Quatre pilotes qui n’ont jamais été aux avant postes en F1 mais dont les trajectoires ont croisé celle de Niki Lauda un jour d’été 1976, sur le circuit du Nürburgring. Bravant les flammes, ils l’ont sauvé de la fournaise. Marqué mais vivant, Niki Lauda allait pouvoir revenir en F1 conquérir deux titres encore.
Olivier Favre a eu l’excellente idée de vouloir rendre hommage à cet acte de courage, en nous rappelant le parcours de chacun. Brett Lunger, Guy Edwards, Harald Ertl et – le plus connu – Arturo Merzario.
Classic COURSES
A l’occasion de la sortie du film « Rush » de Ron Howard, pour la saison 1976, voir aussi : Rush Bande annonce Le Grand Prix de France 1976 La saison 1976 en vidéo James Hunt 1976 en Vidéo Niki Lauda 1976 en Vidéo He deserved it – James Hunt Rush, critique du film Guy Edwards, le chasseur de sponsors Brett Lunger, un américain en Europe Harald Ertl, la gai barbu Arturo Merzario, l’inaltérable Er hätte es verdient ! – Niki Lauda
« Mon parcours ne peut certainement pas être qualifié de conventionnel. J’ai eu des opportunités et rencontré des obstacles. J’ai pris de bonnes décisions, j’en ai pris de mauvaises. J’ai appris que pour prendre les bonnes décisions, les décisions responsables, il faut de l’entraînement. En publiant mes manuels, j’espère encourager les autres à apprendre cette leçon. »
Né le 14 novembre 1945 dans le Delaware, Brett Lunger est issu de la riche famille DuPont de Nemours, qui a fui la Révolutionfrançaise et fait fortune aux Etats-Unis en produisant de la poudre à canon. Etudiant en sciences politiques à Princeton, il attrape le virus de la course en 1965 en accompagnant un ami sur un circuit. Dès l’année suivante et pendant trois ans, il est l’un des animateurs réguliers du challenge Can-Am avec des Lola, McLaren-Elva ou la CaldwellD7. Puis il s’engage dans les US Marines et part combattre au Vietnam. Là-bas il aurait sauvé un camarade issu de la famille dirigeant la compagnie Liggett & Myers, ce qui lui aurait valu le soutien financier des marques de cigarettes du groupe (L&M, Chesterfield) pour le reste de sa carrière. Réalité ou légende ? Selon Brett Lunger lui-même, les soutiens financiers dont il a bénéficié, il les doit plutôt à son frère aîné, agent de change, et à un de ses amis « public relations » qui ont monté une structure dévouée à sa cause : Competition, Research and Development. Et en tout cas pas à la fortune familiale à laquelle il dit n’avoir eu accès que bien plus tard, une fois sa carrière de pilote finie.
Après 13 mois au Vietnam, Lunger enseigne les techniques militaires de contre-insurrection dans une école militaire, puis revient à la course en 1971. Mais contrairement à la plupart de ses compatriotes et un peu à la manière d’un Mario Andretti, il se partagera entre les Etats-Unis et l’Europe. Tout en privilégiant la Formule5000 des deux côtés de l’Atlantique (3 victoires aux Etas-Unis, 2 en Angleterre), il tente de percer en Formule 2. Mais ses deux saisons de F2, d’abord au volant d’une March en 1972, puis d’une Chevron l’année suivante, s’avéreront frustrantes, seule sa 4e place à Mantorp Park en 72 émergeant d’une litanie de résultats quelconques. Cela ne le dissuade pas pour autant de franchir le pas ultime, la F1. C’est chose faite à Zeltweg en 1975 : en dépit de sa fortune considérable, Lord Alexander Hesketh commence à se rendre compte que la F1 est un gouffre financier et louer la voiture de réserve de Hunt à cet Américain permet de faire rentrer quelque menue monnaie. Lunger s’en sort honorablement : qualifié 17e sur 26, il réussit à surnager jusqu’à l’arrêt prématuré de la course qu’il termine en 13eposition. Ses prestations à Monza et Watkins Glen seront aussi modestes, mais Lunger persévère. Ayant épousé la fille d’un dirigeant de Ford Angleterre, il s’est installé chez elle, ce qui est plus pratique pour démarcher les constructeurs anglais. Finalement, il fait affaire pour 1976 avec John Surtees qui, bien plus que Hesketh, a toujours besoin de fonds susceptibles de maintenir son équipe à flots.
Mais Lunger va souffrir de la comparaison avec Alan Jones et Durex sera plus souvent aux avant-postes que Chesterfield! Ainsi, sur le Ring ce sont 13 secondes qui séparent les deux hommes aux essais, Lunger partant de l’avant-dernière ligne. Suivant Edwards, il essaie de passer à droite de Lauda, mais perd le contrôle de sa Surtees en roulant sur des débris : il percutela Ferrari de plein fouet, encaisse juste après le choc dela Hesketh de Ertl, mais s’en tire heureusement sans dommages et peut courir vers la T2 en feu pour secourir Lauda. Ce sera le haut fait de sa saison 76 car côté résultats, il y a peu à dire. Lunger termine souvent ses courses mais loin, très loin, dans l’anonymat des queues de peloton.
Mais, en bon Américain, Lunger ne se décourage pas pour autant. Comme la Surteesn’est certainement pas la voiture pour percer (encore que Jones …), pourquoi ne pas tout simplement opter pour la voiture du champion du monde ? Un accord est donc passé avec Teddy Mayer : Lunger aura une M23 toute neuve qui sera engagée sous la bannière de BS Fabrications, la structure de Bob Sparshott. En attendant, pas question de regarder les autres : Lunger s’alignera au volant d’une March 761, avant de toucher sa McLaren à Zolder. Mais la F1 de ces années-là n’est plus tendre avec les écuries privées et la M23 en est déjà à sa cinquième saison. Il n’est donc pas étonnant que 1977 ressemble trait pour trait à 1976 : fonds de grilles et queues de classements, sa meilleure place – 9e à Zandvoort – étant due à un taux d’abandons supérieur à la moyenne. C’est ailleurs que l’Américain trouvera la seule satisfaction sportive de sa saison : associé à George Follmer au volant d’une 935 privée, il termine 2edes 6 Heures de Watkins Glen derrière l’intouchable 935 usine d’Ickx-Mass.
Alors, game over ? eh bien, non ! Lunger décide de poursuivre avec la même structure en 1978. Il commencera sa saison avec la M23 et passera ensuite à la M26. Sur le plan comptable, le bilan sera identique aux deux ternes années précédentes. Mais Lunger alternera cette année-là le pire et le presque bon : cinq non-qualifications (contre une seule en 77), mais aussi trois places dans le top ten, dont une fort méritoire 7e place à Zolder après être parti en 26e et dernière position.
En fait, le plus intéressant à signaler cette année-là, c’est l’identité du coéquipier de Lunger pour les trois derniers grands prix européens : un jeune Brésilien nommé Nelson Piquet, qui fera suffisamment bonne impression pour être récupéré par Brabham pour le dernier GP au Canada. Une course à laquelle Lunger ne participe pas en raison d’un désaccord financier avec Sparshott. Se refusant à manquer son « home grand prix », Brett a quand même pu courir à Watkins Glen une semaine plus tôt en louant une Ensign à Mo Nunn. Parti 24e, il finit 13e de ce qui sera son dernier Grand Prix F1. En 1979 on le voit encore au volant de Porsche 935 en endurance (3e à Riverside, 4e au Glen), puis il disparaît des radars de la course après une 14e place aux 500 Miles d’Elkhart Lake en 1980, avec une Datsun 240 Z.
Il se lance ensuite dans les affaires, sans pression vu ses origines familiales, fait du sport (cyclisme, marathons), passe ses brevets de pilote d’avion et en fait profiter des associations caritatives pour le compte desquelles il transporte des malades désargentés. Et il lance le mouvement « I am responsible », qui entend promouvoir l’esprit de responsabilité personnelle dans les décisions quotidiennes de chaque individu. Un vaste programme qu’il diffuse au moyen de livres et d’un site Internet : http://iamresponsiblebook.com/
Olivier FAVRE
Photos @ DR