Il y a quarante ans aujourd’hui, le 26 mai 1980, notre ami Richard Dallest remportait le Grand Prix de Pau F2.
Nous rediffusons une interview de 2013 au cours de laquelle il s’était exprimé sur sa passion et sa vision de la course.
Bon « anniversaire » Richard !
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Une passion sans F1
Voitures et chronos… Richard Dallest vit pour eux. Pas un bobo en mal de signes extérieurs de richesse, dans le style si à cinquante ans tu n’as pas une….. Non. Il s’agit ici de pilotage, de flirt avec les limites, de feeling, d’anticipation et de surpassement.
A l’évocation de son nom, les souvenirs surgissent. Une « gueule » à jouer dans un film de Coppola. Un formidable compétiteur en FR, FRE, F3, F2. Seulement il en va de la F1 comme du cinéma, le talent n’ouvre pas forcément les portes de ces univers sans états d’âme. L’ironie du sort tient en une rencontre ou en un incendie…
Richard Dallest nous entraîne avec passion dans sa vie sur les circuits et nous livre une analyse sur les pilotes de F1 d’hier et d’aujourd’hui.
Olivier Rogar
17-12-2013
CC : Quand on pense à toi, quand on parle de toi, c’est immanquablement l’image d’un pilote AGS qui s’impose. Tu as toujours été chez eux ?
Non, quand j’ai gagné le Volant Elf, en 1973, j’ai couru pendant un an chez Martini, sponsorisé par Elf, avec Didier Pironi qui avait gagné le Volant en 1972. En 1975, j’ai commencé sur la Lola Danielson en FRE et j’ai fini la saison sur une Martini sponsorisée par Winfield. Pareil en 1976. En 1977 j’arrive chez AGS, encore en FRE. J’étais l’unique pilote. En 1978 je passe en F2, toujours chez AGS mais je partage la voiture avec José Dolhem (1) qui avait amené un sponsor, les lunettes Solamor. Et moi j’avais amené Ricard pour me financer. En fait on a partagé la voiture tout au long de la saison.
En 1979, changement de programme, j’ai fait de la F3 en Championnat d’Europe chez Oreca, sur une Martini. J’étais équipier avec Alain Prost. Lui était pilote officiel Renault avec moteur Renault et moi j’étais pilote privé avec un Toyota Novamotor préparé par les frères Pedrazzani. J’étais dans la même équipe qu’Alain mais pas dans les mêmes conditions car j’avais un statut de client, ce n’est pas pareil. Cette année là, Prost a été champion d’Europe. Ils avaient fait une saison 1978 où ils n’étaient pas vraiment dans le coup, par contre en 1979, ils étaient hyper dans le coup !
En 1980 et 1981 je suis retourné en F2 chez AGS et je gagne deux Grands Prix F2, Pau et Zandvoort. Puis en 1982 et 1983 je pars chez Merzario, en F2. Ensuite pendant deux ans et demi, je ne roule plus. En 1986, je rencontre un mécène qui me finance quatre ou cinq courses de F3000 sur une AGS. C’était la première année de la F3000, ils avaient récupéré les moteurs Cosworth ex-F1. J’étais très sous entrainé, on est arrivé à la mi-saison et la voiture n’avait pas eu de développement. On commence à Pau. Et là, je finis 4e. Pas mal. On n’y croyait pas ! Après les résultats ont été moins bons.
CC : Ta carrière s’est donc arrêtée avec la F3000 ?
Je le pensais. Je pensais avoir arrêté ma carrière en F3000 à Imola. Mais on m’a récemment rappelé qu’en 1987 j’ai fait deux courses de F3, ce que j’avais totalement oublié… Avec une Ralt VW de l’écurie KTR. C’est l’année ou Jean Alesi a été champion.
CC : Tu n’as pas été tenté par l’endurance ou le GT ?
Et oui, j’ai toujours été tenté de recourir. Non pas de recourir, mais de continuer à courir. J’ai été tenté mais je n’ai rien fait pour. Je n’ai jamais eu de conseiller, de manager, de coach qui se soit occupé de ma carrière, pas non plus de sponsor personnel, à part Ricard. Comme je ne suis pas doué du tout pour taper aux portes et me « vendre » – je n’ai jamais su faire, j’ai horreur de demander – Donc je n’ai plus couru. Il n’y a plus eu d’opportunités ou chaque fois des opportunités qui capotaient en chemin. Même aujourd’hui, on me demanderait de faire des courses en historique, je serais partant. Il y a deux ans, j’ai failli faire le GP de Monaco Historique en F1. Mais la voiture a été vendue avant le Grand Prix et ça ne s’est pas fait.
CC : Après une période d’inactivité assez longue, tu penses qu’il est possible de courir à Monaco en F1, même en historique, comme ça, au pied levé ?!
D’abord quand j’ai arrêté de courir je travaillais ici, sur le circuit ( Paul Ricard) et je roulais tous les jours. Ensuite quand j’ai travaillé au Luc pour l’Ecole AGS F1, je roulais régulièrement avec des F1 de stage. Donc je savais très bien où j’en étais. Et de temps en temps j’ai des copains qui viennent rouler ici et qui me demandent de les accompagner. Donc je sais où j’en suis. En Historique il y a de très bons pilotes, d’anciens professionnels et des gentlemen drivers. Moi ma passion, c’est la compétition. J’aurais fait une carrière en tennis, ça aurait été pareil. C’est une mentalité d’essayer de gagner. Dans n’importe quel sport. Et la passion du pilotage, je l’ai depuis l’enfance. Je l’ai toujours. Ca ne part pas.
CC : Peut on parler d’Henri Julien et d’AGS ?
Oui bien sûr . J’étais malheureusement à son enterrement il n’y a pas longtemps… En fait ils étaient trois : Monsieur Julien, Jean Silani qui était le mécanicien et Christian Vanderpleyn qui, lui, dessinait les voitures. C’était une petite équipe. Monsieur Julien n’a jamais fait les voitures pour les vendre. Il était passionné. Il les faisait par plaisir. Il construisait une voiture qui faisait les courses et c’était tout. Il n’y avait même pas de pièces de rechange. Il ne fallait pas casser le capot ou l’aileron. Il était rigolo, il me disait : « Ce n’est pas grave si on n’est pas bien au classement, le principal c’est que vous rameniez la voiture entière ». Ils n’avaient pas de moyens. Monsieur Julien était un passionné qui n’a jamais pensé faire du business avec ça. Après il a été aidé par François Guerre-Berthelot qui lui a amené les sponsors GPA et Motul. L’écurie était à Gonfaron (2) dans une remise, en contrebas de la station service. Oui , la station, le garage c’était son métier. Et dessous, il a fait un petit local où il s’est mis à fabriquer des voitures. Une histoire de vrais passionnés !
CC : Il avait su s’entourer de gens de talent, Vanderpleyn notamment.
Oui, d’ailleurs Vanderpleyn n’avait aucune formation d’ingénieur. Il était juste passionné. Il ne sortait de nulle part : il était apprenti à la station service ! Il dessinait les voitures avec ses idées. Des amateurs de talent qui sont allés jusqu’en Formule 1. L’AGS était très bien construite. Ce qui lui manquait, c’était le développement. Par rapport aux Martini, qui étaient nombreuses, il était plus difficile pour nous, avec une seule voiture, de la faire évoluer. Mais avec du travail , des idées et la bonne base de départ, nous avons pas mal progressé. Avec plusieurs voitures et davantage d’argent, il y aurait sûrement eu plus de résultats.
CC : Peux-tu nous parler de ta victoire à Pau en 1980 ?
Dans l’écurie, sur les Grands Prix F2, il y avait Monsieur Julien, Christian Vanderpleyn, Jean Silani, un autre mécanicien, Edmond alias « Mommon » et Philippe Leloup. Et Mader qui préparait nos moteurs. Au début on roulait avec des moteurs Pipo, puis on est passé chez Mader.
Sur cette course, je ne suis que sur la 3e ou 4e ligne. Très vite j’ai réussi à gagner des positions et après quelques tours , je me trouve second derrière Patrick Gaillard, sur la Maurer. Je réfléchissais à la manière dont j’allais pouvoir le doubler, en le piquant au freinage. J’observais là où il était moins rapide que moi. Phase d’observation. Puis je crois qu’il a eu un problème et je suis passé. J’avais pas mal d’avance, le second était , si mes souvenirs sont bons, Siegfried Stohr. Ce Grand Prix de Pau n’a pas été une course très difficile.
CC : Pourquoi n’es tu pas avec eux quand ils passent en F1 ?
Lorsqu’ils ont commencé à faire de la F1, les gens qui finançaient à mon époque – Motul, GPA, Ricard – n’ont pas suivi. Monsieur Julien, via Guerre-Berthelot, a trouvé des financeurs nouveaux et certains pilotes ont également amené des sponsors. Philippe Streiff par exemple avait notamment amené RMO. Moi, malheureusement, mes sponsors n’ont pas suivi. Quand on pense qu’ils ont fait plus de Grands Prix que Larrousse…et marqué des points !
CC : Comment était-ce chez Merzario ?
La voiture n’était, mais alors pas du tout dans le coup. C’était une Merzario. La voiture était larguée complet… A cette époque là, c’était bien parcequ’il m’avait fait un bon contrat, j’étais bien payé et lui a toujours été très correct avec moi. Mais la voiture…à la ramasse… !
CC : Richard, quelles sont les qualités qui font le bon pilote ?
Malgré le fait que j’ai enseigné à la Winfield pendant une petite décennie, bien qu’on vous y apprenne la technique du pilotage, ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, mon impression, ma philosophie du pilotage c’est que si tu n’as pas le feeling, tu vas toujours apprendre. Tu vas quand même arriver à faire des résultats, – et j’en ai vus… – Je pense donc qu’en premier lieu il faut avoir ce feeling, ce ressenti quand tu es derrière un volant. Sinon tu apprends, tu évolues, mais tu ne deviens pas un champion.
CC : Et sur quoi est basé ce feeling ?
La sensibilité, la vision, le ressenti de la voiture. Quand une voiture va commencer à glisser, si tu as le feeling tu le sens avant qu’elle ne glisse. Alors que celui qui apprend les trajectoires, les points de freinage etc… il apprend… Si c’est un bon élève, il va y arriver mais il va se rendre compte que la voiture glisse quand elle aura commencé à le faire…C’est ce qui fait la différence entre quelqu’un comme Senna par exemple et d’autres pilotes, payants, qui ont même réussi à faire de la Formule 1. Tu t’aperçois qu’il leur manque ça pour vraiment aller vite.
Pour moi Senna, Peterson ; C’est eux que je place tout en haut. Le pilotage pour eux, c’est naturel. Ragnotti pareil. Après tu as des mecs comme Niki Lauda par exemple. Moi quand j’étais minot, c’était comme une idole. Mais il n’en reste pas moins que Lauda n’a jamais été l’équivalent d’un Senna ou d’un Peterson. Ce n’est pas pareil. Plus un cérébral. Un autre pilote très doué m’a impressionné quand il n’était qu’en F3, je l’ai vu tourner au Ricard, j’étais au bord de la piste avec mon père et je lui ai dit : tu verras, lui c’est obligé, un jour il sera en F1. C’est Nelson Piquet qui courait sous le nom de Soutomayor. On n’en parle pas beaucoup de ce pilote et c’est dommage. Il y a aussi Emerson Fittipaldi qui est encore très bon aujourd’hui. Tu sais quand ils ont organisé les courses de F1 avec les seniors, il allait encore très bien ! De cette époque c’est eux que je retiens. Peterson n’a pas été titré, au contraire d’Andretti…
CC : Et les pilotes actuels ?
Aujourd’hui si j’avais un jugement à donner, je dirais Hamilton, Raikkonen et bien sûr Vettel. Et Loeb en Rallye. Concernant Vettel, on peut dire qu’il a certes la gagne facile avec une Red Bull 9 extraordinaire mais il ne faut pas oublier que le seul qui a jamais réussi à faire gagner une Torro Rosso, c’est Vettel. Sous la pluie à Monza ! Bourdais n’est pas un mauvais, mais face à Vettel, il n’a rien pu faire. Et ce sera la même chose pour Ricciardo en 2014. La bonne base de comparaison c’est l’équipier, d’ailleurs ça permet de rendre justice à Rosberg qu’on n’imaginait pas pouvoir tenir tête de la sorte à Hamilton. Avec le recul, on peut se dire que Schumacher, après son arrêt de trois ans et avec son âge, ne s’est donc pas trop mal débrouillé face à Rosberg !
CC : Schumacher a peut être manqué d’humilité en revenant « pour faire gagner Mercedes » ?
Avec la carrière qu’il a eu, avec son équipe chez Ferrari, sa voiture, il ne pouvait pas se rendre compte de la difficulté de la tâche. Je me souviens avoir gagné une course en F3 en Suède, en 1979. Je crois que c’est la course la plus facile que j’ai jamais faite. Je regardais dans les rétroviseurs, il n’y avait personne derrière. Je ne comprenais pas. Je roulais comme si je partais en vacances ! Ce jour là, ma voiture était exceptionnellement bonne. Alors imagine le pilote dont TOUTES les courses sont comme ça. Que peut – il se dire ? Qu’il est le plus fort du monde ? Il l’est ! Après s’il tombe sur une voiture qui n’est pas performante, il ne comprend pas .
CC : Comment expliques tu que beaucoup de pilotes brillent en F2 ou en Indy et n’arrivent pas à se stabiliser en F1 ?
Je te raconte un truc incroyable. A l’époque j’étais très proche de Patrick Depailler et de Jacques Laffite. En 1979 ils roulaient ensemble chez Ligier. A un moment donné, l’une de deux voitures ne fonctionnait pas du tout. Même réglages, mêmes moteurs. Elle se mettait à survirer dans les courbes rapides. Ils ont fini par trouver le problème mais ça a pris beaucoup de temps. Le plasturgiste qui avait fait le capot avait changé. Sous la pression le capot se déformait en s’incurvant et ça mettait davantage de d’appui sur l’avant. La voiture devenait survireuse. .. Ca dépend parfois de peu de choses. Tu n’as jamais deux voitures ou deux moteurs exactement pareils. Du moins à l’époque et ça peut avoir beaucoup de conséquences.
En monoplace c’est compliqué. Deux millimètres d’écart sur un réglage et tu te trouves largué. Regarde Bottas. L’an dernier il est 3e pilote. Il domine très régulièrement ses équipiers lors des essais du vendredi. Cette année ?….(3)
CC : Et qu’en est – il des pilotes dont on assiste soudainement à la « résurrection « ? Exemple : Massa qui se met à aller plus fort qu’Alonso après avoir été remercié par Ferrari ? C’est psychologique ?
Non, franchement je ne pense pas que ce soit psychologique. Dans les écuries il se passe toujours des choses bizarres. Tu me parles de Massa, je te prends le cas de Massa quand il roulait avec Raikkonen chez Ferrari. 2007, Raikkonen domine nettement Massa. En fin de saison, il est titré. Puis en 2008 Massa se met à tourner plus vite que Raikkonen sur tous les Grands Prix et comme par hasard en fin de saison , Raikkonen est libéré de son contrat au bénéfice d’Alonso. Tu crois que d’un coup Raikkonen a cessé de savoir conduire ? Alors concernant la saison actuelle, peut être Ferrari fait – elle un cadeau à Massa, sachant qu’Alonso ne pourra de toute façon plus être titré ? ….
CC : Te concernant tu as été aux portes de la F1. Tu dois nourrir certains regrets ?
A mon époque (4) il y avait déjà 7 ou 8 français en F1. Je suis tombé au mauvais moment. Arrivé aux portes…oui. J’ai eu des contacts avec Lotus, McLaren, Ensign et pour différentes raisons, financières ou autres, ça ne se faisait pas. Prends Lotus. Fin 1979 Colin Chapman m’appelle pour faire des essais au Ricard. Au cours du déplacement de l’équipe d’essais, le camion qui transporte les deux voitures brûle. Les F1 également. Je n’ai jamais pu essayer la Lotus. En outre, nombre de mes adversaires de F2 sont passés en F1 à cette époque. Certes je ne suis pas le seul dans ce cas, mais ça restera mon plus grand regret. Je reste totalement passionné et la passion, ça ne vieillit pas, il y a des passionnés de tous âges. D’ailleurs une bonne voiture et un chronomètre font toujours mon bonheur.
Olivier ROGAR
Propos recueillis le 9 Novembre 2013 au Circuit Paul Ricard
Notes
(1) : José Dolhem était le demi- frère de Didier Pironi.
(2) : AGS : Automobiles Gonfaronaises Sportives.
(3) : Interview réalisé avant les deux derniers GP de la saison 2013 dans lesquels Bottas a davantage brillé.
(4) : 1979 : Arnoux, Jabouille (Renault), Depailler, Laffite (Ligier), Tambay (McLaren), Jarier, Pironi ( Tyrrell).
1980 : Arnoux, Jabouille ( Renault), Laffite, Pironi (Ligier), Prost (McLaren), Jarier,(Tyrrell), Depailler (Alfa-Roméo)