante Scuderia privée de son infortuné champion allait être dans la ligne de mire des officiels italiens tout au long du week-end. Ceux-ci ne tardèrent pas à débusquer le « loup » qu’ils espéraient bien trouver : une essence au taux d’octane légèrement au-dessus de celui autorisé fit annuler les temps des pilotes McLaren qui durent partir en fond de grille [4]. James le reconnut avec franchise, il était tellement énervé qu’il fit une faute en course en voulant résister aux assauts de Tom Pryce. Il quitta l’autodrome milanais sous les huées des tifosi en refaisant ses comptes : Lauda avait grappillé 4 points supplémentaires contre zéro pour lui. Il restait trois Grand Prix à courir, il devait quasiment les gagner tous s’il voulait avoir une chance infime de battre Niki. Là-encore, il se retroussa les manches et se remit au boulot.
A quelques heures du départ de la dernière manche du championnat sur le circuit du Mont Fuji au Japon, James Hunt était parfaitement conscient de l’enjeu de cette finale tant attendue : grâce à ses deux victoires en Amérique du Nord, il était revenu à 3 points de Lauda. Parti comme il l’était, il était bien décidé à aligner une troisième victoire de rang : le problème du titre serait alors définitivement réglé en sa faveur. S’il ne gagnait pas, tout dépendrait alors de Lauda, et des impondérables. Comme cette pluie incessante qui noyait le circuit sous son rideau opaque et cette lueur crépusculaire qui menaçait de faire reporter la course au lendemain. Mais les télévisions, les sponsors, les officiels, tout ce beau monde obligea les pilotes à intégrer leur lieu de travail… et en voiture nippone !
James ne gagna pas le Grand Prix et fut même persuadé avoir tout perdu lors de cet après-midi de tous les dangers ! Il avait pourtant vu et revu le panneau brandi par son stand à chaque passage dans la purée de pois : LAUDA OUT. Plus question dès lors d’être James le flamboyant, James le battant. Pour une fois, il fallait la jouer « à la Lauda » : laisser Andretti surfer devant et terminer cette fichue course à la 3e place et c’était dans la poche ! Et puis, incompréhension avec son stand quant au changements de pneus, crevaison (heureusement juste avant l’entrée des stands), fin de course de cauchemar pour un James hagard persuadé terminer 6e, alors qu’il finissait réellement 3e, et surtout intimement, viscéralement persuadé que cette « défaite » était le fait de son écurie qui ne l’avait pas rappelé à temps pour changer de gommes.
Lorsqu’il se dressa debout sur le siège de sa McLaren immobilisée dans la zone des stands, James Hunt revit en un éclair toute cette saison de dur labeur où rien ne lui avait été épargné, tous ces efforts pour remonter patiemment à chaque victoire engrangée, tout cet investissement où il ne compta pas sa peine, tout cela se dissoudre lamentablement dans les dernières gouttes de cette pluie d’un autre monde. « Pendant la course, il faut constamment se dominer, maîtriser ses émotions, si bien que lorsque je quitte la voiture, le couvercle de la marmite ne demande qu’à se soulever. C’est une réaction humaine, tout à fait normale, et c’est très regrettable quand quelqu’un en pâtit » [5]. Et ce jour-là, c’est Teddy Mayer qui en fit les frais : il se fit incendier par son pilote qui le traitait de tous les noms, et ne put qu’à grand peine lui faire comprendre en faisant le signe « 3 » avec les doigts qu’il était troisième, donc champion du monde. James se calma légèrement, mais voulut vérifier auprès des officiels. On lui avait tellement joué d’entourloupes cette saison qu’il ne croyait plus personne sur parole et ne voulait pas subir une cruelle désillusion à rebours. Il vérifia auprès de différents pointeurs de la course. Tous le lui confirmèrent : il était bien 3e. Il demanda à la direction de course si quelqu’un avait posé une réclamation, personne, lui répondit-on. Alors il retrouva son franc sourire et alla serrer Teddy Mayer dans ses bras, avant de rejoindre ses mécaniciens pour une bonne bière ensemble, comme il le faisait à chaque Grand Prix. Mais celle-là, il la méritait vraiment !
Pierre Ménard
(A suivre : « Il l’aurait mérité »)
(*) Il le méritait
[1] Hunt avait été pris dans un énorme carambolage au départ impliquant aussi la Ferrari de Regazzoni et la Ligier de Laffite. Le règlement stipulait que les voitures n’ayant pu boucler le premier tour ne pouvaient reprendre le deuxième départ. Hunt avait abandonné sa voiture moribonde et repris la voiture de réserve. Ce que lui reprochèrent les officiels. Mayer fit durer les palabres avec les autorités suffisamment longtemps pour que ses mécanos finissent de réparer la voiture de course de James qui argua alors qu’il pouvait repartir. Le public quant à lui faisait savoir de la façon la plus sonore son mécontentement à l’idée de ne pas voir son idole courir. Dépassés, les officiels de Brands Hatch laissèrent alors tout le monde repartir. Dans la soirée, la FIA retira sa victoire à Hunt au motif que sa voiture ne roulait plus au moment où le drapeau rouge fut abaissé, ce qui l’excluait de fait de la
[2] & [5] Extraits de James Hunt, Pari gagné (Ed. Solar)
[3] Six semaines après avoir reçu l’extrême-onction de la part d’un prêtre, Lauda revint « aux affaires » à Monza, la tête encore bandée de pansements et réussit le 5e temps des essais – devant ses coéquipiers Regazzoni et Reutemann – puis termina 4e de la course.
[4] Mayer eut beau arguer qu’il était admis que ce taux soit un peu plus élevé dans le pays où le carburant était acheté, on lui rétorqua qu’il aurait dû en faire une demande écrite et la sentence fut maintenue. L’occasion était trop belle.
Légendes des photos :
CC 1 Grand Prix d’Allemagne 1976 © Rainer Schlegelmilch
CC 2 Fidèle à son sponsor © Sutton Images
CC 3 McLaren M23 1976 © DR
CC 4 L’embarras du choix, Grand Prix de Grande-Bretagne 1976 © DR
CC 5 Grand Prix du Japon 1976 © Sutton Images
CC 6 Grand Prix du Japon 1976 explication finale Hunt-Mayer © DR