Sur l’invitation du maître des lieux, Christian Schann, nous pénétrons dans la cour de ce corps de ferme magnifiquement restauré où, de prime abord, rien ne laisse deviner une activité liée à l’automobile de collection. Si ce n’est, pour le connaisseur, les portes de l’atelier, répliques exactes de celles des ateliers d’Ettore Bugatti….
Olivier Favre
Une fois celles-ci ouvertes, la vocation du lieu devient évidente : ce sont quatre Bugatti qui peuplent l’ancienne grange reconvertie en laboratoire. A la fin du mois de juin dernier, François Blaise et moi-même nous sommes rendus à Oberhausbergen, un village proche de Strasbourg où, dans une petite impasse, se perpétue discrètement une part de l’épopée Bugatti.
Christian Schann démarre pour nous son étonnant châssis roulant, le gare dans la cour et entreprend de nous narrer l’origine de cette résurrection :
« Tout a commencé un matin de 1992 : je me rendais au boulot en voiture quand j’ai aperçu une remorque agricole un peu particulière. J’ai immédiatement reconnu le pont arrière caractéristique, malgré la benne en bois qui le surmontait. Coïncidence, il se trouve que j’avais la veille au soir passé du temps à compulser un livre riche en photos de Hugh Conway, le spécialiste bien connu de Bugatti, ce qui m’a évidemment aidé. Cette remorque appartenait à une vieille dame que j’ai entrepris de convaincre de me la vendre. Cela a pris du temps, mais finalement, après lui en avoir trouvé une autre en échange et moyennant une somme d’argent complémentaire, l’affaire s’est faite. J’ai alors entrepris des recherches pour identifier le type ; d’après la voie, le rapport de pont, c’était un 44. C’était intéressant, car il y en avait eu plus de 1 000 exemplaires, donc il devait être possible de trouver des pièces. En plus, les 44 avaient des 8 cylindres, un moteur fiable. Je me suis donc inscrit au BOC (Bugatti Owners Club) et j’ai fait savoir que je cherchais un moteur. Au bout de quelque temps, j’ai eu un appel du Canada : un homme de Toronto me disait qu’il avait un 8 cylindres de rechange, en pièces détachées. Nous avons correspondu, il m’a envoyé des photos. Puis j’ai fait un détour là-bas à l’occasion d’un voyage professionnel aux Etats-Unis. Et j’ai acheté l’engin.
Alors, l’aventure pouvait vraiment commencer …
Oui, on s’est lancé avec mon fils, qui avait alors 10 ans et s’est passionné aussi pour le projet. Il est d’ailleurs ingénieur en mécanique aujourd’hui ! Ca nous a pris 15 ans car j’avais un travail très prenant et je ne pouvais donc m’en occuper que pendant les week-ends et les vacances. Et aussi parce que de la voiture d’origine ne restaient que les roues, les rails du châssis et le pont arrière. Il fallait donc aller à la chasse aux pièces. Même si certaines – le radiateur en particulier – ont été refabriquées, la plupart des pièces que j’ai utilisées sont d’origine. Mais pas forcément du type 44. On trouvait encore des pièces relativement facilement dans les années 90, maintenant ça devient difficile, tout devient rare et très cher. Mais quand on est inscrit au BOC, c’est déjà plus facile : le club a racheté le stock de pièces de l’usine à la fin des années 70 ainsi que les plans, qui ont été numérisés. Si on a besoin d’un plan en tant que membre du club, ils vous l’envoient, c’est pratique.
Vous connaissez l’histoire de la voiture ?
Oui, mais j’ai dû faire pas mal de recherches ! Et je ne connaissais pas forcément certaines subtilités propres à Bugatti. Ainsi, au départ, j’avais juste un n° de pont, le 817. Donc, j’en ai conclu que j’avais le châssis 817. Mais chez Bugatti, les voitures ont un n° d’assemblage différent du n° de châssis. Et 817, c’était le n° d’assemblage. Heureusement, j’ai pu avoir une copie du registre d’usine qui donne la correspondance entre le n° d’assemblage et le n° de châssis. Et j’ai vu que la voiture portant le 817 était le châssis n°1345, c’est-à-dire la dernière type 44 fabriquée, en 1930.Je suis ensuite allé voir les archives de la Préfecture de Strasbourg et j’ai retrouvé sa trace. Elle est arrivée en Alsace en 1937, achetée par un certain M. Haguenauer à Strasbourg. Puis, je suis remonté jusqu’au 1er propriétaire de la voiture, un jeune homme d’une famille noble alsacienne qui habitait à Paris. Il l’avait reçue de son oncle pour son 21ème anniversaire ! C’était un faux cabriolet 2 places. Il l’a gardée 6 mois, elle a été rachetée par un Parisien qui l’a eue pendant 6-7 ans, puis elle arrive en Alsace juste avant la guerre. C’est a priori juste après la guerre qu’elle a été ferraillée et transformée en remorque.
La voiture roule depuis quand ?
Le châssis a roulé pour la première fois fin 2008. J’avais promis à la propriétaire de la remorque de revenir la voir une fois la restauration achevée et on l’a fait : on lui a fait faire un tour dans le village, ce fut un sacré événement pour elle, elle n’en revenait pas ! On a aussi participé au centenaire de la marque en 2009 : avec ma femme, nous sommes allés à Paris avec, par la route ! En trois étapes à l’aller et d’une traite au retour. On s’est d’ailleurs fait rincer au retour, on a dû s’abriter sous un pont ! Après tout, c’est comme ça que les voitures étaient essayées et vendues à l’époque : le client achetait un châssis et le faisait carrosser à son goût.
Seule différence, à l’époque il y avait aussi le capot moteur, plus éventuellement une caisse provisoire et une caisse de lest. J’ai d’ailleurs raté de peu un capot d’origine il n’y a pas longtemps. Evidemment, il est prévu de lui redonner une carrosserie, mais c’est compliqué, ça n’est pas du tout mon métier.
Des carrosseries, il y en a quelques-unes dans l’atelier et non des moindres. Nous en parlerons dans une seconde note. A suivre donc …
Illustrations :
Vidéo et photos 1, 5 et 7 : © François Blaise/Olivier Favre